Par Pierre Builly.
Scaramouche de George Sidney (1952).
Le plus beau film de cape et d’épée du monde !
Depuis soixante ans j’avais gardé un souvenir ébloui de Scaramouche. Je me rappelais presque précisément tout l’émerveillement qu’un petit garçon pouvait alors ressentir devant le grand Technicolor, le rythme, le mouvement, les décors fastueux, les costumes sublimes, la beauté des acteurs et des actrices.
Je me disais qu’une re-vision allait, comme c’est souvent le cas, remettre des choses en place et me contraindre à une révision d’autant plus déchirante qu’elle torpillerait un de ces souvenirs forts de la petite enfance avec qui l’on passe, quelquefois, toute une vie. (Tiens, voilà une liste que l’on pourrait s’amuser à dresser : les plus grandes déceptions a posteriori d’une cinéphilie revisitée !)
Eh bien, non ! Mes émerveillements juvéniles n’étaient ni sots, ni excessifs.
J’évacue d’emblée le côté un peu niais, un peu artificiel de l’intrigue, conçue par Rafael Sabatini (1875-1950), présenté, sans doute un peu abusivement dans un des excellents suppléments de l’édition DVD comme un Alexandre Dumas italo-britannique. Il manque tout de même du souffle, de la puissance ; il est vrai que, dit-on aussi dans le supplément, la version muette de 1923 (présentée dans le DVD) est plus fidèle au roman et met en jeu davantage les aspects politiques et révolutionnaires (puisqu’on est dans ce film en 1788 ou 1789).
La version de 1952, celle dont je parle, précisément, celle de George Sidney est beaucoup plus visuelle, beaucoup plus chorégraphique et esthétisante, et ne place jamais la Révolution au centre du récit. André Moreau/Scaramouche (Stewart Granger) entre en conflit avec Noël de Maynes (Mel Ferrer) parce que celui-ci a tué son frère de lait et meilleur ami, Philippe de Valmorin (Richard Anderson), jeune pamphlétaire exalté d’idées nouvelles et non point par prise de conscience politique. Scaramouche est un hédoniste désinvolte, ami des femmes et des plaisirs, non un brûlant révolutionnaire…
Cette mise de côté de toute accointance de Scaramouche avec les buveurs de sang, de type Robespierre, Marat ou Saint-Just me permet d’en suivre le cheminement avec autant de sympathie que s’il s’était agi, par exemple, des aventures de Sir Percy Blakeney, Le Mouron rouge, immortel héros créé par la Baronne Orczy, dont les exploits enchantèrent mon enfance, exploits voués au sauvetage des malheureux persécutés par les buveurs de sang précités.
De toute façon, cela se passe dans un cadre si féerique, si peu réaliste, si extérieur au mouvement tellurique qui va secouer la France et l’Europe qu’on ne retient que le combat de deux individus, que tout ne paraît pas opposer tant que ça, d’autant moins d’ailleurs qu’un de ces coups de théâtre dont sont friands les feuilletonistes révélera que Scaramouche et Maynes sont, en fait, demi-frères. Il y a chez l’un et l’autre la même race, la même élégance physique, le même courage… D’ailleurs si Maynes est d’une cruauté absolue, Scaramouche n’est pas un Robin des Bois défenseur de la Veuve et de l’Orphelin…
Le film est une splendeur, un enchantement, un pur exercice esthétique où cadrages, décors, costumes, chorégraphies des duellistes concourent à une impression de plénitude, à la certitude de voir vraiment un de ces grands films mythiques qui ont durablement attaché au cinéma des générations d’admirateurs.
La distribution est exemplaire : deux personnages masculins éblouissants, Stewart Granger et Mel Ferrer dont la beauté est encore accentuée par l’élégance de la tenue (y a-t-il une époque, en France et dans le monde où l’on se soit mieux habillé ?), deux héroïnes féminines dissemblables mais représentant l’une et l’autre une absolue féminité, Eleanor Parker, flamboyante, charnelle, et la très jeune Janet Leigh ravissante, réservée, amoureuse…
L’édition DVD est une merveille de restauration…éclairages, couleurs, qualité des suppléments…
Que c’est beau, le cinéma !
Au fait, quel est l’avenir su personnage après la fin du film ? On peut en rêver…
Scaramouche allant à la rescousse de La Fayette pour prêter secours aux Insurgents ? Non, non, c’est trop tard… le film se passe vers 88 ou 89 et il y a déjà quelques années que les États-Unis sont indépendants…
Et puis André Moreau/Scaramouche n’a qu’une envie : profiter de la vie et être heureux avec la belle Aline de Gabrillac (Janet Leigh) ; à mon avis, il sera une des victimes de la Loi des suspects, pour désinvolture et élégance, et entre août 1792 (massacre des Suisses aux Tuileries) et juillet 1794 (exécution de l’Incorruptible), il sera monté dans une charrette et se sera fait décapiter.
La République n’avait besoin ni de savants, ni d’hommes élégants, vous savez bien.
Quant à l’intervention finale, dans le film d’un Napoléon, qui n’est pas – physiquement – Bonaparte, c’est assez ridicule et ça ne pouvait fonctionner qu’aux yeux d’Américains ignares ; un supplément rappelle d’ailleurs que cette séquence ne fut pas, à l’origine, diffusée en France. ■
DVD autour de 15 €…….
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