Par Maxime Tandonnet.
Cette tribune est parue dans Le Figaro de ce lundi 20 juin.
« Ce serait un cauchemar » déclarait sur Europe 1, le 16 juin, un parlementaire proche du président Macron à propos du risque pour ce dernier de perdre la majorité absolue à l’issue des législatives de 2022. Le scénario qui vient de se réaliser dépasse le pire des cauchemars de l’équipe au pouvoir avec un nombre de députés macronistes bien plus faible qu’annoncé par les sondages, avec un peu plus de 200 députés, et très éloigné de la majorité absolue.
Ce geste de défiance, intervenant juste après une élection présidentielle, est sans aucun précédent dans l’histoire politique. Certes après la réélection de François Mitterrand en 1988, le parti socialiste avait échoué à atteindre le seuil fatidique, mais il le frôlait et bénéficiait du soutien d’une frange de centre gauche ralliée à son premier ministre Michel Rocard. La situation est aujourd’hui infiniment plus dramatique pour le chef de l’État.
Pire: depuis la réduction de sept à cinq ans du mandat présidentiel en 2000, tous les chefs de l’État ont bénéficié d’une confortable majorité: Jacques Chirac en 2002, Nicolas Sarkozy en 2007, François Hollande en 2012 et Emmanuel Macron en 2017. Tel était l’un des fondements du régime présidentiel issu de l’adoption du quinquennat: le peuple français, après avoir choisi le président de la République, lui «donnait» systématiquement une majorité pour gouverner. Ainsi, l’échec du président Macron à obtenir une majorité absolue constitue un tournant dans le fonctionnement du système politique français. Faut-il y voir l’entrée du chaos à l’Assemblée nationale à l’image des IIIe et IVe République finissantes ou le retour à une démocratie parlementaire digne de ce nom ?
C’est un pays déboussolé qui vient de réélire un chef de l’État juste avant de lui couper les ailes. En vérité, cette révolution par les urnes porte à son paroxysme la décomposition politique française. Dans un contexte de désintérêt, d’indifférence et d’abstentionnisme record, elle traduit l’aggravation vertigineuse de la fracture démocratique, le divorce croissant entre la nation et ses dirigeants. Le message est clair: le président de la République a été élu par défaut en l’absence d’une autre solution acceptable, surtout au second tour de l’élection présidentielle. Désormais, le pays lui refuse sa confiance mettant ainsi fin au mythe de la république jupitérienne. Le dernier quinquennat a sublimé un mode d’exercice de la fonction élyséenne qui consiste à couvrir les déceptions, les échecs et les malheurs collectifs voire les catastrophes sous une débauche de communication narcissique et de provocations. Aux législatives, les Français ont clairement voulu sanctionner cette dérive.
La défiance s’est principalement exprimée dans le vote en faveur de Nupes – environ 150 députés – mais aussi du Rassemblement national – près de 90 députés – qui effectue une entrée historique à l’Assemblée nationale.
Dans le monde de la politique spectacle outrancière, où le sensationnel écrase la raison collective, tout se passe comme si les gilets jaunes avaient ainsi pris leur revanche dans les urnes, trois ans après l’échec de leur mouvement dans la rue et le mépris dont ils se disent avoir été les victimes. Déjà Jean-Luc Mélenchon se posait en leader spirituel de ce mouvement : « Macron avait dit, qu’ils viennent me chercher ! C’est fait » tonnait-il le 17 novembre 2018.
Symboliquement, l’échec du chef de l’État et la poussée conjointe de la Nupes et du RN se présentent comme une victoire des forces dites «antisystème». Le geste de défiance semble dirigé contre le président de la République et plus généralement contre l’arrogance des élites dirigeantes envers les milieux populaires, la France dite périphérique, le peuple des ronds-points. Il renvoie à la fois au «non» au référendum sur la constitution européenne en 2005 et à l’esprit initial du mouvement des gilets jaunes. C’est un vote populaire dirigé contre ledit « système », un vote de revanche.
La nouvelle Assemblée fragmentée, à l’image de la France, s’annonce ainsi chaotique. Un système politique que les experts jugeaient invulnérable est désormais rattrapé par le chaos de la société française. Cette issue achève une Ve République déjà moribonde. Elle rend quasi-impossible les réformes annoncées par l’exécutif (en particulier en matière de retraites) et fragilise fortement tous les gouvernements qui seront nommés par le président Macron et vivront sous la menace permanente d’une motion de censure.
Dans ce contexte, la droite dite «classique» ou de «gouvernement» qui conserve un nombre de députés significatifs, a une carte évidente à jouer. Moins affaiblie que les sondages ne l’avaient annoncé, elle peut exercer demain un rôle charnière dans la nouvelle assemblée, en tant que «troisième voie» entre la majorité relative d’Emmanuel Macron et les formations radicalisées que sont la Nupes et le RN. Elle pourra notamment être amenée à voter, après avoir imposé ses conditions, d’éventuels projets de loi gouvernementaux conformes à l’intérêt du pays.
Mais, ce positionnement se conçoit uniquement sous réserve de rejeter le piège d’une soumission à l’exécutif qui la ferait apparaître dans un rôle de supplétif, indigne et suicidaire puisque liant son destin à celui d’un quinquennat mort-né. Les électeurs de LR ont, eux aussi, voulu sanctionner sévèrement l’expérience macronienne. Ce serait trahir leur volonté que d’entrer dans une logique de contrat de gouvernement. Bien au contraire, à la veille d’une période profondément troublée sinon chaotique et violente, la capacité d’une droite, même minoritaire, à incarner de nouveau la relève, dépend de la fermeté avec laquelle elle exercera sa mission d’opposition éclairée, aussi bien envers le pouvoir présidentiel qu’envers les excès prévisibles d’autres formations. ■
Maxime Tandonnet également historien, est l’auteur de nombreux ouvrages remarqués. Il a notamment publié Les Parias de la République (Perrin, 2017) et, plus récemment, André Tardieu, l’incompris (Perrin, 2019), salué par la critique. Ou encore Georges Bidault: de la Résistance à l’Algérie française(Perrin, 2022).Découvrez également ses chroniques sur son blog.
Ils disent : une France ingouvernable. Ils oublient que l’UE (avec d’autres forces moins faciles à cerner) gouverne la France pour une très large part . Qui, par exemple, nous a embringués dans cette quasi-guerre avec la Russie ? Ce n’est pas notre Président qui s’est contenté de la faire passer pour inévitable et juste, la « vendre », au sens le plus camelotesque, au service de l’UE et de l’Otan. Ce n’est évidemment pas notre Assemblée, végétant dans son « Placard Bourbon ». Cette guerre semble n’avoir même pas pesé dans la campagne qui vient de se conclure. Je n’ai rien entendu à son propos dans les déclarations de la nuit dernière. Sous les grands mots du passé, dépassés, hors-sujet, la représentation politique semble se réduire de plus en plus à une bataille pour des sinécures et des fonds publics.
C’est tout à fait cela, Marc Vergier !
Le philosophe des « simulacres », Jean Baudrillard a écrit il y a déjà bien longtemps (il est mort en 2007), une phrase qui dit tout cela : « Le pouvoir n’est plus là que pour cacher qu’il n’y en a plus. »
Mr Tandonnet a un blog fort bien tenu qui détonne par la courtoisie des participants , il a le mérite de la clairvoyance et du talent même s’il n’est pas ouvert à toutes les droites et c’est avec plaisir que je le retrouve ici.
Souhaitons qu’un jour il n’y ait plus de frontières entre ceux qui partagent les mêmes valeurs et souhaitent les voir triompher.
JSF a manifestement raison de rappeler que Maxime Tandonnet fut parmi les conseillers du président Sarkozy ; car il semble que nombre d’entre eux se distinguent aujourd’hui par leur grande lucidité.
Par ailleurs, si Tandonnet a raison, si nous nous retrouvons condamnés au retour du parlementarisme façon IIIème république, c’est une bonne et une mauvaise nouvelle : une mauvaise nouvelle, puisque ce régime a toujours été catastrophique pour la France et lassant pour les Français ; une bonne nouvelle car les Français, devenus las, désireront autre chose. Serons-nous prêts à la leur donner ?