Il s’agit, en fait, du énième rebondissement de la tragique « affaire Philippe Daudet », le fils de Léon Daudet, Philippe, quatorze ans, assassiné le 24 Novembre 1923. Admettant d’abord la « version officielle » du suicide (son fils étant fugueur et d’une personnalité fragile) Léon Daudet acquiert très vite la conviction qu’il s’agit d’une machination destinée à l’intimider, pour le faire taire. (Dans notre album Maîtres et témoins : Léon Daudet, voir les photos consacrées à cette tragédie).
Léon Daudet mène alors sa propre enquête, pour faire éclater la vérité, ce qui le conduira – entre autres péripéties – à déposer plainte contre le chauffeur du taxi dans lequel son fils a été retrouvé agonisant. Résultat du procès, plusieurs années après : Daudet est condamné à cinq mois de prison, et incarcéré à la Santé, où il arrive le 13 Juin 1927.
Il n’y restera que douze jours, avant de s’en évader suite à un invraisemblable et stupéfiant canular qui fut en réalité une opération parfaitement organisée – et réussie – par les Camelots du Roi. On peut consulter notre « album Daudet » précité qui restitue le contexte de cette célébrissime évasion aussi bien que le long exil en Belgique qui s’ensuivit – avec photos et textes.
Le 25 juin 1927. Le Gaulois, dans son édition du lendemain, raconte « l’affaire ».
« Hier, à midi un quart, M. Catry, directeur de la prison de la Santé, était appelé au téléphone : « Allo ! ne quittez pas, lui disait une voix. M. le ministre de l’intérieur désire vous parler. » M. Catry attendait durant quelques secondes, et bientôt : « C’est le ministre qui est à l’appareil. Voici. Nous venons de décider, en conseil des ministres, la libération immédiate de MM. Léon Daudet, Delest et Semard. Vous accomplirez votre mission à l’égard des détenus royalistes d’abord, puis à l’égard du communiste. Veuillez agir vite, car nous désirons prévenir toute manifestation sur la voie publique. Dans une demi-heure vous voudrez bien faire téléphoner à mes services pour le rapport. Je pars déjeuner, mais les renseignements que vous communiquerez me seront transmis d’urgence. »
M. Catry, perplexe et quelque peu méfiant, patientait pendant une dizaine de minutes et demandait, à son tour, le ministère de l’intérieur. La communication s’établit aussitôt. « Je désire parler à M. Sarraut. C’est le directeur de la Santé. » Attente brève, puis, au bout du fil : – « J’écoute. C’est M. Catry ? » – « Oui. » – « Ici, un attaché du cabinet. » – « Est-il vrai, monsieur, que je doive libérer sans retard MM. Daudet, Delest et Semard ? L’ordre étant inattendu, je tiens à me le faire confirmer. » – « Mais agissez vite, monsieur le directeur ! Le ministre, qui vient de partir, vous a téléphoné devant moi. La décision ne fait aucun doute. Procédez à la levée d’écrous sans papiers, comme pour Girardin »
En effet, il y a huit jours, le communiste Girardin, qui faisait la grève de la faim, fut libéré par un ordre transmis téléphoniquement, et sans les formalités usuelles… Alors M. Catry, rassuré, raccrocha le récepteur, coiffa son képi galonné d’argent et alla aviser de la bonne nouvelle MM. Daudet et Delest, qui étaient à table, puis M. Semard.
Les préparatifs furent prompts, les adieux, cordiaux, abrégés, et les portes de la prison s’ouvrirent toutes grandes. Les deux agents qui sont habituellement de service non loin arrêtèrent un instant la circulation. Le chauffeur d’une automobile qui stationnait non loin fut hélé, les libérés prirent place dans la voiture et, précédant M. Semard – qui (respect scrupuleux des instructions officielles) devait partir une demi-heure plus tard – MM. Daudet et Delest roulèrent dans une direction… demeurée inconnue. M. Catry téléphonait aux services pénitentiaires que sa mission était accomplie. Un fonctionnaire aimable prenait note et remerciait. Le tout n’avait pas demandé une heure. Peu après, M. Catry était convoqué au ministère de la justice, où M. Mouton, directeur des affaires criminelles, lui faisait connaître qu’aucune mesure de libération n’avait été prise en faveur des prisonniers. Une mystification organisée…
Or, le ministère de l’Intérieur et la Sûreté générale n’étaient pour rien dans toute cette affaire. D’après ce qu’on nous dit à l’Action Française, les camelots du Roi s’étaient assurés de onze lignes téléphoniques, parmi les douze qui fonctionnent au ministère de l’intérieur, et s’étaient partagé la besogne de telle sorte que nulle d’entre elles pût être libre pendant le laps de temps nécessaire, à l’exception d’une seule. Cette dernière devait évidemment jouer entre des comparses, dont l’un brancherait la communication sur celui — ou ceux — qui figurerait tour à tour le ministre de l’Intérieur et l’un de ses collaborateurs. Ainsi la place Beauvau et la rue des Saussaies se trouvaient placées téléphoniquement, pendant une heure, sous la surveillance discrétionnaire d’adversaires habiles et facétieux… »
Léon Daudet, tout en continuant à écrire chaque jour dans L’Action Française, resta introuvable. Sous le titre « À la recherche de Léon Daudet », le journal royaliste, rendait compte quotidiennement, et narquoisement, des déploiements de police sur tout le territoire et à l’étranger, des contrôles d’automobiles opérés dans des dizaines de villes. « Décidément, cette auto fantôme aura été vue par des visionnaires, dans tous les coins de la France. Attendons-nous à apprendre que le Mont-Blanc a été assiégé par la force armée, pour cerner nos amis réfugiés dans un des sous-marins de la Mer de glace », s’amusait-on le 14 juillet.
Ailleurs on évoquait le fil télégraphique comme moyen d’évasion. L’un des comptes-rendus (le 3 juillet) de la traque des deux fugitifs évoquait les initiales L. D : « Nous avons dit hier que l’on avait mis toute la police sur pied à Cherbourg pour l’arrestation éventuelle de Léon Daudet. C’est qu’il s’agissait d’une piste sérieuse ! Qu’on en juge : De Carentan était signalée une auto marquée des initiales L. D. Cette auto transportait un monsieur et une dame. Nul doute qu’il ne s’agit de M. et de Mme Daudet. L’auto fut repérée à son arrivé à Cherbourg et filée dans les rues de la ville. À l’hôtel où elle s’arrêta, on laissa M. et Mme L. D. descendre tranquillement et entrer. Quand on eut la satisfaction de les savoir dans la souricière, on prit toutes les dispositions pour l’arrestation. Mais quand la police se présenta au contrôle de l’hôtel, elle apprit que M. L. D. était tout simplement M. L. Duboyle, employé de la White Star Line, très connu à Cherbourg dans les milieux maritimes. Les policiers étaient si dépités qu’ils ont attendu que M. Duboyle sortît de sa chambre pour s’assurer qu’il n’était pas Léon Daudet. Mais le garagiste de Carentan, qui a signalé la voiture L. D., va-t-il être poursuivi pour mystification ? En réalité, muni d’une fausse barbe, Léon Daudet avait passé la frontière dès le 31 juillet 1927, et s’était réfugié à Bruxelles, où il restera pendant deux ans et demi. Il sera autorisé à rentrer en France en janvier 1930. ■
Publié le 25 juin 2022 – Actualisé le 25 juin 2023.
Mon père, camarade de khâgne de Robert Brasillach, Thierry Maulnier et Maurice Bardèche, ami de La Varende et de Pierre Boutang me racontait cette histoire avec délectation quand j’étais enfant ainsi que la mystification des Poldèves
Il me semble que le cerveau de cette opération s’appelait PINOCHET, était il apparenté au Général CHILIEN, qui renversa la régime d’ALLENDE????????
Il est d’ailleurs en photo dans l’album « les droites dans la rue »
Je trouve que les canulars se font trop rares actuellement à l’AF….