Par Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté n’est pas à l’âge où l’on ronchonne, où l’on s’épuise à penser et à dire que « c’était mieux avant ». Mais il n’est pas non plus de ceux qui croient qu’il n’y a rien à faire, rien à opposer aux dérives de notre temps qui seraient comme une fatalité. Faut-il croire aux fatalités ? Cette chronique du Journal de Montréal [2 juin] est simplement un cri d’alarme. Elle signale le « désastre psychologique à grande échelle » à quoi conduit l’emprise infantilisante des réseaux sociaux. LFAR
Le Devoir nous confirmait hier que Facebook, le réseau social iconique de notre temps, est de plus en plus largué par la jeune génération, qui préfère d’autres réseaux sociaux davantage centrés sur l’image et la vidéo.
Concentration
Certains n’y verront qu’une mode. On se lasse d’un réseau, on en adopte un autre. Ainsi va la vie dans une société qui a le culte du changement.
Mais il y a peut-être autre chose dans ce basculement, soit une régression infantilisante qui nous pousse à penser de moins en moins avec des mots et des concepts et de plus en plus avec des images en mouvement.
Lire un statut Facebook, apparemment, c’est encore trop compliqué. Mais faire défiler des milliers d’images jusqu’à l’hypnose, c’est plus simple.
Autre piste à suivre : notre société accélère sa démocratisation – illusoire – du star-system. Chacun veut mettre en scène sa vie, de manière glamour. Chacun veut briller, se vivre comme une vedette et sentir le désir de tous qui s’exprimera par la multiplication des « likes » et autres gratifications symboliques du même genre.
La révolution technologique de notre temps crée les conditions d’une généralisation fascinante du narcissisme. L’individu n’habite plus le monde, mais son propre monde fantasmé et veut qu’on l’admire en permanence. On le voit avec la dépendance aux réseaux sociaux : la moindre alerte suffit pour que l’individu se jette sur son écran avec une réaction pavlovienne.
Désespoir
Mais avec cette obsession de la représentation, l’écart entre la vie virtuelle et la vie réelle se creuse. Entre l’image projetée sur les réseaux sociaux et la vérité d’une vie, on trouve de moins en moins de points de contact. Qui sait encore jouir d’une belle vue sans la gâcher par un selfie ? Et si une photo ne suscite pas assez de réactions, le désespoir vient vite.
Un désastre psychologique à grande échelle nous attend. •
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
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C’est par le narcissisme que l’on noie les consciences.