Des histoires, somme toute assez lamentables, de violences, de voyous , d’agressions, de victimes, de flics, de forces de « l’ordre » (lequel ?), d’autorités au rôle ambigu, il y en a des dizaines tous les jours. Ce sont des choses devenues terriblement banales, terriblement ordinaires. On s’épuiserait à les dénombrer, a fortiori à les relater, si l’on négligeait d’au moins en signaler les origines. Car les violents ne sont pas plus violents, plus nombreux à l’être et plus radicaux qu’autrefois, par hasard.
A ce propos, dans le dernier Figaro Magazine, Alain Gérard Slama livre une réflexion intéressante lorsqu’il incite ses lecteurs à bien comprendre, bien mesurer que ces « jeunes » ne respectent plus rien d’autre que deux choses : la force brutale, immédiate, qui pourrait les réduire et l’argent. Qui n’est pas plus fort, plus violent qu’eux ou qui ne peut les payer pour se tenir tranquilles, ne suscite, chez eux, aucun respect. Aucune autorité – pour eux théorique tant qu’elle ne les frappe pas eux-mêmes directement – ne les impressionne si peu que ce soit.
Alain-Gérard Slama a évidemment raison. Ce qui nous étonne néanmoins – mais, bien-sûr, nous devrions cesser d’être naïfs et de nous étonner – c’est qu’il ne se pose pas (ou ne veuille pas se poser) la question de savoir si, dans le fond, nos sociétés, en général, et, en particulier, nos « autorités » ou prétendues telles, nos « élites » et tous les détenteurs de pouvoirs les plus quelconques, dans notre pays, ne sont pas, en fait, assez semblables aux « jeunes » en question et si elles respectent grand-chose de plus qu’eux. Et si c’était oui, quoi donc ?
Il suffit ici d’évoquer ce que nous avons appelé « l’énorme opération en cours contre Benoît XVI », le mensonge et les manipulations quasi unanimes des médias, le concert d’insultes et de lamentations des spécialistes autoproclamés, les déclarations indignées de nos dirigeants et de la classe politique pour une fois unanime contre le pape, pour répondre à notre interrogation : tout ce monde ne respecte rien, ne croit en aucune autre « valeur » que la force et l’argent, l’une et l’autre pris, d’ailleurs, au sens le plus bas. Et c’est d’ailleurs pour cela, parce que Benoît XVI refuse de soumettre l’Eglise à l’avilissement social et moral du monde moderne, qu’ils veulent l’abattre.
Ce qui vaut pour le pape, vaut dans tous les domaines. Sa « force » et son « argent », le « système » l’emploie à conditionner et dissoudre le peuple français dans sa propre inculture, son propre mépris de tout héritage, toutes racines, toutes visées supérieures à la force, dans sa forme la plus médiocre, et à l’argent, dans ses manifestations les plus vulgaires.
Alain-Gérard Slama voudrait-il bien réfléchir avec nous à ces considérations somme toute assez pessimistes ou veut-il persister, contre tant d’évidences, dans l’optimisme libéral qui est le sien ? En dernière analyse, la question nous paraît en effet se résumer à ceci : comment des semi illettrés, déracinés, désœuvrés et payés pour l’être, pourraient-ils respecter quoi que ce soit de la société où, à tous les sens du mot, ils campent, quand cette société, ses dirigeants et ses « élites », ne respectent eux-mêmes plus rien du tout et, même, se sont arrangés pour organiser, partout, le règne du médiocre et, sauf s’agissant d’eux-mêmes, de l’irrespect ? Dans de telles conditions, même si cela est évidemment impératif, il ne sera sans-doute pas très commode de réduire et punir les agressions et les violences.
Somme toute, comme Hilaire de Crémiers l’a fort bien écrit, dans la dernière parution de Politique Magazine : « ceux qui prétendent diriger la société, feraient bien de se méfier. (…) À force de se prêter au mensonge, c’est leur propre autorité qui en pâtira. On ne porte pas atteinte ou on ne laisse pas porter atteinte impunément à la plus haute autorité religieuse et morale en ce bas monde, sans que l’autorité publique n’en supporte les conséquences. Ce sont toutes les autorités qui seront sapées. Ces gens y ont-ils jamais réfléchi dans leur superbe : pourquoi un homme obéirait-il à un autre homme ? Le pouvoir est un mystère qui leur échappe ».
Les « violents » des « quartiers » n’ont aucunement l’envie – ni même l’idée qu’il soit possible d’ « obéir à un autre homme ». Et, en réalité, nous non plus s’il n’existe plus en fait – c’est sans-doute là le vrai problème français – aucune autorité ou institution dignes d’être obéies.
(1) : La force et l’argent, Le Figaro magazine du 10 avril.
Voilà ce qu’écrivait Alain-Gérard Slama dans son livre : « L’angélisme exterminateur » (Grasset 1993):
« Aucune époque n’a été aussi prospère ni, en principe, aussi libre que la nôtre; aucune n’a été aussi conformiste (…) Jamais les citoyens des nations démocratiques n’ont autant prôné l’individu, la vie privée, la “société civile”. Jamais les droits de l’homme n’ont été aussi largement reconnus. Jamais pourtant, même au temps de l’Ordre moral, l’esprit et les moeurs n’ont été soumis à une pression aussi constante.
Jamais les opinions et les comportements n’ont été à ce point bornés par les préjugés. Jamais l’appareil technique de propagande et de surveillance n’a été, sinon plus contraignant, en tout cas plus sournois. Jamais, en terre
démocratique, l’extension du contrôle social n’a été reçue avec une aussi morne résignation. Jamais non plus le pouvoir n’a trouvé en face de lui une opinion plus insaisissable, plus molle. La vertu de s’indigner semble s’être évaporée avec la capacité de choisir. Le troupeau pourrait être plus asservi. Il ne saurait davantage être troupeau ».
Et plus loin : « Chacun reste, en principe, maître de sa tonalité, de son tempo et de sa voix. Mais pour peu qu’on s’écarte du registre toléré par le filtre, on sera sûr de ne pas être entendu. Malheur au cadre, au politicien, au
professeur, au simple citoyen, qui osent rompre l’harmonie : pour eux, pas d’emploi, pas d’élection, pas d’étudiants. Une phrase, un mot suffisent à renvoyer chacun à sa case (…) Les composantes les plus intimes de notre personnalité sont touchées par cet esprit d’épuration permanente, qui informe le droit, le discours politique et les médias ».