Le 12 mars 2007, le Prince Jean a commencé un voyage important en Pologne. Nous en avons déjà parlé, et nous en parlerons encore…
A côté de moments intenses, comme la rencontre avec Lech Walesa ou l’entretien avec le Cardinal Primat de Pologne, le Prince n’a pas oublié la Culture, les choses de l’Esprit, et il a prononcé, à l’Université catholique de Varsovie, un très intéressant Discours de clôture du colloque sur les Influences culturelles franco-polonaises : « Nous avons beaucoup de choses à nous dire… »
C’était au troisième jour de son déplacement, et c’était donc dans l’université catholique Cardinal-Stefan-Wyszynski de Varsovie. Survolant deux siècles de relations culturelles et affectives franco-polonaises, il s’est appuyé sur quelques grands noms pour illuster avec force son propos : Frédéric Chopin, Adam Mickiewicz, Maria Sklodowska, devenue Marie Curie, et d’autres, jusqu’à Karol Wojtyla, le « plus illustre des Polonais ».
« Je me souviens, l’année dernière, visitant la Bibliothèque polonaise de Paris ( http://www.bibliotheque-polonaise-paris-shlp.fr/ ), si superbement restaurée (ci dessus), d’avoir dit qu’il nous fallait cultiver l’amitié multi-séculaire franco-polonaise pour la rendre actuelle car, culturellement, nous avons toujours beaucoup de choses à nous dire. J’ajoutais que c’était la raison même qui me faisait souhaiter de me rendre en Pologne. Comment, aujourd’hui, devant vous, ne pas confirmer ce propos, qui, vous le voyez, était bien un ferme propos…
C’est avec un mélange de joie du cœur et de passion de l’intelligence que je réponds à votre invitation de dire quelques mots au terme de ce colloque sur les relations entre la France et la Pologne au XIX siècle. Un colloque riche et divers, à l’image de ce que furent ces échanges entre nos deux pays.
Le souvenir de Chopin
Pour bien des Français, s’il est un nom qui les évoque mieux qu’aucun autre, c’est celui de Frédéric Chopin. Au point qu’ils le considèrent bien souvent comme un Français d’origine polonaise, alors que c’est l’inverse qui est vrai. Son patriotisme polonais, on le sait, est irrécusable : en voyage au moment de l’insurrection de 1830, il ne devint un exilé que par sa décision propre. Mais sa présence en France fut celle d’un génie qui non seulement marqua profondément la création musicale, mais en fit un ami ou une relation pour tout ce qui comptait dans la vie culturelle parisienne de cette époque. Sa grande aventure avec George Sand, même si elle ne se termina pas très bien, ou peut-être à cause de cela, est restée une des expressions les plus populaires de la passion romantique. Après son décès place Vendôme, ses funérailles à l’église de la Madeleine constituèrent un juste hommage rendu par les Parisiens qui depuis n’ont jamais cessé de visiter sa tombe au Père Lachaise.
Hommage à Adam Mickiewicz
Parmi les amis du couple, où l’on ne comptait quasiment que des célébrités, un nom retient particulièrement notre attention : Adam Mickiewicz, gloire de la poésie polonaise, gloire également de l’émigration polonaise à Paris. C’est là qu’il écrira sa grande épopée de dix mille vers, « Pan Tadeusz », avant de se voir confier, pendant de nombreuses années, la chaire de littérature slave au Collège de France. Son Livre de la nation et du pèlerin polonais, le premier qu’il écrivit à Paris, fut traduit en français par Montalembert, ami de Lamennais et Lacordaire, une figure de la vie intellectuelle catholique de l’époque, qui ne cessa sa vie durant de défendre la cause polonaise. Un hommage justifié a aussi été rendu à Mickiewicz par la ville de Paris, qui lui a consacré un monument, l’ultime chef-d’œuvre d’Antoine Bourdelle, érigé place de l’Alma.
L’exemple de Marie Curie
Sautons un demi-siècle. Nous sommes en 1891. Arrive à Paris une jeune polonaise du nom de Maria Sklodowska. Elle vient suivre des études scientifiques à la Sorbonne. C’est un génie ( http://mariecurie.science.gouv.fr/accueil/homepage.htm ). Deux ans plus tard, elle est reçue première à la licence ès-sciences physiques. Encore deux ans, et elle est reçue 2e à la licence de mathématiques. Et encore deux ans, la voilà reçue première à l’agrégation de physique. Entre-temps, elle a rencontré un autre physicien surdoué, Pierre Curie, qu’elle épouse (photo du couple, ci dessous). Ensemble, ils font des découvertes fondamentales dans le domaine de la radio-activité, qui leur valent en 1903 le prix Nobel de physique. Après la mort accidentelle de Pierre, elle devient la première femme à enseigner à la Sorbonne, et reçoit en 1911 le prix Nobel de chimie pour ses travaux sur le radium. Se rendant aux Etats-Unis, elle suscite une souscription qui financera l’achat d’1 gramme de radium. Quand elle obtiendra l’équivalent pour un second gramme, elle l’offrira aussitôt à l’Institut du radium de Varsovie : magnifique témoignage de la profondeur de son enracinement polonais. On sait qu’elle mourra de la leucémie contractée à la suite de ses travaux : Maria Sklodowska et son mari Pierre Curie reposent désormais au Panthéon. Foudroyant itinéraire d’une polonaise exceptionnelle qui a adopté la France et que la France a adoptée.
L’apport des Polonais à la France
Frédéric Chopin, Adam Mickiewicz, Marie Curie : trois génies, sans doute. Mais combien d’autres, parfois fort connus, ou plus obscurs, ont contribué à tisser ce lien mystérieux mais puissant qui relie les cultures française et polonaise ? De Ian Potocki à Witold Gombrovicz dans les lettres, Roman Polanski ou Andrzej Seweryn dans le spectacle, nombreux sont les noms polonais familiers aux oreilles françaises. Et si, en France, Paris semble se tailler la part du lion, il n’est pas de région française qui n’ait été, d’une manière ou d’une autre, touchées par la Pologne. Je ne saurais omettre d’en citer une : la Lorraine. Il suffit aux Nancéens de traverser la place Stanislas (ci dessous) pour savoir tout ce que, depuis l’époque des Lumières, ils doivent à Stanislas Leczczynski qui, après avoir régné sur la Pologne, fut duc de Lorraine pendant plus d’un quart de siècle, après avoir donné, avec sa fille Maria, une reine à la France.
Comment oublier aussi qu’au XXe siècle, après que Paris eut accueilli la revue de l’émigration Kultura dès la mainmise soviétique sur la Pologne, c’est de cette même P
ologne qu’est parti le grand mouvement de révolte, illustré par Solidarnosc, qui, en France même, allait si puissamment contribuer à renverser une autre mainmise, celle de la culture marxiste sur notre classe intellectuelle. C’est à la Bibliothèque polonaise de Paris, vous ne l’ignorez pas, qu’est réuni un fonds exceptionnel de documents sur cette glorieuse époque.
L’Europe se doit de respecter ses nations.
J’aimerais dire, pour conclure ces quelques mots, que dans cette relation entre la France et la Pologne, s’il y a une dimension qui m’échappe moins que toute autre, c’est la dimension européenne.Je suis un prince d’Orléans, c’est à dire membre d’une famille qui n’a pas d’autre histoire que celle même de la France. Mais si, au fond de ce que je suis, je trouve la France, cela n’a pour moi rien d’une fermeture. C’est au contraire une ouverture au monde, qui commence par tout ce qui m’est le plus proche : dès que je regarde au-delà de la France, ce que je vois aussitôt, c’est l’Europe, ses cultures, sa civilisation. Je connais l’Europe presque aussi bien que mon propre pays. Et quand je pense à la Pologne et à la France, je n’oublie rien des liens que nous entretenons respectivement avec les autres pays européens, à commencer par l’Allemagne, et aussi la Russie. Et comment ne verrais-je pas que tous, chacun à sa manière, sont d’abord l’Europe ? Une Europe qui se doit de respecter les nations qui la constituent, forte de toutes leurs cultures, qui sont ses cultures, et ainsi plus réelle que les comportements qui tendent à enfermer notre continent dans des règles qui ne lui conviennent pas toujours. L’Europe, nous devons la construire tous les jours, non sur le sable, mais sur le roc de la fidélité à son être profond. C’est ce à quoi je m’attache, avec tout ce que je représente, et en y associant mes amis réunis dans l’association Gens de France.
Ce que nous devons au plus illustre des Polonais
La Pologne et la France : comment ne pas évoquer, in fine, un autre nom, celui du plus illustre des Polonais, Karol Wojtyla, le pape Jean Paul II. Sans doute la France perd-elle là tout lien privilégié à l’égard de la Pologne, tant le message de ce pontife est universel. Mais comment oublierait-elle, notre France, qu’en 1996, 1500 ans après le baptême de Clovis, c’est un Polonais qui vint à Reims et, à la face du monde, de cette voix où l’on entendait rouler les cailloux de la Vistule, l’interpella rudement : « France, qu’as-tu fait des promesses de ton baptême ? » D’un bout à l’autre de l’Europe, c’était comme un arc qui était tendu vers le ciel.
Nous ne pouvons que saluer un discours diplomatique plein de qualités. Cependant, si on la confronte à l’Histoire, l’amitié franco-polonaise est typique des lieux communs vides de sens, que les évènements culbutent et qui ne subsistent que dans les nuées. La France et la Pologne ont entretenu depuis le XVIII°, voire depuis le XVI° siècle, des relations ambigües. Henri III quitte clandestinement le royaume de Pologne, dont il était le roi. Louis XV consacre la soumission de ce pays à ses voisins en procurant un placard viager à son beau-père. Louis XVI laisse dépecer la Pologne par le roi de Prusse et les deux Empires ; en 1940 la Pologne des Colonels déclare une guerre folle contre l’Allemagne hitlérienne, nous entraînant dans la défaite. Enfin, aujourd’hui, la Pologne, mûe par ses rancoeurs, tire l’Europe vers l’aplatissement en face des USA.
La pensée polonaise des XIX° et XX° siècles cumule l’esprit héroïque et aristocratique et l’amour de la révolution française. Je ne suis pas sûr que les polonais aiment la vraie France. En tout cas, la Pologne est la nation la plus antipolitique d’Europe.