1430 : Jeanne d’Arc livrée aux Anglais
Jean de Luxembourg, qui l’avait capturée à Compiègne, remet Jeanne d’Arc aux Anglais pour la somme de 10.000 livres.
Du point de vue humain, c’est pour elle le commencement de la fin, et de l’échec apparent : elle fut jugée à Rouen, au cours d’un procès instruit par Pierre Cauchon (évêque de Beauvais, car Jeanne avait été prise dans son diocèse) et par Jean Lemaître, vice-inquisiteur de France.
Condamnée, elle sera brûlée vive le 30 mai 1431 sur la Place du Vieux-Marché, à Rouen.
Et pourtant !
Du chapitre VI de l’ Histoire de France, de Jacques Bainville :
» Du point de vue le plus terrestre, du point de vue politique, ce qu’il y a d’incomparable chez Jeanne d’Arc, c’est la justesse du coup d’œil, le bon sens, la rectitude du jugement. Pour sauver la France créée par ses rois, confondue avec eux, il fallait relever la royauté. Pour relever la royauté, il fallait rendre confiance et prestige à l’héritier qui finissait par perdre espoir, et peut-être doutait de sa naissance même. C’est pourquoi la première rencontre de Jeanne et de Charles VII est si émouvante. Le geste de Jeanne, reconnaissant le dauphin qui la met à l’épreuve, et tombant à ses genoux, est décisif. Le principe sauveur, la monarchie, est désigné. À l’homme, au roi légitime, la confiance en lui-même est rendue… »
Charles VII couronné, la Guerre de Cent Ans ne durerait plus guère…
Dès 1450, Charles VII ouvrit une enquête sur son procès et son supplice, et le pape Calixte III prononça sa réhabilitation en 1456.
Béatifiée en 1909, Jeanne d’Arc fut canonisée par Benoît XV le 9 mai 1920. Un mois après, le 24 juin, et suite à la vigoureuse campagne menée, entre autres, par l’Action française (10.000 jours de prison cumulés pour les Camelots du Roi) le Parlement français décida qu’une fête nationale aurait lieu en son honneur le deuxième dimanche de mai : la loi promulguant cette Fête nationale parut le 10 juillet 1920 (éphéméride du 10 juillet).
Dans notre album L’aventure France racontée par les cartes, voir la photo « Guerre de Cent ans (4/4) : deuxième rétablissement ».
Place des Pyramides, Paris.
Il ne faut pas omettre non plus de rendre hommage à l’action et à l’engagement de Maurice Barrès dans l’instauration du culte de Jeanne d’Arc, comme Sainte de la Patrie mais aussi symbole unificateur.
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Êtes-vous catholique ? C’est une martyre et une sainte que l’Église vient de mettre sur les autels.
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Êtes-vous royaliste ? C’est l’héroïne qui a fait consacrer le fils de saint Louis par le sacrement gallican de Reims.
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Pour les républicains c’est l’enfant du peuple qui dépasse en magnanimité toutes les grandeurs établies…
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Enfin les socialistes ne peuvent oublier qu’elle disait : « J’ai été été envoyée pour la consolation des pauvres et des malheureux. »
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Ainsi tous les partis peuvent se réclamer de Jeanne d’Arc. Mais elle les dépasse tous. Nul ne peut la confisquer. » Maurice Barrès.
La Geste héroïque de Jeanne est un moment fondamental de notre Histoire nationale : ses moments essentiels en sont relatés dans ces éphémérides aux 25 février (rencontre de Jeanne et du Dauphin, à Chinon), 8 mai (libération d’Orléans), 18 juin (victoire de Patay), 17 juillet (sacre de Reims), 23 mai et 21 novembre (capture, et livraison aux Anglais), 30 mai (martyre), 16 mai (canonisation), 10 juillet (instauration de la Fête nationale).
1629 : Louis XIII nomme le cardinal de Richelieu « principal ministre d’état » et « conseiller en nos dits conseils »
Le 26, il sera fait duc et pair de France.
Singulier destin que d’être fils de Henri IV et père de Louis XIV.
De Michel Mourre :
« Il serait tout à fait erroné de ne voir en Louis XIII qu’un souverain fantoche, dominé par un tout puissant ministre. De faible santé, timide, gauche, dissimulé, le roi était cependant très soucieux de ses devoirs et de son autorité; sa piété le portait à se juger responsable personnellement devant Dieu de tout ce qui était fait en son nom. Aucune grande décision de Richelieu ne fut prise sans son consentement, et c’est Louis XIII, lors des grands complots qui agitèrent le règne, qui refusa les grâces et exigea des châtiments exemplaires.
Après la mort du cardinal, Louis XIII poursuivit sans hésitation la politique de Richelieu, à laquelle il n’avait cessé d’être étroitement associé… »
1694 : Naissance de Voltaire.
De Chateaubriand, sur Voltaire et le Christianisme… (tiré de notre album Ecrivains royalistes (I) : Chateaubriand, photo « Sur Voltaire ».) :
« Une chose m’étonne toujours quand je pense à Voltaire : avec un esprit supérieur, raisonnable, éclairé, il est resté complètement étranger au christianisme; jamais il n’a vu ce que chacun voit : que l’établissement de l’Evangile, à ne considérer que le rapport humain, est la plus grande révolution qui se soit opérée sur la terre.
Il est vrai de dire qu’au siècle de Voltaire cette idée n’était venue dans la tête de personne. Les théologiens défendaient le christianisme comme un fait accompli, comme une vérité fondée sur des lois émanées de l’autorité spirituelle et temporelle; les philosophes l’attaquaient comme un abus venu de prêtres et des rois : on n’allait pas plus loin que cela.
Je ne doute pas que si l’on eût pu présenter tout à coup à Voltaire l’autre côté de la question, son intelligence lucide et prompte n’en eût été frappée: on rougit de la manière mesquine et bornée dont il traitait un sujet qui n’embrasse rien moins que la transformation des peuples, l’introduction de la morale, un principe nouveau de société, un autre droit des gens, un autre ordre d’idées, le changement total de l’humanité.
Malheureusement le grand écrivain qui se perd en répandant des idées funestes entraine beaucoup d’esprits d’une moindre étendue dans sa chute : il ressemble à ces anciens despotes de l’Orient sur le tombeau desquels on immolait des esclaves. »
(Mémoires d’Outre-Tombe, La Pléiade, tome 2, page 505.)
1721 : Mort d’Antoine Watteau
1709 : Mort de Jacques Vaucanson
De Michel Mourre :
« …Mécanicien, il se fit une réputation européenne par ses automates. Les premiers furent « le joueur de flûte traversière » (1737) et « le joueur de tambourin » (1738), mais on admirait surtout ses animaux artificiels – ses premiers essais furent des canards – qui semblaient prendre leur nourriture, l’avaler et la digérer.
Nommé inspecteur des manufactures de soie (1761), Vaucanson perfectionna le métier à organsiner (tordre deux fois les fils de soie, ndlr) et inventa le premier métier à tisser entièrement automatique (vers 1745). Plusieurs des machines de Vaucanson se trouvent au Conservatoire des arts et métier à Paris « .
1783 : Premier voyage en montgolfière
Pilâtre de Rozier et le marquis d’Arlandes s’envolent à bord d’une montgolfière de 2200 mètres cubes : les deux hommes réalisent le premier voyage aérien.
Le départ est donné du château de la Muette à Paris et c’est au dessus des Tuileries qu’ils atteignent leur altitude maximale, 1000 mètres. Après 20 minutes de vol, l’appareil se pose à la Butte aux cailles près de la place d’Italie.
21_novembre_1783
1806 : Par le « Décret De Berlin », Napoléon instaure le « Blocus continental »
De Jacques Bainville, Napoléon (pages 304 à 307) :
« …Atteindre « Carthage » dans sa vitalité, dans son commerce, riposter par des prohibitions à ses offensives, il y avait, nous l’avons vu mais il est nécessaire de le répéter, des années que la France de la Révolution ne faisait pas autre chose. Napoléon, dans toute sa puissance, n’a rien trouvé de plus et de mieux que la Convention et le Directoire pour lutter contre les dominateurs de la mer. Il avait agrandi jusqu’à la conception du camp de Boulogne la vieille idée d’une descente dans les îles ennemies. Fort de sa carte de guerre, il élargit les représailles économiques jusqu’au blocus continental.
Représailles est le mot exact, puisque, de son côté, l’Angleterre a déjà déclaré en état de blocus la France et ses annexes. Blocus « sur le papier », et ici c’est une controverse séculaire qui monte à l’exaspération. Les Anglais prétendent bloquer, par décret, les ports et les rivages devant lesquels ils n’ont aucune force navale. D’où suit le droit, qu’ils s’arrogent, d’interdire, même aux neutres, le commerce avec leurs ennemis. Napoléon retourne le système. Par décret aussi, daté de Berlin, il interdit le commerce avec l’Angleterre pour la France, les pays dépendants ou alliés de la France et les territoires occupés, et des sanctions rigoureuses, des saisies équivalant aux droits de prise devront être prononcées contre tous ceux qui braveraient l’interdiction.
« Répondre à la clôture de la mer par celle de la terre », ce n’est pas seulement l’imagination logique de Bonaparte qui lui dicte cette mesure à laquelle on a mis l’épithète de « formidable ». C’est la nécessité. Depuis l’abandon du projet de Boulogne, depuis Trafalgar surtout, depuis que sa marine est réduite à quelques frégates, quel moyen a-t-il de soutenir la lutte contre la puissance invulnérable qui ne se lasse pas de susciter les coalitions (on en est à la quatrième), d’en acquitter les frais ? Le décret de Berlin, le fameux décret du 21 novembre 1806, n’est pas de l’orgueil, un enivrement de puissance. C’est l’acte d’un homme enfermé sur la terre qui s’acharne à forcer la ceinture des flots. Le fond secret de sa pensée, c’est : « Que tenter d’autre ? Essayons cela. » Et si l’on y réfléchit, on ne voit pas ce qu’il eût pu tenter de différent. Sans doute la pression du blocus continental n’était pas irrésistible, l’évènement l’a prouvé… Il expliquait à son frère Louis qu’il s’agissait de « conquérir la mer par la puissance de terre », définition juste du résultat qu’il devait chercher par l’unique moyen qui fût à sa portée. Recherche de l’impossible. Chimère… Peut-être n’a-t-il pas assez vu que le succès demanderait un effort démesuré. Du moins il n’a dissimulé à personne que, pour vaincre par la terre les maîtres de la mer, l’effort serait gigantesque…
…Le moment viendra très vite où l’empereur ne dirigera plus le système, où il en sera le prisonnier comme d’une machine qui aura échappé à sa direction, qu’il ne gouvernera plus et qui le gouvernera… »
1818 : Le congrès d’Aix-la-Chapelle met fin à l’occupation militaire de la France
Dans notre album L’aventure France racontée par les cartes , voir la photo « La France occupée en 1815 ».
De Jacques Bainvillle, Histoire de France, chapitre XVIII, La Restauration :
« …Quand on juge la Restauration à ses résultats, on trouve que les Français ont eu la paix et la prospérité et que ces bienfaits les ont laissés à peu près insensibles. La Restauration a été un régime honnête et sage, qui a mérité deux fois son nom, puisque la France, après avoir subi de si rudes secousses, se releva rapidement. Beaucoup de ceux qui contribuèrent à le renverser l’ont regretté plus tard. Mais il n’y eut pas plus de bonne volonté à ce moment-là qu’à un autre….
Louis XVIII mourut au mois d’août 1824. On doit lui rendre cette justice qu’il avait rempli la tâche pour laquelle il avait été rappelé deux fois sur le trône. Après avoir empêché le démembrement de la France, il l’avait rétablie à son rang. En 1818, au Congrès d’Aix-la-Chapelle, la France était entrée dans la Sainte-Alliance, créée pour la sauvegarde des traités de Vienne comme la Société des Nations l’a été pour la sauvegarde des traités de 1919. Trois ans après Waterloo, le territoire français était évacué par les armées étrangères, l’indemnité réduite de plus de quatre cent millions, malgré les colères et l’âpreté de la Prusse… »
Il serait très difficile – et d’ailleurs parfaitement vain… – de chercher à savoir qui fut « le plus grand » roi de France.
Par contre, sans risque de se tromper, on peut affirmer que Louis XVIII fut, très certainement, l’un des plus grands ne serait-ce que par l’immense service qu’il a rendu, en 1814 et 1815, en évitant le démembrement de la France.
Sur le roi tout à fait exceptionnel que fut le grand Louis XVIII, voir nos éphémérides :
• du 16 septembre (jour de sa mort);
• du 4 juin (Louis XVIII établit la Charte constitutionnelle) et du 8 juillet (retour définitif du roi à Paris);
• du 20 février et du 26 février sur l’échange de lettres entre le Roi et Napoléon;
• du 21 novembre (jour où les troupes Alliées quittent définitivement la France : concrètement, jour de notre libération nationale)
1982 : Mort de Pierre Gaxotte
Le Siècle de Louis XV est l’un de ces maîtres-livres qui comptent dans « l’histoire de l’histoire ».
Paru en 1933, réimprimé des dizaines de fois, remanié à plusieurs reprises par son auteur, il a tiré le XVIIIème siècle et la figure de ce roi de la pénombre dans laquelle les tenaient relégués trop d’historiens.
Sur le document suivant de l’INA (9’43 ») écoutez ( et « voyez », car les photos de lui sont rares) Pierre Gaxotte défendre un prince qui fut au sens vrai du terme un roi de progrès.
(Sur l’autre ouvrage magistral de Pierre Gaxotte, La Révolution française, voir l’éphéméride du 19 novembre)
academie-francaise / les-immortels / pierre-gaxotte
2017 : Patrick Buisson déclare sur France Inter : « En matière de Terrorisme d’Etat, la Terreur, c’est nous qui l’avons inventée. »
Et après l’entretien ci-dessus, réponse en direct aux auditeurs de France Inter.
Cette éphéméride vous a plu ? En cliquant simplement sur le lien suivant, vous pourrez consulter, en permanence :
Très intéressant, le jugement de Chateaubriand sur Voltaire; c’est bien vu….
« Le christianisme est la plus grande révolution qui se soit opérée sur la terre ». Certes, mais le problème est de savoir si cette révolution qui a réussi a établi un nouvel ordre (Saint Thomas), ou si elle n’a pas (encore) réussi, si elle continue à changer l’Homme. Si tel est le cas, on court toujours le risque de s’entendre dire que, si elle n’a pas réussi, c’est que son message a été trahi; c’est le message de l’ensemble des réformateurs depuis Calvin.
Il serait inexact d’affirmer que la civilisation occidentale ne doit rien au christianisme. Il serait plus inexact encore de prétendre que la civilisation occidentale doit au christianisme ce qui la caractérise en propre.
Avec le christianisme, l’homme a révé d’une vie plus juste, plus fraternelle et plus heureuse; mais désespérant de ce monde il l’a projeté dans l’au delà.
Mais, l’homme occidental, l’homme prométhéen, l’homme faustien a tenu le pari de tenter de la réaliser ici-bas en acceptant aucun « ignorabinus » du moment que les problèmes posés ont un sens.
Et c’est en cela que réside le génie de l’Occident.
Sébasto persiste dans son idée selon laquelle le christianisme « désespère du monde ». Je ne la crois pas juste car le christianisme exalte au moins autant le monde comme œuvre de Dieu qu’il ne le relativise, ne se différenciant pas vraiment, en cela, de la pensée grecque.
En s’appuyant sur l’Histoire – c’est à dire sur la réalité qui, à mon sens, prime sur les hypothèses et les concepts purs – il serait assez facile de soutenir la thèse contraire.
Dans la mythologie grecque, Prométhée n’est pas récompensé d’avoir voulu voler et remettre aux hommes, en propre, ce qui appartient aux dieux et dont ils ne disposent que par leur canal.
C’est pourquoi, pendant quinze siècles, la grandeur de ce que Sébasto appelle la civilisation occidentale coïncide avec le christianisme et c’est au contraire de sa rupture avec le christianisme que date son déclin.
Si Sébasto considère que, dans les faits, « l’homme occidental, l’homme prométhéen, l’homme faustien a tenu le pari de tenter de réaliser ici-bas » le rêve chrétien, de quand date-t-il cette merveille, cette réalisation du « génie de l’Occident » ?
C’est à mon avis, un bien grand paradoxe et, selon moi, un sophisme, de prétendre, que pendant quinze ou vingt siècles, l’Occident se serait réalisé, par delà un rideau d’apparences, en trahison du christianisme.
Et c’est un paradoxe mortel si l’on en venait à dater le pari tenu de l’homme occidental, dit prométhéen ou faustien, de notre triste époque où justement la civilisation qui prétendait se bâtir sur de tels principes, en réalité s’est effondrée.
Le pari prométhéen ou faustien de l’homme moderne dit « occidental » est évidemment, à ce jour, un pari perdu.
Ma chère LORI, si vous m’avez bien lu, ce n’est pas le christianisme qui « désespère du monde » mais l’homme occidental.
En effet, l’amélioration progressive et cumilative de la condition humaine a nécessité de la part des peuples d’Occident une somme inouïe d’efforts, une discipline au travail à laquelle les peuples sous-développés se sont toujours dérobés.
Cette discipline du travail réglée comme la vie monastique, n’aurait pu être obtenue sans l’espoir donné aux masses laborieuses d’être récompensées au centuple dans une autre vie.
En ce sens, il est vrai de dire que la religion fut l’opium du peuple, mais que cet opium fut longtemps nécessaire.
Renan a exprimé cela dans son oeuvre : « Caliban avait besoin de la musique d’Ariel pour enchanter sa peine, avant que Prospéro par sa science ait pu la soulager ».
Mon cher Sébasto,
En toute amitié, je me permets de penser que vous trichez un peu. Je crois, en effet, vous ayant bien lu, cette fois-ci et les précédentes, que vous attribuez, au moins en partie, au christianisme le fait que l’homme occidental « désespère du monde ». Après tout, sur ce point, comme sur d’autres, nous avons bien le droit, je crois, de n’être pas d’accord.
Mon avis est que l’Histoire infirme radicalement cette thèse, nonobstant, d’ailleurs, les tendances qui, au sein du christianisme pourraient la justifier, qui ont en effet existé et, sans-doute, existeront toujours, mais ne l »ont pas dominé dans son ensemble et ont encore moins dominé la réalité historique de la société chrétienne.
Je suis, par ailleurs, tout à fait d’accord pour considérer que le christianisme n’est pas le seul créateur de la civilisation occidentale, c’est à dire, aux temps dont nous parlons, essentiellement l’Europe et, si l’on veut, le monde méditerranéen.
Que les peuples d’Occident aient été capables d' »une somme inouïe d’efforts, d’une discipline au travail à laquelle les peuples sous-développés se sont toujours dérobés » résulte aussi, évidemment, de traditions et mœurs bien antérieures au christianisme et remontant à la plus lointaine antiquité. Mais ces aptitudes, ces qualités, ces « valeurs », je doute que l’Histoire permette d’affirmer que le christianisme les ait réellement bridées, si l’on songe à quel point les sociétés de la vieille Europe en ont été pénétrées, parfois jusqu’aux excès du « fanatisme de la foi », et quel fut, concomitamment, leur extraordinaire développement. Je crois au contraire que le christianisme, notamment par sa distinction du spirituel et du temporel, a, si l’on s’en tient strictement au plan politique, contribué puissamment – y compris sur le plan supérieur des arts, de la culture, de la connaissance et de la spiritualité – à l’équilibre et à l’épanouissement exceptionnel des hommes et des sociétés dont nous discutons ici.
Cette hypothèse, excusez-moi de me répéter, est d’ailleurs historiquement confirmée par le fait qu’a contrario le déclin de notre civilisation et sa rupture d’avec le christianisme coïncident. Ce qui est le cas, jusqu’à la caricature, de ce que l’on appelle « le monde moderne ».
Au demeurant, le christianisme ne prétend nullement à être, du moins directement, historiquement, fondateur de sociétés. Evidemment, les sociétés humaines lui préexistent, et se perpétuent, après le Christ, avec leurs qualités et défauts propres. « Qu’est-ce que Jésus a apporté, se demande Joseph Ratzinger, Benoît XVI, dans son Jésus de Nazareth, s’il n’a pas apporté la paix dans le monde, le bien-être pour tous, un monde meilleur ? Qu’a-t-il apporté ? La réponse est simple : Dieu ». Le christianisme – à la grande déception des Juifs – n’est donc pas une révolution politique, mais spirituelle. A noter à cet égard, que Boutang lorsqu’il en traite ne dit pas « la révolution » chrétienne, mais, beaucoup plus essentiellement, la « modification chrétienne » qui peut, pour qui s’y réfère profondément, intérieurement et collectivement, « modifier » le visage et la réalité du Pouvoir, des princes, des puissants et des sociétés, sans pour autant modifier ni la nature humaine ni celle des sociétés politiques, dont l’Eglise n’a jamais renoncé, du moins jusqu’à ce jour, à enseigner qu’elles constituent un composé stable et pérenne, indépendant de toute « opinion » fût-elle majoritaire ..
Enfin, j’ai tendance à penser que la religion est, effectivement, l’opium du peuple des époques marchandes où les peuples sont, en effet, exploités, fût-ce en leur garantissant assez de richesse pour qu’ils puissent la consommer, et où, en un certain sens, ils ne « méritent » pas davantage parce qu’ils ont accepté d’être vidés de leur substance profonde.
A l’inverse, la religion peut-être, non le « bonheur », mais la joie des peuples heureux et fiers de bâtir leurs cités, d’engendrer de grands siècles de civilisation et d’honorer leurs dieux, ou, pour ce qui est des époques chrétiennes, Dieu.
Je rejette donc tout à fait l’hypothèse – empreinte d’un scientisme, à mon sens tout à fait vain – selon laquelle « la religion fut l’opium du peuple » et que « cet opium fut longtemps nécessaire » dans les temps anciens, avant, dit Sébasto, reprenant un assez mauvais Renan, du moins selon moi, que la science vienne en délivrer l’homme moderne ..
Drôle de délivrance, à vrai dire. Le moins que l’on puise en penser, selon moi, est qu’il n’y en eut jamais de plus enchaîné et par la plus médiocre des servitudes… Dans le conte si controversé des « Serviteurs », de Maurras, dans son Chemin de Paradis, le dialogue entre Criton et le bon Androclès, le meilleur des esclaves, à Athènes, ferait pâlir d’envie celui d’entre les hommes du « monde moderne » qui, par exception, rêverait de sortir de l’insignifiance.
Je suis d’accord avec vous ma chère LORI, la thèse héritée du XIXe siècle selon laquelle plus il y aurait de science, moins il y aurait de croyance, n’est évidemment pas tenable.
Les civilisations comprenant elles-mêmes de façon différente ce qu’est le fait religieux, il faut en conclure que que ce qui est universel, ce n’est pas la religion, mais le sacré. Le problème qui se pose est alors de savoir si une société est capable de s’organiser de façon durable sans aucune forme de sacralité, sans posséder un point d’unité supérieur à l’existence immédiate.
N’est-ce pas dans l’incapacité de l’homme à reconnaître la présence de ce qui excède son existence propre que réside le désespoir auquel paraît le vouer le nihilisme contemporain ?
Dans un de ses derniers ouvrages Régis Debray nous rappelle ce mot de Paul Valéry : » Que deviendrions-nous sans le secours de ce qui n’existe pas ? »
Je suis, cette fois-ci, d’accord avec Sébasto, sauf avec le présupposé de Valéry qui fait un acte de foi en posant que le secours que nous recherchons « n’existe pas ».
Qu’en sait-il ? Les religions sont en effet un secours. L’intuition du sacré pourrait être, a contrario, sous des formes diverses, une profonde aspiration de l’homme – et, partant, des sociétés dignes de ce nom – à retrouver leur origine et leur fin dernière, leur être qui ne meurt pas.
Cette hypothèse qu’aucune raison ne peut fonder tout à fait, n’est pas pour autant à rejeter dogmatiquement.
En cela, Valéry n’est pas dans la logique de son propre scepticisme, puisqu’il affirme ce qui n’est, après tout, qu’une croyance …
Si je puis me permettre d’insérer mon grain de sel dans votre dialogue à deux, je voudrais exprimer mon inquiétude. En effet, nos sociétés ne sont pas antichrétiennes, ni même a-chrétiennes. Elles n’ont seulement conservé du christianisme que des aspects temporels, en transformant le message chrétien: individualisme, messianisme, millénarisme, humanitarisme, moralisme appliqué à la société etc.. En revanche, le sacré, le sacrifice, la rédemption , le péché, sont évacués. Or justement nous crevons de certains aspects chrétiens conservés par notre culture. L’immigration, par exemple, serait certainement mieux maîtrisée par nos gouvernements s’il n’y avait cet héritage chrétien de la compassion. Je pose donc une question terrible: cette évolution est-elle réversible ou les religions subissent-elles toutes cette sécularisation qui les conduit de la mystique à la théologie et de la théologie au moralisme, lui-même de plus en plus abstrait? C’est l’opinion de Marcel Gauchet, en tout cas, que le christianisme évacue chaque jour un peu plus sa nature religieuse.
Effectivement mon cher Antiquus, le fait générateur des sociétés modernes, ce n’est pas tant l’abandon de la perspective chrétienne que sa retransposition profane.
De ce point de vue, il me semble que la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 constitue une version sécularisée des principes que le christianisme a contribué à introduire ou à légitimer.
Pour le dire en d’autres termes, la sécularisation que vous constatez, c’est le passage de la croyance religieuse à la croyance politique sans quitter le domaine de la croyance.
On pourrait dire, de ce point de vue, que l’Eglise n’a plus été en mesure d’imposer ses vues au moment où la modernité s’achevait, non parce qu’elle avait échoué à transmettre ses valeurs, mais au contraire parce qu’elle avait réussi à les diffuser partout, dans un monde qui pouvait désormais s’y référer sans elle, et même contre elle.
On pourrait alors parler, paradoxalement, d’un monde entièrement « christianisé » tout en étant de plus en plus indifférent au christianisme, et de moins en moins habité par des chrétiens.
Je pense, quant à moi, que, précisément, la transposition du christianisme dans le seul domaine profane équivaut, au contraire, à son abandon. Car l’essence même du christianisme – et sa rupture avec la tradition juive, ou même antique – est de refuser la tentation profane (Jésus, au désert, tenté par Satan, rejette, par trois fois. cette tentation. Et c’est parce qu’il dévoile aux Juifs que son Royaume n’est pas de ce monde, en contradiction avec leur attente multimillénaire, qu’il sera crucifié).
Toute version sécularisée des « principes » du christianisme n’a, de ce fait, avec lui, que des rapports faussés.
Le christianisme est, sans-doute, une croyance, mais, stricto sensu, il ne peut être assimilé à une croyance politique qu’abusivement.
Au reste, pourquoi l’Eglise aurait-elle eu besoin d’imposer ses vues et ses valeurs au monde moderne s’il les avait adoptées ? Et pourquoi le monde qui s’y référait devait-il s’y référer contre elle ? Et la combattre aussi violemment qu’il l’a fait depuis plus de deux siècles ?
Il me paraît donc assez évident qu’on on ne peut parler d’un monde moderne « entièrement christianisé » que par abus de langage, plus encore que par paradoxe. C’est-à-dire en donnant au mot christianisme un sens très différent de celui qu’il a, en vérité.
Il en serait sans-doute ainsi (un monde moderne « entièrement christianisé ») si Jésus, au désert, avait cédé aux tentations de Satan et accepté le matérialisme, le millénarisme, le messianisme qui lui étaient proposés. Si, d’autre part, il était venu simplement, normalement, accomplir la mission que les Juifs attendaient de lui, selon la tradition dont il était, lui-même issu.
Au reste, si Benoît XVI était, lui-même, si « conforme » que cela au monde moderne, que Sébasto décrit comme « christianisé » (mais, tout de même avec des guillemets !), croit-on vraisemblable qu’il en subirait autant d’assauts, de critiques et de sommations à s’y soumettre ?
La vérité est que le peu de principes que se reconnaît le monde moderne (lui en voyez-vous tant que cela et de si profonds ?) sont ce que Thibon appelait « de très mauvaises retombées du christianisme » et, pourquoi pas, si l’on remontait plus haut ou plus loin, du platonisme et d’une grande partie de la pensée grecque ! Ce n’est, à mon sens, pas une raison pour les rejeter ou leur imputer – comme toute haute pensée ou philosophie peut avoir à en souffrir – les médiocres postérités qui les défigurent, d’ailleurs à proportion de leur richesse profonde, et dont elles sont, je crois, à la fois parfaitement innocentes et, néanmoins, sources perpétuellement en position d’être trahies.
En quoi, avec Antiquus et Sébasto, nous nous rejoignons et nous divergeons.
Chère Lori,
Je salue la qualité de votre réponse, mais elle ne me satisfait qu’en partie.
1) « L’essence même du christianisme est de refuser la tentation profane ». Désolé, mais c’est faire bon marché de deux mille ans d’histoire de l’Eglise, avant et après le Concile. L’Eglise se vante d’avoir changé la société, au contraire. Elle a semé sans cesse les germes d’un renouvellement des règles. Citons, pour ne parler que des plus récents, Saint Bernard et son prophète, le bienheureux Joachim de Flore, toute l’école de Salamanque où l’on trouve les racines de la pire modernité, les moralistes de la contre-réforme, acharnés à détruire la société ancienne et ses bases communautaires, pour imposer l’individualisme. De manière récurrente, les papes et les théologiens utilisent les phrases de l’Evangile ou des Actes, ou des Epîtres, tantôt en leur donnant un sens purement spirituel, tantôt comme des armes pour imposer un projet social. Vous ne pouvez pas faire abstraction de cela, c’est trop patent.
2)Vous avez parfaitement raison de souligner l’opposition implacable de la modernité contre l’Eglise, mais n’est-elle pas comparable à celle du christianisme à ses débuts contre le judaïsme qu’il estimait accomplir, rendant inutile et même néfaste sa survivance?
Effectivement, si la civilisation occidentale se distingue de toutes les autres par le fait d’être une civilisation progressiste qui vise à promouvoir « la personne humaine » et à améliorer sans cesse ses conditions grâce à la science, il apparaît que le christianisme, par son souci exclusif du salut personnel, en déplaçant la vie hors de ce monde considéré comme déchu, bien loin de s’identifier au génie de l’Occident, semble l’avoir le plus souvent contrecarré.
Je maintiens, à l’intention d’Antiquus, en le remerciant de ses mots aimables, que, selon moi, « l’essence même du christianisme est de refuser la tentation profane ». Mais j’entendais par là son essence si je puis dire, originelle, ou, dit autrement, et plus précisément, évangélique. Qui, normalement, lorsque la foi de l’Eglise est intègre, s’impose à elle.
En revanche, je ne pense pas du tout qu’au cours des siècles, dans ses courants d’ailleurs divers et parfois contradictoires, l’Eglise n’y ait jamais succombé, que cela ait été pour un bien, ou, quelques fois, pour un mal. D’ailleurs, Benoît XVI, dans son Jésus de Nazareth, explique que les tentations du Christ, celles « du monde », dont il triomphe, mais non sans un combat intérieur, préfigurent les tentations – et les ambiguïtés – qu’en chaque temps, à travers l’Histoire, l’Eglise aurait à affronter, à son tour, et auxquelles, à raison de sa dimension humaine, il lui arriverait de succomber.
On peut, comme le fait Antiqquus, en donner, sur vingt siècles, maints exemples historiques – dont, bien-sûr, la désastreuse période postconciliaire où l’Eglise s’est porté les plus grands torts à elle-même et, sans-doute, a contribué aux désordres du monde moderne, comme on pourrait multiplier les exemples contraires de l’action bienfaisante, parfois héroïque, de l’Eglise de tous les temps, y compris du nôtre.
De son point de vue, l’Eglise peut prétendre œuvrer à ce que s’opère, plutôt d’ailleurs que de l’accomplir elle-même, ce que Boutang appelait – plus sage, en cela, que Chateaubriand parlant de « révolution » – la « modification chrétienne » du pouvoir et de la société; mais, à mon avis, il n’est pas de sa compétence, ni d’ailleurs en son pouvoir, de changer ni la nature, ni, au sens « physique », les lois des sociétés.
Il y a, peut-être, d’ailleurs, quelque facilité à rechercher toujours sa responsabilité à l’égard de tous nos désordres et turpitudes plutôt que d’impliquer la nôtre; je veux dire : celle des peuples, celle des « élites », celle des gouvernants. Il faut regretter, je crois, le temps où les rois savaient résister aux papes.
Franchement, même s’il peut être un facteur qui compte, croit-on vraiment que le sentiment chrétien de charité, qui, en effet, imprègne encore nos mentalités, ait eu une importance déterminante pour les différents acteurs et responsables de notre politique d’immigration des trente ou quarante dernières années ? Je ne le crois pas. Au reste, si le sentiment chrétien de charité compte encore pour quelque chose, il se situe plutôt dans le peuple lui-même dont l’esprit serait, en la matière, si on le laissait s’exprimer, favorable à une politique de rigueur. Alors qu’au niveau où se décide notre politique d’immigration, l’idéologie qui la domine, ou, encore, les calculs économiques ou autres sont évidemment les facteurs dominants, beaucoup plus que l’imprégnation chrétienne..
Enfin, si la modernité venait simplement « accomplir » le christianisme – comme, jadis celui-ci était venu accomplir le judaïsme – et si l’Eglise s’en accommodait, comment expliquer son « opposition implacable » envers l’Eglise et la résistance que cette dernière lui a longtemps opposée et que, selon moi, dans le fond, elle continue de lui opposer, comme l’original à sa caricature ?
Ma chère LORI, le Dieu dont Nietzsche proclame la « mort » en 1886 est bien ce Dieu moral, le Dieu de la métaphysique occidentale.
Mais sa mort dans la conscience collective a rendu cette conscience malheureuse. Le Dieu « mort » a continué de s’y inscrire en creux, en y laissant un manque.
Pour combler ce manque, la modernité a inventé une série de substituts profanes (le Peuple, la Nation, la Patrie, la Classe, la Race, le Progrès, la Révolution, etc.) qui, tous sans exception, se sont révélés inaptes à servir d’absolus de rechange.
Les espérances investies dans l’action politique (où l’on entrait « comme en religion « ) n’ont engendré que la désillusion, le découragement, et parfois l’horreur.
Le décès de l’espérance révolutionnaire dans un salut terrestre constitue l’événement spirituel de cette fin de siècle.
Le nihilisme contemporain signe l’échec de ces démarches de substitution, sans que l’ancienne croyance soit pour autant redevenue possible.
Avez vous déjà traité du génocide des
Savoisiens par les révolutionnaires
du général DUMAS
80 000 morts
et depuis 1860 de la violation permanente du
traité « » » d’annexion « » » de la Savoie , violation par les gouvernements français –
TARENTAISE.
Invasion de la Savoie nuitamment et sans déclaration de guerre, par les armées de la République française. Le 22 septembre 1792. Général Montesquiou.
Contre attaque des patriotes le 14 août 1793 ; jusqu’à Aiguebelle (Maurienne) et Conflans (Tarentaise). Retour des envahisseurs républicains français, dans les hautes vallées, à l’automne 93. Généraux Kellermann, Rossi .
–
extrait
sous la Convention, à Moutiers, la prison avait enfermé plus de détenus en 1 mois qu’en 10 années de ‘’despotisme Sarde’’ !
L’occupation (23 ans) coûta à l’ensemble de la Savoie : 80 000 morts sur une population de 440 000 habitants ! C’est un génocide !
Qui étaient les ‘’envahisseurs’’, selon les historiens parisiens ?
Des Sardes, c. à d. : Piémontais, Niçois, Génois, Sardes (très peu), Valdotains mais surtout des savoyards ! Des patriotes. Parmi eux, entre autres, (notez les noms à consonance étrangère, exotique… enfin sarde !) :
Jean-François Emprin, secrét. Mairie à Séez ; pour avoir caché les archives ; déporté à l’ile de Ré, 1793… jamais revenu.
Claude Grand, pour avoir caché des pièces d’horloge du clocher, et 6 chandeliers d’argent de l’église, déporté à l’ile de Ré en 1796… jamais revenu.
Michel Clément-Guy (nom de jeune fille de ma mère) 26 ans, guillotiné à Paris.
Nicolas Merel de Macot, condamné à mort, 34 ans, guillotiné à Paris.