Par Mathieu Bock-Côté
Dans Le Mystère Clovis, Philippe de Villiers renoue avec la question la plus fondamentale, celle des origines, et plus exactement, des origines de l’identité française, qu’on mutilerait si on en effaçait la marque chrétienne [Le Figaro, 7.12]. LFAR
Philippe de Villiers, l’homme du Puy-du-Fou, sait depuis longtemps qu’un peuple sans légendes est condamné à la sécheresse existentielle. Il avait aussi affirmé dans Les cloches sonneront-elles encore demain? que c’est la beauté qui sauvera une France hantée par la possibilité de sa dissolution, pour peu qu’elle sache renouer avec ses traditions les plus intimes. C’est peut-être pour cela qu’il a aussi entrepris, il y a quelques années, de raconter lui aussi l’histoire de la France en faisant le choix de s’y immerger, de l’habiter totalement, pour la faire revivre comme s’il nous chuchotait une épopée. D’un livre à l’autre, Philippe de Villiers s’identifie aux personnages historiques qu’il met de l’avant, au point d’écrire leur histoire à la première personne du singulier.
C’était d’abord le cas avec Le Roman de Charette , le Vendéen abordant d’abord l’histoire de son pays à la lumière de sa petite patrie, qui incarne à la fois la dissidence la plus héroïque et la résistance au nom de l’enracinement contre une modernité qui peut être tentée d’éradiquer de la surface du globe les catégories sociales qui ne veulent pas s’y laisser dissoudre. Ce fut ensuite le cas avec Le Roman de Saint Louis , illustrant la part de la charité dans l’action des grands rois de France, ainsi qu’avec Le Roman de Jeanne d’Arc, illustrant à sa manière la figure du recours dans l’histoire de France, le désespoir ne devant jamais l’emporter même dans la pire situation, puisqu’une figure providentielle pouvant prendre le visage d’une improbable jeune fille peut toujours surgir du peuple pour renverser le cours des choses.
Une nation est aussi un mystère
Il était inévitable que Philippe de Villiers en arrive à Clovis, pour renouer avec la question la plus fondamentale, celle des origines, et plus exactement, des origines de l’identité française, qu’on mutilerait si on en effaçait la marque chrétienne. Ce retour est une authentique transgression dans une époque qui ne veut justement rien savoir des origines, sauf à la repousser dans des temps si lointains qu’elles en deviennent insaisissables, comme on l’a vu dans l’Histoire mondiale de la France de Patrick Boucheron, qui la reportait jusqu’à la grotte Chauvet, ce qui n’était qu’une manière de la neutraliser. Il faut dire que la théorie dominante en sciences sociales présente l’identité comme un flux insaisissable, qu’on ne saurait caractériser sous le signe de la continuité historique sans immédiatement la muséifier. Le désir qu’a un peuple de demeurer lui-même, on le nomme «rispation identitaire ».
Une certaine pratique de l’histoire académique, qui se croit absolument scientifique, alors qu’elle n’est qu’inconsciente de ses préjugés idéologiques, a cru pour cela nécessaire de déconstruire l’histoire des nations, comme s’il fallait aboutir à leur désagrégation. Le progressisme médiatico-universitaire a la fâcheuse tendance de confondre l’émancipation humaine avec l’annihilation du déjà-là, comme si l’homme ne devait advenir à lui-même qu’en faisant table rase. Chaque réalité historique est présentée comme un système discriminatoire à faire tomber.
Au terme de la déconstruction, il prétend fabriquer en suivant une maquette diversitaire un monde idéal. Mais c’est un monde en contre-plaqué idéologique, certifié par des sociologues patentés, certes, mais aussi aride qu’inhabitable. La modernité radicale artificialise l’existence et la rend glaciale. C’est une construction sociale déconstruite et reconstruite sans fin : un monde en toc. C’est peut-être ce que savent les gens simples et que ne savent plus les esprits sophistiqués : il est bon d’avoir une demeure et un chez-soi. Et pour cela, il faut y croire, et plus encore, croire qu’on doit poursuivre le monde qu’on nous a laissé.
Retour à Philippe de Villiers. Ce n’est pas son moindre mérite d’avoir compris qu’une nation est aussi un mystère, qui ne se laisse jamais entièrement décrypter ou dévoiler. Un peuple n’est jamais absolument transparent à lui-même. Et c’est pour cela que Philippe de Villiers nous livre en fin de compte une histoire poétique de France, qui touche les cœurs et les âmes. Un pays peut traverser des années sombres mais si, à chaque génération, il trouve quelques hommes pour entendre son chant intérieur et réveiller ses légendes, pour ensuite le reprendre et le faire connaître, il pourra toujours renaître, résister aux plus grands périls ou reconquérir sa part perdue.
En faisant revivre Clovis, Philippe de Villiers voulait rappeler à son peuple que ses origines demeurent une source de vie. Du Puy-du-Fou à son histoire poétique de France, il réveille en l’homme la disposition à l’émerveillement, qui n’est pas le privilège de l’enfance mais bien la capacité qu’a l’homme de poursuivre l’histoire du monde, et l’immense privilège qu’ont les Français de poursuivre l’histoire de la France. ■
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