Par Radu Portocala.
Ce court billet – talentueux comme les précédents – est paru hier 5 octobre sur la page Facebook de son auteur. Radu Portocala distille des souvenirs qui sonnent comme un écho dans le temps que nous vivons. Et il le fait avec un talent nostalgique et délicat qui appelle sympathie et respect. On le salue.
Dans mon enfance et mon adolescence, à Bucarest, les responsables des magasins où on vendait du café appartenaient, presque tous, à une sorte de confrérie. Certains les appelaient « les Turcs » pour la seule raison qu’on buvait du « café turc » – celui-là même que les Grecs, par fierté, ont commencé à appeler, après leur libération du joug ottoman, « café grec ». Mais les noms de ces gens finissaient presque toujours en -ian. Leurs parents étaient, certes, venus de Turquie, mais ils étaient Arméniens, réfugiés après l’horreur de 1915. Ceux qui savaient les regardaient avec compassion et sympathie.
Aujourd’hui, l’Arménie vit un nouveau martyre. Dans le silence abominable de ce monde qui se veut si juste. Des Arméniens ne viendront plus nous vendre notre café. Le patriarche arménien ne vivra plus son triste exil parmi nous. Presque rien ne nous rappellera l’Arménie – et les minables se féliciteront de cette amnésie. Peu importe, finalement, qu’on tue de nouveau les Arméniens, puisque les tueurs ont accepté de nous vendre du pétrole – petit arrangement qui flatte notre sens moral, celui-là même qui nous empêche d’acheter le pétrole russe. Nous sommes si hautement ignobles et si bassement imbéciles… La pauvre Arménie aurait tort d’attendre quelque chose de nous. » ■
En effet, je n’ai pas encore vu nos mairies et préfectures pavoiser aux couleurs arméniennes comme elles l’ont fait pour celles de l’Ukraine. Décidément, nous nous indignons quand ça nous chante.