Par Pierre Builly.
L’argent des autres de Christian de Challonge (1978).
Passez muscade !
Des films qui dénoncent les magouilles et les scandales des multinationales, des grandes banques, des chevaliers d’industrie, il y en a une bonne quantité. Disons, dans le désordre, Mort d’un pourri de Georges Lautner en 1977, La banquière de Francis Girod, Le sucre de jacques Rouffio, l’un et l’autre en 1978, Mille milliards de dollars d’Henri Verneuil en 1980, Une étrange affaire de Pierre Granier-Deferre en 1981. Remarquez bien que ces dénonciations, pertinentes et bienvenues n’ont jamais rien changé à la marche du monde et surtout à celle du monde des affaires. Mais enfin, cela permet aux cinéastes de prendre la pose et de se définir comme de valeureux combattants de la Vertu (V majuscule, évidemment).
Et souvent, dans ces dénonciations sont mis en exergue et en lumière les tripatouillages immobiliers. Sans doute simplement parce que, compte tenu des sommes mises en œuvre, il est plus facile de piquer du pognon dans ce domaine qu’en spéculant sur l’andouille de Vire ou sur les passe-lacets. Et d’ailleurs la pierre est une vieille passion française, une passion inaltérable qui fera toujours que des épargnants qui se sont privés toute leur existence des belles choses de la vie dépenseront jusqu’à leur dernier sou pour avoir leurs deux-pièces. Vieux fond romain et catholique que nous avons en nous, bien loin des spéculations éthérées anglo-saxonnes qui parient sur le succès d’entreprises improbables.
Dans la bluffante prospérité des Trente glorieuses, il y a eu quelques malversations retentissantes, dont la plus notoire est celle de la Garantie foncière où quelques escrocs, adossés à et appuyés par des hommes politiques de la majorité d’alors, qui servaient, en quelque sorte, de caution morale et de miroir aux alouettes pour les vertueux épargnants s’en sont mis plein les poches avant d’être débusqués et condamnés (mais, au fait l’argent n’avait-il pas disparu en fumée, en fumées ?). C’est un peu cette affaire qui est mise en scène par Christian de Chalonge dans L’argent des autres.
Bien sûr je ne dis pas qu’il est tout à fait aisé d’expliquer à l’écran les innombrables coups tordus qui font l’ordinaire de la chronique financière : la plupart d’entre nous ne vit pas dans ce monde, ne conçoit pas même qu’il existe, la façon dont il existe, qu’il a des liens solides avec les élus et les Pouvoirs publics (ou alors s’imagine ces liens de façon très romanesque, alors qu’ils sont bien davantage structurels), qu’il n’est pas régi par les mêmes règles et les mêmes lois. Indignez-vous ! comme disait le pitre Stéphane Hessel ; vous pouvez bien vous indigner, ça ne fera de mal à personne.
L’argent des autres serait donc un de ces films habituels, qui font frissonner d’indignation les braves honnêtes gens comme vous et moi ? On ne demanderait que ça et la distribution, de grande qualité, mériterait une excellente note : Jean-Louis Trintignant, qu’on n’a jamais vu médiocre au cinéma, Catherine Deneuve, Michel Serrault, Claude Brasseur et, en deuxième rideau Gérard Séty, François Perrot, Juliet Berto (beaucoup plus glamour qu’Arlette Laguillier, qu’elle incarne) et au troisième rang Raymond Bussières, Michel Delahaye ou Jean-François Dérec. Tout ça n’est pas mal, n’est-ce pas ?
Et pourtant le film est catastrophique, embrouillé, ennuyeux, incompréhensible. On voit bien où le réalisateur veut en venir, on devine, sous-jacente, l’intrigue, mais on se perd dans des péripéties qui s’accumulent sans qu’on y adhère. Je répète que je suis sceptique sur l’intérêt – ou plutôt le bénéfice – de ces dénonciations ; mais au moins je ne souhaite pas m’enquiquiner dans une sorte de brouillardeux scénario. Et là, c’est raté. ■
DVD : autour de 15 €.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.