Par Aristide Renou.
Bruno Le Maire est-il intelligent ? Je veux dire, vraiment intelligent ?
A priori la réponse semblerait devoir aller de soi. Après tout, son cursus universitaire est impressionnant : ENS Ulm, Science-Po, ENA… Il ne faut pas être un imbécile pour être admis dans ces établissements et en ressortir diplômé. Je sais bien que, sur un malentendu, beaucoup de choses peuvent arriver… mais quand même pas trois fois de suite.
Politiquement il a su mener sa barque, c’est incontestable. A 53 ans il a déjà occupé des postes importants et nul doute qu’il pense en se rasant le matin aux postes plus importants encore qu’il lui reste à conquérir… Quo non ascendet ? se dit sûrement in petto notre surintendant des finances.
(Oui, le latin c’est cool. Et puis ça fait intelligent. Enfin, cultivé du moins. Moi aussi j’ai été aux écoles.)
Seulement voilà : pour quelqu’un d’intelligent, Bruno Le Maire se conduit parfois tout à fait comme un imbécile, à tel point que quelqu’un de non prévenu pourrait entièrement s’y tromper.
Cette histoire de col roulé, par exemple.
Ce matin encore, sur la ROFSB© (La Radio Officielle de la France qui Sent Bon, pour ceux qui ne suivent pas) je l’entendais se défendre, avec une amertume perceptible : « Jamais je n’ai préconisé de porter un col roulé ! Chacun fait bien évidemment ce qu’il veut, cette polémique est lamentable. » (En substance).
Et il est bien vrai que notre surintendant des finances n’a jamais enjoint ouvertement à ses administrés de porter un col roulé. Il a juste dit « vous ne me verrez plus en cravate » et a promis de porter des cols roulés pour faire des économies d’énergie.
Mais il faut être bien sot, ou politiquement très naïf, pour ne pas comprendre que ce qui est simple expression d’un choix personnel pour un particulier prend nécessairement une coloration différente dans la bouche d’un ministre.
Lorsque Bruno Le Maire parle de mettre des cols roulés, il le fait pour bien montrer que les ministres prennent leur part des efforts imposés aux Français. Bref, il DONNE L’EXEMPLE, et comme il est ministre, donc en charge de la direction du pays, cela ne PEUT PAS ne pas passer pour un conseil donné A TOUT LE MONDE concernant la meilleure manière de faire face à la hausse vertigineuse des prix de l’énergie.
Avec ses cols roulés, Monsieur le ministre conseille paternellement et implicitement aux Français de s’habiller plus pour avoir moins froid. Bref, Bruno Le Maire fait du « Ils n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent de la brioche ! » sans le savoir.
On attend avec impatience d’autres conseils implicites de notre surintendant des finances.
« Pour manger moins (tout est devenu si cher), je fais des petites bouchées, je mâche lentement, et j’attends au moins cinq minutes avant de me resservir. » ( Sous-titre clignotant : VOUS DEVRIEZ ESSAYER)
« Pour économiser l’essence (le carburant est devenu si cher), je fais davantage de marche à pied et de vélo. Lorsqu’il pleut, c’est vivifiant ; lorsqu’il fait froid c’est tonifiant ; lorsque je suis pressé je dois courir et c’est encore meilleur pour la ligne. » (Sous-titre fluorescent : AVEZ-VOUS PENSÉ À EN FAIRE AUTANT ?)
« Lorsque je fais la petite commission, je ne tire la chasse qu’une fois sur deux. Plus ce serait du gaspillage. Bien sûr, si c’est popo, je tire la chasse, mais parfois, pour les petits popo, une demi-chasse suffit. C’est important les petits gestes pour la planète. (Sous-titre en lettres de feu : AVEZ-VOUS PENSÉ AUX TOILETTES SÈCHES ?)
Il y a quelque jours, notre bon ministre s’est fendu sur sa page Facebook d’un texte de 840 mots et 5000 signes. Un texte qui commence par « Pardonnez-moi de vous déranger pour un col roulé » et qui se termine un appel pathétique à préserver l’héritage des Lumières et à ne pas devenir « une meute ».
840 mots pour nous dire que cette histoire de col roulé n’est pas grave du tout, pas importante, que bien sûr il n’a jamais voulu donner de conseil vestimentaire aux Français, oh ça non, que, évidemment « l’humour est l’hygiène du pouvoir » mais que bon, quand même, il a « une certaine idée de la France » et qu’il ne « lâchera rien sur [ses] idées » (y compris, on suppose, sur son idée de porter un col roulé).
Autant de mots pour enfiler autant de clichés et débiter autant de bêtises, autant de phrases pour dire qu’on n’est pas vexé du tout et qu’on n’a pas voulu dire ce que tout le monde peut constater qu’on a dit, autant de mots pour remettre des pièces dans un juke-box dont on se plaint qu’il joue, c’est presque encore plus consternant que sa promesse initiale de ne plus se montrer en cravate.
Car non, Monsieur le ministre votre parole n’est pas « une parole parmi les autres ». C’est la parole d’un ministre. Et lorsqu’on vous parle de l’augmentation des prix de l’énergie et que vous répondez : « personnellement je mettrai dorénavant des cols roulés », cela devient nécessairement une réponse gouvernementale au problème de l’augmentation des prix de l’énergie. Prétendre le contraire, n’est pas bien malin, ou alors c’est nous prendre pour des imbéciles, ce qui n’est pas bien malin.
Et donc j’ai la réponse à ma question.
Vous savez quoi, Monsieur le ministre ? Vous devriez arrêter d’essayer de dire des trucs. Ça vous fatigue, déjà, et pour les autres vous ne vous rendez pas compte de ce que c’est… ■
Précédemment paru sur la riche page Facebook de l’auteur (11 octobre).
Sur ma page FB personnelle, j’ai écrit : « On emprunte beaucoup à Aristide Renou… Simplement parce que c’est vraiment très bien. (…) On salue ! ». C’est fait ! Gérard POL
Tout d’abord l’intelligence n’est pas universelle , on n’est pas intelligent en tout et encore moins en toutes circonstances . « Intelligere » en latin veut dire « comprendre » c’est explicite.
Ensuite il s’agit en l’occurrence de tact de psychologie de finesse voire d’éducation. Les usages et la politesse en font partie. On est sensitif ou on ne l’est pas et savoir ce qui se dit , ce qu’ il faut dire et à qui le dire n’est pas qu’une question d’intelligence mais de codes sociaux ..
Ce n’est pas le cas de mr Lemaire, il n’est pas stupide mais il n’est pas fin psychologue et il ignore l’empathie, son intelligence est ciblée orientée et fractionnée ,, si elle existait dans tous les domaines et qu’ en plus il ait assez d’humilité pour se poser des questions il serait un génie et un saint..
Il en est loin.
On peut, à mon avis, poser la question différemment : Bruno Lemaire est-il bête ou sot ?
La réponse se trouve dans le nouveau dictionnaire universel des synonymes de la langue française de François Guizot ( 1848 – T 1 p 127) :
« La bêtise ne voit point ; la sottise voit de travers. Les idées bornées, voilà ce qui constitue la bêtise ; les idées fausses, voilà l’apanage de la sottise….La bêtise simple suppose au moins une sorte de modestie dans celui qui se tient à sa place ; la sottise indique la suffisance de celui qui veut s’élever au-dessus de sa portée. On peut être sot sans être bête : il ne faut que la suffisance, qui fait qu’on se croit plus d’esprit qu’on en a…La dénomination de sottise s’applique à toute espèce d’orgueil mal placée. Un grand seigneur a de la hauteur, mais un parvenu a de la sottise. La bêtise est nulle et ennuyeuse ; la sottise bavarde et incommode… »
Cette citation mensongère et calomnieuse attribuée à Marie-Antoinette pourrait effectivement être attribuée à un politicien républicain dédaigneux et menteur de surcroît !« Ils n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent de la brioche ! »
Merci à Noël Stassinet qui sait faire la différence entre les pamphlets sur la reine et sa parole et qui rétablit la vérité sur la propagande en vogue.