PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cet article est paru dans Le Figaro de ce samedi 15 octobre. Nous n’y ajouterons pas de commentaires, laissant ce soin, s’il y a lieu, aux lecteurs parfaitement compétents et talentueux de JSF. Une exception assez remarquable, en effet. Entre les sites qui n’ont pas ou presque pas de commentaires – ou pas du tout – et ceux où ils sont nuls et parfois ridicules. Ce n’est pas le cas ici, de façon très générale.
CHRONIQUE – À travers ce défi des règles, on assiste à un rejet des mœurs françaises et à une prise de possession territoriale et culturelle.
« Les nations occidentales sont invitées à s’effacer de l’histoire, pour s’excuser du mal qu’elles ont infligé à l’humanité depuis l’expansion européenne engagée en 1492 – et depuis bien avant, pour peu qu’on leur reproche aussi les croisades »
On parle beaucoup, depuis quelques semaines, des atteintes à la laïcité, qui se multiplient dans les écoles et lycées français. Même le ministre Pap Ndiaye, qui n’hésitait pas, il y a peu, à se montrer bien sévère avec l’universalisme républicain, s’en inquiète. Plusieurs y voient une prise de conscience tardive, mais nécessaire. Il faut dire que sa fonction l’y oblige, et que les islamistes mènent une campagne organisée d’infiltration de l’école, en poussant les jeunes musulmans à défier les règles entourant le port de signes religieux ostentatoires. La conquête des esprits s’opère par la conquête des corps, et plus particulièrement, par la conquête du corps des femmes, sur lesquelles les islamistes entendent exercer une pleine souveraineté. Le vêtement, plus que jamais, devient un champ de bataille identitaire. Ceux qui s’entêtent à présenter le voile comme la simple expression d’une préférence spirituelle individuelle sont de vilains farceurs ou de très mauvais sociologues.
Il n’en demeure pas moins que le concept d’« atteintes à la laïcité » demeure à la surface des choses, et témoigne d’une vision exagérément formaliste de la pénétration islamiste, et de la culture française qui en est la cible. En fait, ces atteintes à la laïcité sont tout autant des effets du basculement démographique qui frappe un nombre croissant d’écoles en France.
Car le discours islamiste n’aurait pas autant d’écho s’il ne trouvait une population musulmane de plus en plus nombreuse qui lui est sensible. Il ne s’agit pas d’assimiler l’islam à l’islamisme, mais de rappeler, c’est simple évidence, que plus la population musulmane augmentera, et plus le nombre d’islamistes sera susceptible d’augmenter, même si ces derniers demeurent minoritaires parmi les premiers. Et de rappeler, puisqu’il faut le faire, que ce sont les minorités militantes qui font l’histoire, et non les majorités passives.
Un professeur comprend spontanément, aujourd’hui, qu’il n’est pas en position de force s’il demande à une collégienne ou lycéenne de retirer son voile. À travers ces atteintes à la laïcité, on assiste à un rejet des mœurs françaises et à une prise de possession territoriale et culturelle. Car il existe aujourd’hui un islam de combat, un islam de conquête, même, «revanchiste» et militant, qui entend construire d’une génération à l’autre une souveraineté musulmane en Europe, pour finalement la soumettre. Tout cela ne se jouera pas en un quinquennat, ni en deux, ni même en trois. Mais peu à peu, le paysage démographique et identitaire de la France se modifiera. Un pays ne peut pas être absolument indifférent à la population qui le compose, ce que notait déjà Aristote dans sa Politique. Si la France était peuplée de Japonais, elle ne serait plus française, mais japonaise. Et si le Sénégal était peuplé de Danois, il ne serait plus sénégalais, mais danois.
Mais la démocratie contemporaine ne sait plus reconnaître un peuple, et se réfugie dans une philosophie désincarnée qui pousse à l’écartèlement la nationalité et l’identité, la première ayant de moins en moins rapport avec la seconde. Plus encore, on s’appuie sur la première, reformatée dans la matrice diversitaire et inclusiviste, pour déconstruire la seconde, traitée à la manière d’une matière résiduelle. Toutes les sociétés occidentales connaissent une telle inversion de leur référence identitaire, où la puissance publique se retourne contre ceux qui voudraient assurer la continuité de la patrie historique, pour les présenter comme des réactionnaires incapables de comprendre les signes des temps, et d’embrasser la civilisation post-occidentale. Les nations occidentales sont invitées à s’effacer de l’histoire, pour s’excuser du mal qu’elles ont infligé à l’humanité depuis l’expansion européenne engagée en 1492 – et depuis bien avant, pour peu qu’on leur reproche aussi les croisades. C’est en consentant à devenir minoritaires chez elles qu’elles pourront expier leurs péchés.
Il faut se projeter dans cinquante ans, quand la mutation démographique sera à ce point avancée que le rapport de force sera définitivement inversé entre le peuple historique français et le nouveau peuple battant pavillon diversitaire. Il ne sera tout simplement plus possible, alors, d’imposer la laïcité à une société qui n’en voudra plus, et qui y verra le dernier symbole d’un Ancien Régime à faire tomber pour que naisse la France post-française, la France musulmane. On se révoltera contre elle à la manière de la charge finale contre les derniers restes de la vieille France. À moins que la classe dirigeante, anticipant ce basculement, et voulant préserver ses positions dans le nouveau régime, ne multiplie les «accommodements raisonnables», à la manière de concessions anticipées au nouveau maître, et cela, au nom de l’ouverture à l’autre et de l’exigence décoloniale, qui ironiquement, aura pavé la voie à la domination islamiste. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Comme d’habitude, Bock-Côté fait une analyse acérée de la situation et de sa probable évolution mais sans le dire. Du côté des gauchistes destructeurs comme des identitaires, l’islamisme est présentée comme une menace et non comme une réalité pouvant déboucher sur un basculement politique et civilisationnel. En clair, la République laïque ne peut être abattue et remplacée par une République islamique. Or, il n’en ai est rien et cela peut venir très vite à présent vu la pente de notre dégringolade. Compte tenu de la rapidité du changement de population et de l’infiltration dans tous les rouages de la société, dans une génération ( soit 30 ans environ ), nous y serons. Je pense d’ailleurs que pour les islamistes, la France est une cible privilégiée du fait de la complicité de notre ploutocratie nationale bien utile à leur stratégie de conquête. Mais surtout, la chute de la France dans l’escarcelle de l’Islam aurait valeur de symbole et de revanche pour eux.
Article lucide, hélas pourrait-on dire. Il faut noter que les vieux peuples historiques européens et la civilisation européenne ont deux ennemis, qui oeuvrent main dans la main, quoique chacun à son niveau : l’oligarchie mondialiste, voulant transformer les hommes en matière humaine indifférenciée, pour reprendre l’expression de Renaud Camus, tout juste capable de se divertir, de travailler et de consommer, conditionnée par l’abrutissement médiatique, oublieuse de son passé, et de l’autre côté, le gauchisme woke pro-islamiste, immigrationniste, sans-frontièriste, dont le but est d’effacer notre civilisation, de détruire ses cultures. Soros, Attali, Mélenchon et Sandrine Rousseau, même combat.
On ne peut que cautionner ces analyses évidentes…
Permettez cet ajout à l’analyse de M. Mathieu BOCK-COTE « …plus la population musulmane augmentera, plus le nombre d’islamistes augmentera, parce que les musulmans, DE GRE ou DE FORCE ( Voir Guerre d’Algérie) se rallieront à l’islamisme ».