PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cet article est paru dans Le Figaro de ce samedi 22 octobre. Que les politiciens veuillent attirer vers eux la réaction de la France profonde n’a rien d’étonnant et, en un sens, rien d’illégitime, sous un régime où personne, aucune Institution, de fait, n’assume vraiment la transcendance du Bien Commun de la nation, telle qu’elle nous vient de l’Histoire, et telle qu’il nous est échu d’y naître. En tout cas, freiner la réaction du pays, la soutenir du bout des lèvres ou ne pas s’y associer de grand cœur, serait une faute contre le patriotisme le plus légitime. Nous n’ajouterons rien de plus, laissant ce soin, s’il y a lieu, aux lecteurs parfaitement compétents et talentueux de JSF. Une exception assez remarquable, en effet. Entre les sites qui n’ont pas ou presque pas de commentaires – ou pas du tout – et ceux où ils sont nuls et parfois ridicules. Ce n’est pas le cas ici, de façon très générale.
CHRONIQUE – Cette accusation n’est-elle pas l’autre nom d’un monopole revendiqué par la plus grande part du système médiatique sur l’interprétation légitime des phénomènes sociaux ?
« L’histoire de Lola aura réactivé l’antifascisme carnavalesque des tartufes : la véritable récupération politique n’était-elle pas là ? »
De quelle manière parler du martyre de la petite Lola ? Le concept de fait divers est inadéquat, même si on prend la peine d’ajouter qu’il est atroce, pour marquer son caractère exceptionnel, qui nous plonge au cœur du mystère du mal. Son caractère nous empêche d’y voir aussi une manifestation parmi d’autres, quoique extrême, de la délinquance qui a transformé l’insécurité généralisée en fait de société. Cela exige de faire preuve de discernement, de finesse, ce qui ne devrait pas interdire de réfléchir aux dimensions sociologiques et collectives de ce drame, notamment lorsqu’on a constaté que la meurtrière présumée avait reçu une OQTF, et plus encore lorsqu’on fut bien obligé d’avouer qu’il n’est pas si rare que des individus dans la même situation illégale commettent des crimes violents contre les Français.
Très vite, toutefois, ce discernement fut interdit, sous prétexte d’empêcher toute «récupération» politique. Le terme était vague, presque indéfinissable, mais plein de reproches. Il y aurait en ce pays des «charognards», des «ordures», même, ces mots furent utilisés, qui chercheraient à instrumentaliser de cynique manière le calvaire de Lola, pour occuper l’espace politique.
Qui a voulu, cette semaine, jouir de son appartenance au consensus médiatique devait impérativement dénoncer les «récupérateurs», en se réclamant de la «dignité» et de la «pudeur». Qui se joignait au chœur des accusateurs envoyait par là un signe de vertu ostentatoire à la caste médiatique, peut-être aussi dans l’espoir d’y appartenir. La colère populaire fut culpabilisée par les prescripteurs de sentiments autorisés. On a même répété en boucle que la famille elle-même s’opposait aux manifestations. C’était faux, mais le régime se montre indifférent à la vérité, et a surtout le souci de conserver la maîtrise du récit médiatique et de neutraliser symboliquement les événements qui pourraient le fragiliser.
Les «récupérateurs» sans vergogne furent associés, sans surprise, à l’«extrême droite». Et comme tous les chemins mènent à Rome, tous les discours mènent à la dénonciation de l’extrême droite, comme si l’idéologie dominante était à ce point enfermée dans cette dénonciation rituelle qu’elle ne savait pas réagir autrement. En un semaine, l’histoire principale s’est inversée. Elle concernait d’abord Lola, elle concerne finalement cette puissance malveillante que serait le populisme identitaire, discours de hyène faisant scandale de tout malheur pour abattre la République. L’histoire de Lola aura réactivé l’antifascisme carnavalesque des tartufes: la véritable récupération politique n’était-elle pas là ? Quant à l’accusation de récupération, n’est-elle pas l’autre nom d’un monopole revendiqué par la plus grande part du système médiatique sur l’interprétation légitime des phénomènes sociaux ?
On s’est vite demandé toutefois à partir de quels critères on peut distinguer une colère populaire légitime d’une autre qu’on doit refouler. Ainsi, il était indécent d’exposer sur les réseaux sociaux le visage de Lola. Mais ceux qui disaient cela étaient souvent les mêmes à avoir diffusé, il y a quelques années, la photo du petit Aylan. De même, il était, nous disait-on, ignoble de manifester pour la mémoire de Lola. Mais pourquoi n’était-ce pas le cas, il y a deux ans, après l’affaire George Floyd, qui a conduit aux émeutes ethniques sous la bannière de Black Lives Matter ? Quel est le mécanisme derrière ces indignations sélectives ?
On comprend qu’un principe inavouable mais bien réel structure la vie publique. Si la victime peut être considérée comme appartenant aux catégories historiquement « discriminées » par la civilisation occidentale, on y verra un fait sociologique avec une dimension systémique. On parle ici des «minorités». Mais si la victime appartient à ce que la sociologie diversitaire associe au groupe majoritaire, il ne faudra y voir qu’un fait divers qui d’aucune manière ne devrait remanier la trame de fond du débat public et nous amener à nous mobiliser, pour qu’une telle histoire n’arrive plus ou, en tout cas, le moins souvent possible.
De cette semaine éprouvante, on retiendra une leçon: le système médiatique conserve une capacité exceptionnelle de manipulationde l’opinion et sait la retourner sans trop d’efforts, en jouant sur le registre de l’intimidation. Le récit médiatique dominant embrouille le rapport au monde au point de le falsifier, et condamne chacun à faire un effort immense pour décrypter le sens des événements, en se délivrant de la tutelle de la nouvelle Pravda. N’aurait-il pas été plus sain de pleurer simplement le sort de cet enfant sans diaboliser ceux qui voulaient exprimer leur refus fondamental d’une société rendant son calvaire possible ? ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.