PAR RÉMI HUGUES.
Avant les historiens du Pays légal affirmaient que la France n’est pas née avec le baptême de Clovis mais en 1789, lors de la Révolution. Il semble que leur discours ait quelque peu évolué. Ce ne serait pas la royauté franque (mérovingienne, puis carolingienne, puis capétienne) qui aurait bâti la France, au contraire notre pays se serait créé en négatif de la volonté de puissance de rois tyrannisant leurs sujets ; des sujets contraints, outre les prélèvements fiscaux, à vouer un culte à leur personne au moyen d’une coercition impitoyable.
Il est vrai que le moi national peut s’établir par le truchement de la confrontation à l’autre ; par exemple, le colonialisme anglais a créé le sentiment national français, nos guerres révolutionnaires ont fait naître le volke de Fichte, les impérialismes de Napoléon Ier, des Habsbourg, ont permis le triomphe du mouvement nationalitaire italien sur le campanilisme caractéristique de la péninsule, et plus récemment, l’identité nationale palestinienne s’est forgée du fait d’Israël, comme l’opération spéciale russe exalte le sentiment patriotique du protéiforme peuple d’Ukraine, par un jeu dialectique.
L’on ne peut dénier une certaine profondeur heuristique à la thèse développée par Alphée Roche-Noël dans La France contre le monarque. De l’An Mil à nos jours[1], lequel, dans le sillage des historiens Arlette Jouanne, Fanny Cosandey et Robert Descimon, entend renouveler l’historiographie républicaine.
Dans ce volume son propos consiste à présenter « une histoire à front renversé, où la France ne serait pas sortie de la volonté de monarques-démiurges, mais se serait révélée, dans une large mesure, contre cette même volonté. L’histoire d’un affrontement, à tout le moins d’une tension. » (p. 11) Soit le contre-pied exact de la vision héritée de Maurras et Bainville.
Au moins les deux écoles historiographiques sont d’accord sur un point : Royauté et République sont comme l’eau et l’huile ; alors qu’une école plus « centriste », impulsée par Alexis de Tocqueville dans L’Ancien régime et la Révolution (1856), considère que ces deux régimes participent du même processus de centralisation étatique. Roche-Noël souligne cette équivalence des contraires en citant un extrait de l’essai d’Arlette Jouanna Le Pouvoir absolu. Naissance de l’imaginaire politique de la royauté, où elle pose qu’il y a « deux modèles d’identification politique, antagonistes mais intellectuellement liés : la monarchie absolue et la République » (cité p. 11)
Cette confrontation entre ces deux modèles, Roche-Noël l’appelle opposition entre le Commun et l’Un, soit respectivement les paradigmes républicain et monarchique ; « l’Un » étant une référence à La Boétie, plus précisément au sous-titre de ou le Contr’Un de son célèbre Discours sur la servitude volontaire (1576).
Et il vise à démontrer que depuis l’An Mil jusqu’à aujourdʼhui cette « tension non encore résolue entre ‟la France” et ses ‟monarques” » travaille au corps la société française. Ainsi, à ses yeux, même sous le régime républicain, perdurerait « l’Un ». Ce qui paraît évident, effectivement, depuis que de Gaulle a instauré la Ve République. Mais cette rupture de 1962 – année où les Français valident la présidentialisation pleine et entière du système via l’élection au suffrage universel du chef d’État –, qui en fait était un retour à 1848, n’apparaît pas dans le découpage chronologique élaboré par l’auteur, qui est pour le moins déséquilibré : An Mil-1415 : temps des villes ; 1415-1610 : temps des institutions ; 1610-1789 : temps des révoltes ; 1789-1795 : temps de la nation ; 1795-1871 : temps du peuple ; 1871 à nos jours : temps de la société. Soit une période de six années cohabitant avec des phases longues d’un siècle et plus. Ce bornage temporel inégal du point de vue quantitatif accorde en tout cas à la Révolution de 1789 l’importance qu’elle mérite.
Pour notre auteur l’histoire de l’Ancien régime est d’une simplicité biblique : le peuple aurait vécu harmonieusement sans la présence de l’Un, ce monarque qui avait Noblesse et Clergé pour vils complices. Tel Friedrich Engels qui se prononça pour la réhabilitation des anabaptistes de Münster, lesquels condamnaient à mort les voleurs et interdisait la lecture de tout autre livre que la Bible, page 28 Roche-Noël évoque pour étayer sa thèse les capuchonnés du Puy-en-Velay qui en 1182 se révoltent « pour faire appliquer la Paix de Dieu, qui contestent la hiérarchie trifonctionnelle et finissent par s’attirer les foudres de la noblesse comme du clergé. »
Certes, il pouvait exister une tension entre les gouvernés, d’ascendance gauloise, et les gouvernants, d’ascendance franque, mais tension qui est à doublement relativiser. D’abord l’Église, lieu par excellence du brassage inter-ethnique, atténuait cet antagonisme né des invasions barbares. Ensuite, la lutte la plus féroce de l’Ancien régime se jouait entre les « post-Francs », c’est-à-dire à l’intérieur de la noblesse, comme l’atteste l’épisode de la Fronde[2]. ■ (À suivre).
[1]Paris, Passé composés, 2022.
[2]Voir ma précédente analyse sur le sujet : « Soyons honnêtes: à l’origine, la naissante monarchie française est une affaire de grand remplacement. De grand remplacement non par la masse, par la base, mais par le haut. Aux élites politiques réexultées d’une hybridation entre l’envahisseur romain et l’autochtone gaulois se sont substituées une race conquérante venue des Bouches-du-Rhin », https://www.jesuisfrancais.blog/2022/06/03/le-grand-manifeste-royaliste-a-120-ans/
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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