Par Nicolas Baverez.
Cet article est paru dans Le Figaro de lundi dernier 24 octobre. Il y a déjà assez longtemps qu’aux yeux de ses confrères, de ses lecteurs, des journalistes, des politiques eux-mêmes, Nicolas Baverez porte ce que Barrès appelait « l’uniforme des hautes préoccupations ». Celui de la rigueur, de la compétence, de la lucidité sérieuse. Le voici ici qui apporte en quelque sorte sa caution à la constatation qui fait aujourd’hui largement consensus, sinon de la mort, du moins de l’agonie du couple franco-allemand. De Jean-Loup Bonnamy à Louis-Joseph Delanglade, tout deux, d’ailleurs, publiés ces jours derniers dans Je Suis Français. Quant aux perspectives de survie de « la cathédrale européenne », il y met de telles conditions, qu’il semble bien ne pas y croire lui-même. Ce sont sans nul doute des situations nouvelles vers quoi s’oriente l’Europe. Bonnes ou mauvaises, ou pour partie bonnes et mauvaises à la fois, elles s’imposeront à nous et tous y joueront leur destin. L’Histoire revient au premier plan à portée de notre regard qui s’en était déshabitué et la retrouve soudain.
CHRONIQUE – L’Allemagne a toujours âprement défendu ses intérêts en Europe, notamment ceux de son industrie. Quand la France se contente de parler de souveraineté, l’Allemagne l’exerce.
Entre Paris et Berlin, rien ne va plus. Le report sine die du Conseil des ministres franco allemand prévu à Fontainebleau le 26 octobre trouve son origine dans une suite de divergences qui tourne à la crise ouverte.
La guerre en Ukraine a fait exploser les tensions, en déstabilisant l’Europe et en poussant l’Allemagne vers une stratégie «Germany First» pour répondre à la remise en question de son modèle fondé sur la dépendance au gaz russe, le faible coût des services, les exportations industrielles vers les Brics et la délégation de sa sécurité aux États-Unis. Berlin a cherché à limiter sa vulnérabilité et à sauvegarder ses intérêts à tout prix, quitte à heurter ceux de ses partenaires, notamment ceux de la France. La liste des contentieux est désormais interminable.
Berlin, qui porte une responsabilité majeure dans la mainmise progressive de la Russie sur l’approvisionnement énergétique de l’Europe, freine des quatre fers le plafonnement du prix du gaz, la réforme du marché européen de l’électricité et la déconnexion de son prix de celui du gaz, tout en continuant son travail de sape contre le nucléaire. Le lancement d’un plan de soutien de 200 milliards d’euros tourné vers les entreprises, après un premier programme de 100 milliards, crée des distorsions de concurrence dévastatrices pour l’industrie européenne.
Dans le domaine de la défense, l’achat de F-35 pour 40 milliards d’euros va de pair avec l’enlisement des projets d’avion et de char du futur. Le projet de pilier européen de l’Otan est annihilé par la priorité donnée au repositionnement de l’Allemagne comme la plateforme logistique de l’Alliance dans le cadre de la défense de l’avant contre la Russie et par la proposition de créer un dôme de fer antimissile propre à l’Europe orientale. Enfin, la vision développée par Olaf Scholz à Prague d’une Union élargie à trente ou trente-six pays et gouvernée à la majorité qualifiée revient à sanctuariser le leadership de Berlin, qui pourrait s’appuyer sur la galaxie des pays d’Europe centrale, balkanique et du nord, face à une France isolée et une Europe du Sud marginalisée.
Le divorce brutal entre Paris et Berlin s’explique certes par l’accumulation des chocs, qui contraste avec la faiblesse des dirigeants. Mais il renvoie aussi à des facteurs plus profonds.
Le couple franco-allemand relève largement du mythe. Un mythe asymétrique, cultivé par Paris pour tenter de compenser le décrochage de la France, tout comme le Royaume-Uni cherche à masquer son déclin par la grande illusion d’une relation spéciale avec les États-Unis. L’Allemagne a toujours âprement défendu ses intérêts en Europe, et notamment ceux de son industrie. Quand la France se contente de parler de souveraineté, l’Allemagne l’exerce. C’est ainsi qu’elle fit financer sa réunification par ses partenaires à travers les taux d’intérêt élevés des années 1990, qu’elle restaura la puissance de son industrie grâce à la dévaluation compétitive réalisée par l’Agenda 2010, qu’elle configura le marché européen de l’énergie pour accompagner sa sortie du nucléaire, qu’elle ouvrit les frontières de l’Union aux migrants pour résoudre son déficit de main-d’œuvre, qu’elle exporta le «Dieselgate» de Volkswagen à l’ensemble de l’industrie automobile européenne, qu’elle prit le contrôle de la politique européenne de l’espace.
L’intransigeance de l’Allemagne dans la défense de son modèle mercantiliste s’est nourrie des faiblesses de la France, qui a choisi de cesser d’être une terre de production pour privilégier la consommation à crédit. L’imputation à l’Allemagne des malheurs français ne tient pas. Ce sont les dirigeants français qui ont organisé la désindustrialisation de notre pays, la liquidation de ses pôles d’excellence – l’agriculture, l’automobile et l’énergie et demain peut-être l’armement -, l’euthanasie du travail, l’addiction à la dépense et à la dette publiques (113% du PIB contre 68% pour l’Allemagne). Ce sont eux qui ont institutionnalisé la dépendance financière à l’Allemagne, en entretenant l’idée fallacieuse qu’elle garantirait de manière illimitée la dette française à travers l’euro. L’écart de puissance économique et financière qui s’est creusé permet d’autant moins un partenariat équilibré que le risque de choc financier sur la France est illustré et renforcé par la panique financière qui a frappé le Royaume-Uni.
Le fossé qui se creuse entre la France et l’Allemagne menace de ruiner la cathédrale européenne. Elle peut encore être sauvée mais à trois conditions: le redressement de la France indissociable de la défense de ses intérêts en Europe ; la remise en question par l’Allemagne de son modèle mercantiliste ; la construction d’une Union politique qui articule souveraineté nationale et souveraineté européenne. ■
Le divorce entre la France et l’Allemagne est une bonne nouvelle pour l’avenir de la France. Avant 1958, il y avait une politique Franco-Anglaise. Mais cette stratégie ne plaisait pas à de Gaulle, qui mit la France dans les mains de l’Allemagne. Ce pays coupé en deux, avec sa petite capitale de province, Bonn, avait besoin du bras Français. Ce n’est plus le cas depuis sa réunification et sa prestigieuse capitale Berlin. Le traité de l’Elysée signé en 1963, reste un échec car vidé de sa substance par le Président Kennedy. De Gaulle devait savoir que l’Allemagne depuis 1945, n’est plus un pays souverain, mais sous la tutelle des Etats-Unis.