Cette chronique est parue dans le Figaro du 2 novembre. Elle nous a paru assez lucide et globale pour que nous la proposions aux lecteurs de JSF. Nous n’y ajouterons rien. Sauf, cependant, qu’il manque sans-doute à la mouvance foisonnante dite « réac » pour prendre l’ascendant qui lui manque et qui laisse à la gauche la domination qu’elle continue, en effet, d’exercer, cette rigueur, cette radicalité (au vrai sens qui est d’aller jusqu’aux racines des choses et des phénomènes) que l’école maurassienne de jadis avait plus ou moins imposées à ceux qui entendaient réagir au déclin français ou, en tout cas, dont l’autorité était respectée par tous, y compris, souvent, par ses adversaires. Il ne suffit pas aux idées de foisonner, d’être exprimées avec force et talent. Il leur faut aussi, sans nuire à leur diversité, à leur créativité, qu’elles s’unissent sur un corpus politique, intellectuel et moral, cohérent, global, et, au sens que nous avons dit, radical. Sans cet effort d’unité et de cohésion, la mouvance dite « réac » continuera de briller et la pensée de gauche de dominer. Et le péril grandira. L’« angor patriae » manque sans-doute cruellement à droite et ailleurs pour que monte, dans les circonstances où nous sommes, une vraie pensée qui sauve !
CHRONIQUE – Dans Postures médiatiques, André Perrin ausculte le deux poids deux mesures permanent et le politiquement correct sur le service public. Savoureux.
Il semble que la vie des idées en France soit divisée en deux planètes ayant rompu toute communication entre elles. Sur la planète de droite, on pense que c’est la gauche qui domine, qu’elle impose sa doxa et qu’«on ne peut plus rien dire» dans notre pays sans s’attirer ses foudres. Sur la planète de gauche, on estime au contraire que la droite a gagné la bataille culturelle et que ses idées «nauséabondes» sont désormais dominantes en France.
Les réacs sont partout! Du livre Le Rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires de Daniel Lindenberg à La Grande Confusion. Comment l’extrême droite a gagné la bataille des idées de Philippe Corcuff, c’est même devenu un genre sociologique à part entière. Dans un monde où être minoritaire est un bonus, chacun clame appartenir au camp des perdants. Alors qui a raison, qui a tort? Le livre d’André Perrin Postures médiatiques. Chronique de l’imposture ordinaire (l’Artilleur), nous offre un début de réponse.
Dans ses chroniques publiées dans la revue Commentaire entre 2020 et 2022, et aujourd’hui réunies dans ce livre, il se fait l’entomologue minutieux du politiquement correct tel qu’il se déploie sur le service public et dans les journaux (il ne regarde jamais les chaînes d’information continue). De la chanson Jésus est pédé sur France Inter au traitement uniquement à charge de la question de la pédophilie dans l’Église de France, en passant par l’omniprésence des «violences policières» et les perles du féminisme médiatique, tout passe au fil de sa plume. Le livre d’André Perrin est un bonheur de lecture, tant il excelle à mettre en exergue le deux poids deux mesures permanent, l’approximation et même les fakenews éhontées des donneurs de leçon professionnels qui nous admonestent sur les ondes quotidiennement.
André Perrin est loin d’être un extrémiste. Il confesse avoir voté deux fois Mitterrand au XXe siècle et trois fois Bayrou au XXIe. Cet agrégé de philosophie, ami de Jean-Claude Michéa, inconnu des médias, s’était fait remarquer il y a quelques années par son livre Scènes de la vie intellectuelle, où il relatait comment le débat avait laissé place à l’intimidation sur la scène médiatique. Cet esprit libre, fin, acéré ne se complaît pas dans un politiquement incorrect de posture et refuse tout parti pris idéologique. Le résultat de cette plongée dans le politiquement correct médiatique est sans appel.
Si la droite est dominante dans le champ politique (73 % des Français se disent de droite ou du centre), la gauche domine toujours le champ culturel. Les professeurs, les journalistes et les artistes, qui sont les principaux vecteurs de la transmission sont majoritairement de gauche. N’en déplaisent à ceux qui voient dans les 2 % de points d’audience de CNews un péril pour la démocratie et le retour des heures les plus sombres, le service public délivre matin, midi et soir un catéchisme bien-pensant (et il est révélateur, remarque André Perrin, qu’on ait appelé le créneau de deux minutes ouvert sur France Inter à des éditorialistes de droite «En toute subjectivité», sous entendant que l’information délivrée par les journalistes de gauche de la radio était elle «objective»).
Défenseur sourcilleux de la liberté d’expression, il relève l’invraisemblable retournement de la charge à laquelle procèdent les défenseurs du wokisme. Ainsi, au sujet du colloque organisé par des universitaires à la Sorbonne en janvier 2022, un universitaire avait publié une tribune dans Le Monde intitulée «Le colloque organisé contre le wokisme à la Sorbonne relève du maccarthysme soft». Mais qui met véritablement en œuvre ce maccarthysme soft, s’interroge André Perrin? Ces professeurs réunis pour discuter à coups d’arguments d’une idéologie en vogue, ou bien ceux qui à longueur de temps réclament la proscription de ceux dont ils ne supportent pas la pensée.
Et André Perrin de citer la longue liste de ceux dont on a demandé (et parfois obtenu) la tête dans les journaux, par les tribunaux, sur les réseaux sociaux, d’Olivier Grenouilleau, historien ayant osé aborder la traite orientale, à Marcel Gauchet. «Clémentine Autain, dont la légitimité scientifique n’est pourtant pas plus assurée que celle d’Éric Zemmour, a pu donner des conférences à l’université de Paris-Tolbiac et à celle de Poitiers, sans subir le sort réservé à Alain Finkielkraut ou à Sylviane Agacinski (dont les conférences avaient été annulées)», remarque Perrin. Ou encore: «En 2017, Geoffroy de Lagasnerie a réuni près de 2 000 signataires pour réclamer qu’on retire à Nathalie Heinich le prix Pétrarque qui venait de lui être attribué: est-ce qu’un seul des universitaires qui se sont associés à cette entreprise a lui-même fait l’objet d’une semblable cabale de la part d’adversaires?» La question elle est vite répondue, comme disent les jeunes. Le livre fourmille d’exemples de ce type.
Perrin reprend un apologue de son ami Jean-Claude Michéa qui explique que dans «n’importe quelle société il existe un critère pour déterminer quelle est sa véritable idéologie dominante». «À une époque où l’idéologie chrétienne était encore dominante, il était fréquent qu’un penseur sentant le soufre dissimule son athéisme et son hérésie (…) et on ne peut imaginer qu’à l’époque un croyant authentique se serait évertué à passer pour athée. Si on veut bien appliquer ce critère à notre présent, on se demandera ce que l’on voit le plus souvent: un intellectuel accusé d’être réactionnaire qui s’en défend et proclame avoir toujours été fidèle aux valeurs de la gauche? Ou un intellectuel de gauche ou d’extrême gauche, reconnu comme tel, qui proteste qu’on l’a mal compris et qui jure ses grands dieux que, si, il a toujours défendu des idées de droite, voire d’extrême droite?» se demande Perrin.
Il excelle à cerner le double standard permanent du discours médiatique: «On s’alarme de la droitisation de la société, mais on ne s’est jamais inquiété de sa gauchisation. On déplore la “dédiabolisation” de l’extrême droite mais pas celle de l’extrême gauche (…) On s’indigne de l’apparition d’une droite “décomplexée”, mais pas de la perpétuation d’une gauche sans le moindre complexe. On proclame son appartenance à la gauche mais on confesse être de droite .» ■
Dans la vie médiatique, la gauche détient toujours le sceptre et délimite le spectre. Pour combien de temps ?
Merci de nous signaler l’ouvrage de andré Perrin! je vais m’empresser de le lire;mais pouquoi eugénie Bastier en donne-t-elle de si longs extraits?