Par Jean-Loup Bonnamy.
Cet article particulièrement intéressant de Jean-Loup Bonnamy sur un sujet d’importance majeure, est paru hier dans Le Figaro. Nous disons qu’il faut s’habituer à lire ce jeune et brillant philosophe à la pensée vive, agile, précise, au parler sans détour et sans crainte. Jean-Loup Bonnamy est déjà très présent dans les médias et, de Causeur à Front Populaire, sa plume se répand largement. À suivre donc avec intérêt et avec toute cette amitié d’esprit naturelle dont le meilleur des gens d’A.F. est capable dès lors qu’il s’agit de défendre ensemble, fût-ce, bien-sûr, avec nos différences, la France et sa civilisation. Justement, notons un point de désaccord de notre part avec l’analyse de Jean-Loup Bonnamy. Il s’agit de la préférence nationale devant bénéficier à tout Français sans distinction. Dans son principe et en temps ordinaire, rien là que de plus normal. Faut-il oublier, pourtant, que le laxisme destructeur des quelque 40 dernières décennies a créé de nombreux « Français » de papier qui, de fait, sauf administrativement, n’appartiennent pas vraiment à la communauté nationale telle que constituée par l’Histoire. Ou même la méprisent ou la combattent. Sans entrer dans le détail, nous dirons que dans les circonstances actuelles, la préférence nationale bénéficiant normalement à tout citoyen français, devrait être assortie de dispositions ou si l’on préfère de précautions particulières, rigoureusement définies, applicables – pour une durée à définir – aux nouveaux venus dans la nationalité française.
TRIBUNE – Dans le cadre du projet de loi sur l’asile et l’immigration, l’exécutif envisage de tendre davantage la main aux travailleurs immigrés pour tenter de pallier les difficultés de recrutements dans certains secteurs. Pour l’essayiste, cette politique se nourrit de notre passé colonial.
Le débat fait rage. La majorité des Français est opposée à la poursuite de l’immigration. Pourtant, et l’on pourrait trouver cela antidémocratique, le gouvernement crée un nouvel appel d’air migratoire en instaurant un visa pour les métiers sous tension, c’est-à-dire qui peinent à recruter. On est surpris de voir un pays qui compte six millions de chômeurs (toutes catégories confondues) confronté à de telles difficultés de recrutement dans autant de secteurs. On ferait bien de s’interroger sur ce paradoxe. On entend régulièrement dire que «Les Français ne veulent pas faire ces métiers», mais on ne se demande presque jamais pourquoi ni comment changer les choses.
Pourtant, la réponse est simple. Premièrement, les Français ne veulent pas exercer ces métiers, car il s’agit d’emplois mal payés. Il faudrait commencer par augmenter les salaires et payer les gens correctement pour remédier au problème. Mais la pingrerie, le ronron des habitudes, l’idéologie… Tout pousse l’État et le patronat à préférer poursuivre l’immigration. Ensuite, notre système social trop généreux empêche le retour à l’emploi de millions de chômeurs. Il faudrait suspendre les allocations de ceux qui refusent un emploi plutôt que de faire appel à l’immigration. Ensuite, les Français refusent d’exercer ces emplois parce que ces emplois se concentrent dans les métropoles. Or, les classes populaires ont été chassées des métropoles, reléguées dans la France périphérique, du fait du coût exorbitant de l’immobilier. Seuls les immigrés de fraîche date peuvent accepter les conditions de logement très précaires offertes aux prolétaires dans les métropoles ou les zones touristiques. Rares sont les citoyens français prêts à accepter de vivre dans un squat ou à plusieurs dans une chambre de bonne dégradée… Gentrification bobo, pénurie de main-d’œuvre et immigration vont de pair. Comme le souligne la maire de Biarritz (territoire touristique très gentrifié): «Il y a une tension énorme sur l’hôtellerie, la restauration, le BTP, les services à la personne, l’esthétique. Par contre des profs de Yoga, de Pilates, des coachs en bien-être et en embrassage d’arbre, j’en ai dans tous les quartiers.» Enfin, il faut remettre la causalité dans le bon ordre. Ce n’est pas parce que les Français refusent de faire ces métiers qu’on fait appel à l’immigration.
C’est parce qu’on fait appel à l’immigration que les Français ne veulent plus exercer ces métiers. En effet, le recours massif à l’immigration dévalorise symboliquement et économiquement ces métiers, maintenant les salaires bas. Les Français qui acceptent ces emplois se retrouvent en minorité, avec des collègues immigrés dont ils ne partagent ni la culture ni les us et coutumes, souvent pas même la langue. Par conséquent, plus on fait appel à des immigrés, moins les Français veulent exercer ces emplois. On doit donc faire appel à de nouveaux immigrés. Et ainsi de suite. Mais surtout, ce recours à la main-d’œuvre immigrée constitue un énième retour de la pulsion coloniale qui structure tout notre imaginaire. Les patrons qui se vantent fièrement sur les chaînes de télévision d’employer (ou plus exactement d’exploiter) des immigrés clandestins, en toute illégalité, sont comparables à ces colonisateurs brutaux fiers de «faire suer le burnous» au XIXe siècle. Notre imaginaire colonial, omniprésent, se manifeste au moins de quatre façons.
Tout d’abord, l’économie française reproduit le modèle colonial. En effet, à l’époque coloniale, l’économie française était duale: composée, d’une part, d’un capitalisme industriel, totalement déconnecté de la colonisation, et, d’autre part, d’un capitalisme rentier, étroitement lié à la colonisation. Comme l’écrit Pierre Vermeren, «un capitalisme français, marchand et financier, est né de la compétition coloniale. Aucune technologie industrielle dans ce capitalisme-là, mais seulement des villes, des banques, des fonctionnaires, des compagnies de transport et des matières premières. C’est ce capitalisme sans usine, marchand et rentier, que la France a légué à ses anciennes colonies: on comprend pourquoi aucune d’entre elles, un siècle plus tard, n’est devenue un pays développé.» Avec la décolonisation, la France gaullo-pompidolienne des années 60-70 voit le triomphe du capitalisme industriel colbertiste. Mais, depuis les années 80-90, la désindustrialisation a ressuscité le capitalisme rentier de type colonial, qui est le modèle de notre économie actuelle. Citons à nouveau Pierre Vermeren : « La France vit le grand retour du modèle capitaliste qu’elle avait connu à l’époque de son empire colonial: financier, improductif, marchand, rentier. L’histoire dira si la destruction de notre capital productif a été l’ultime revanche de notre histoire coloniale. »
Ensuite, l’immigration perpétue notre passé colonial. Nous avons une économie coloniale – peu productive, peu qualitative, fortement quantitative. Or, notre population vieillit et nous n’avons plus d’empire colonial. Il faut donc nourrir les besoins quantitatifs de notre économie coloniale par des immigrés, nouveaux travailleurs et nouveaux consommateurs… bien souvent issus d’anciennes colonies. C’est un fait indiscutable que sans l’immigration, notre modèle économique s’effondre. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut plus d’immigrés! Cela montre surtout que cette structure est malsaine, comme une bicyclette folle, et qu’il faut en changer. Pour opérer ce changement radical, il faut relocaliser, réindustrialiser, miser sur la production et le qualitatif. Dans une économie réindustrialisée et qualitative, l’immigration serait infiniment moins nécessaire.
Les racines de cette situation viennent de loin. Après l’explosion démographique du XVIIIe siècle (qui a abouti à la Révolution), la France a traversé un véritable hiver démographique pendant un siècle-et-demi, de 1800 jusqu’au début des années 1940. De là est venu le besoin de compenser par la colonisation. Déjà en 1868, Prevost-Paradol, normalien et journaliste hanté par la déchéance démographique, écrivait dans La France nouvelle que la France devait augmenter le nombre de ses citoyens par la fondation d’un vaste empire colonial.
Cette faiblesse démographique fut encore aggravée par la grande saignée de la Première Guerre mondiale, avec un jeune Français sur quatre tué au combat et les classes creuses (tous ces bébés potentiels qui ne sont jamais nés du fait de la mort de leurs pères sur le front). La France a ainsi vécu dans la peur face à une Allemagne alors plus peuplée, plus jeune, plus féconde. Voilà pourquoi Michel Debré, hanté par le spectre germanique, voulait absolument conserver l’Algérie française et louait la France du futur aux «100 millions d’habitants». Aujourd’hui, toute cette angoisse démographique, qui justifia le projet colonial, marque notre histoire longue et notre inconscient collectif, se retrouvant dans les discours pro-immigration du type «nous avons besoin des immigrés pour payer nos retraites» ou «nous ne sommes pas assez nombreux ».
Notons que c’est plutôt le bloc élitaire qui soutient l’immigration tandis que les classes populaires tendent à la rejeter. Il en allait déjà ainsi au XIXe siècle avec la colonisation: les élites la soutenaient, le peuple y était indifférent, voire hostile. De même, on peut être surpris de voir la gauche s’allier avec le patronat et soutenir l’immigration. Mais n’oublions pas que c’est la gauche qui a colonisé (Ferry…) malgré l’opposition de la droite nationaliste, hostile au projet colonial. Puis, notre politique étrangère reflète aussi notre inconscient colonial. En effet, le «droit d’ingérence» et les opérations militaires menées par certains pays occidentaux en Irak ou en Libye expriment une vision typiquement coloniale. Les partisans de l’ingérence n’arrivent pas à concevoir que les colonisés de jadis puissent vivre leur propre vie de manière tout à fait indépendante, pour le meilleur comme pour le pire. Comme l’écrit Renaud Girard, «le droit d’ingérence, c’est le retour de la pulsion coloniale par la fenêtre.»
Enfin, paradoxalement, l’autoflagellation et la repentance à l’égard de notre passé colonial sont la poursuite de la colonisation par d’autres moyens. Avec la colonisation, l’Occident était l’objet de tous les regards. Aujourd’hui, il ne l’est plus. Et certains Occidentaux ne parviennent pas à l’admettre et à le supporter. Comme nous n’avons plus les moyens de nous tailler un empire colonial, la seule solution pour rester au centre de l’attention est de se dépeindre comme le grand méchant de l’Histoire universelle, à qui tous les maux du monde seraient dus. Peu importe que nous soyons des héros (vision colonialiste), des criminels ou des bourreaux (repentance), tant que l’attention reste centrée sur nous. Dans le discours colonial, l’Occident était le phare du monde, pour le meilleur. Dans le discours de la repentance, l’Occident est le fléau du monde, pour le pire. Mais la vérité est que l’Occident ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité. Le point commun de ces deux discours erronés est de nier l’histoire propre des peuples non-occidentaux, de les réduire à une attitude purement passive et de voir en l’Occident le seul acteur, pour le meilleur ou pour le pire.
Finalement, d’une certaine façon, ce sont les militants indigénistes et décoloniaux qui ont raison. Nous vivons bien toujours dans un système colonial et il est urgent de décoloniser nos imaginaires et nos pratiques. Mais les indigénistes et les décoloniaux se trompent sur deux points cruciaux. D’une part, ils soutiennent la poursuite de l’immigration. Or, l’immigration est la suite de la colonisation et reproduit le mode de fonctionnement colonial. D’autre part, ils exigent en permanence que l’Occident fasse pénitence et se repente de son passé colonial. Mais en agissant ainsi, ils perpétuent l’idée (fausse) selon laquelle la colonisation serait l’alpha et l’oméga de l’histoire contemporaine. Leur occidentalo-centrisme perpétue pleinement l’imaginaire colonial qu’ils prétendent combattre.
Il est donc urgent de sortir du tropisme colonial et migratoire (c’est la même chose). Pour cela, il faut instaurer une vraie préférence nationale dans le domaine de l’emploi et du logement. La préférence nationale n’a rien de raciste. Beaucoup de pays non-occidentaux, de la Turquie au Japon, y ont recours. Elle est nationale et non pas ethnique. Elle vise à favoriser les Français, sans distinction d’origine, de couleur de peau ou de religion. Dans ce système, un Français nommé Boubacar, noir et musulman, a autant de droits qu’un Français nommé Mathieu, ni plus ni moins. Mais ces deux Français égaux auraient beaucoup plus de droits, y compris en matière d’emploi, qu’un immigré. La préférence nationale, voilà le vrai moyen de gommer une vision ethnique et coloniale de la France pour lui préférer une vision authentiquement nationale et citoyenne. ■
Ancien élève de l’École normale supérieure, Jean-Loup Bonnamy est agrégé de philosophie et spécialiste de philosophie politique.
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Face à ces discours pro-immigration le bon sens et la droite raison réunis nous imposent de répondre : « Quand est-ce que nous faisons des enfants, beaucoup d’enfants ? » Nous serons alors assez nombreux et ce seront nos enfants qui paieront nos retraites.