Par Pierre Builly.
La lettre inachevée de Mikhail Kalatozov (1959).
Héros de l’Union soviétique.
On n’est jamais indifférent devant un film de Mikhaïl Kalatozov. Il est vrai qu’il n’en a tourné qu’une douzaine et que bien peu ont été distribués en Occident. Jusqu’à présent je ne connaissais du cinéaste que son plus grand succès public, Quand passent les cigognes, qui fut Palme d’or à Cannes en 1958 et Soy Cuba de 1964. Deux œuvres admirables, au demeurant ; deux œuvres de propagande soviétique, aussi. Et alors ? L’arrière-plan des films, de tous les films n’a pas à pénaliser leur qualité artistique. Et j’ai dit exactement la même chose pour Le triomphe de la volonté de Leni Riefenstahl consacré à la célébration (le mot est juste) du Congrès national-socialiste de Nuremberg en 1934.
La lettre inachevée est, en qualité, plutôt inférieure aux deux films qui l’encadrent, souffrant de la minceur de son sujet, mais comporte les mêmes propriétés immenses de mise en images. Film dédié, en exergue, à tous les Soviétiques qui suivent le chemin difficile des pionniers, il relate la difficile mission d’un groupe de quatre géologues chargés d’explorer un territoire lointain pour y découvrir des gisements diamantifères. Les diamants seront nécessaires au développement industriel et économique de l’Union soviétique, c’est explicitement indiqué. Et le territoire lointain, c’est la Iakoutie, au nord-est de la Sibérie, le territoire continental le plus froid du monde.
L’équipe est dirigée par Konstantin Sabinine (Innokenti Smoktounovski) ; la lettre inachevée du titre du film est celle qu’au fil des semaines il rédige pour sa femme Véra (Galina Kozhakina), qu’il aime tendrement. Il est accompagné par un guide aguerri, Sergueï (Evgueni Ourbanski), familier de la région et par un jeune couple de géologues amoureux, Tania (Tatiana Samoïlova) et Andreï (Vassili Livanov).
C’est dans l’été sibérien que le groupe arrive sur le site susceptible d’abriter la pierre précieuse, comme l’ont présumé les études scientifiques. D’emblée le réalisateur emplit l’écran des espaces immenses de la taïga, la dense forêt de conifères, mélèzes et sapins enchevêtrés, le ruissellement des eaux, les marécages, les brumes, les pluies battantes… La vie s’organise, les recherches sont longtemps infructueuses. Tania et Andreï paraissent ne pas s’apercevoir que Sergueï désire la jeune femme.
Et c’est à l’exact moment où, dans la fièvre étouffante d’une tranchée de fouille, Sergueï va avancer la main, que Tania, émerveillée, découvre le premier diamant. Grand moment de ferveur patriotique échangée par radio avec la direction des opérations, à Moscou. Mais l’expédition s’est attardée plus qu’il n’était prévu et qu’il le fallait dans une région où la belle saison est brève et les humeurs du temps sont rudes.
Brusquement un incendie gigantesque, allumé sans doute par la foudre, assaille les géologues et les oblige à fuir en toute hâte à travers les arbres en feu. La radio leur apprend que le front incandescent atteint 1000 kilomètres ; il faut absolument gagner le fleuve. Dans des conditions épouvantables et magnifiquement mises en images, il y a de la panique qui gagne. Sergueï est frappé à mort par un arbre qui s’effondre, Andreï est blessé à la jambe et commence à se traîner.
Le film, d’abord un peu lent et didactique, presque ennuyeux malgré la qualité du filmage a pris un tour tout à fait haletant. Les trois survivants errent un peu à la dérive, d’autant que, s’ils peuvent encore recevoir des messages radio et savent donc que les autorités ont envoyé avions et hélicoptères à leur recherche, leur appareil ne peut plus émettre. Andreï est devenu un boulet, porté sur une civière de fortune, tiré dans les marécages.
Un matin Konstantin et Tania ne le retrouvent plus : il a laissé un simple message d’adieu. La longue marche reprend et après l’automne maussade arrive un hiver brutal : la neige recouvre désormais les immensités iakoutes.
Contre-plongées magnifiques, harassement des deux personnages, blizzard glaçant. Tania meurt de froid, Konstantin arrive enfin au fleuve, confectionne tant bien que mal une sorte de radeau ; il se laisse porter par le flux qui n’est pas encore tout à fait gelé mais transporte déjà de grandes masses de glace qui ondoient comme des peaux ; le radeau s’échoue ; un hélicoptère se pose et le recueille : il est vivant. La mission est accomplie : la carte qui localise précisément le gisement de diamants sera remise aux autorités.
C’est tout ? Oui, c’est tout et c’est très fort, très beau, ça fait appel à des sentiments qu’on apprécie de voir à l’écran : l’amour gai de Tania et d’Andreï, la foi dans la mission, l’héroïsme, le dévouement. Ce n’est plus trop à la mode, un film aussi noble. ■
DVD autour de 22 €
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
Rendu curieux par votre chronique, j’ai trouvé ce magnifique film sur le web:
https://www.youtube.com/watch?v=CVU_Xu_AXNQ
(On peut activer les sous-titres français en bas à droite de la fenêtre Youtube)
Soy cuba est aussi visible à :
https://www.youtube.com/watch?v=Y3HpI898dwg
Je ne l’ai pas encore regardé
Quand passent les cigognes en français se trouve à l’adresse :
https://www.youtube.com/watch?v=fe6KS8dp2eA
Merci à Pierre Builly