L’ancien président de l’OM avait tout pour plaire à l’électorat populaire mais il n’a pas compris l’histoire qu’il pouvait écrire. (Figaro Magazine du 15.03). Zemmour en trace un portrait saisissant : celui d’un destin manqué. Il aurait pu être « le premier populiste français »… LFAR
« Comme un remords vain. »
Même amaigri et vieilli par la maladie, Bernard Tapie a conservé cette pugnacité de boxeur, ce charme animal qu’il possédait à ses heures de gloire.
L’ouverture de son dernier procès – encore et toujours la querelle autour d’Adidas et du Crédit lyonnais – nous ramène plus de trente ans en arrière, au cours de ces années 80, dont il fut l’une des incarnations. La gouaille, le culot, l’irrévérence, la brutalité étaient alors ses atouts maîtres. Il était l’éléphant-entrepreneur dans le magasin des porcelaines d’apparatchiks socialistes. Il faisait entrer les codes de l’entreprise dans la politique française. Il était l’imitateur français de l’italien Berlusconi.
Celui-ci avait fait fortune dans l’immobilier et connu la gloire sportive avec le Milan AC. Tapie avait fait une belle pelote en rachetant des entreprises en difficulté et s’aventurait aussi sur les terrains de football avec l’OM. Tapie n’était ni énarque ni bourgeois. Son côté parvenu déplaisait à l’establishment mais avait tout pour plaire à l’électorat populaire qui commnçait à se détacher de la gauche. Tapie l’ignorait mais il avait inventé Trump avant Trump.
« Les hommes font l’histoire, mais ne savent pas l’Histoire qu’ils font », nous a appris Raymond Aron. Bernard Tapie n’a pas compris l’histoire qu’il pouvait écrire. Il n’a pas compris qu’il était le premier populiste français.
Il a cru que la protection du président Mitterrand était sa meilleure armure. Elle fut sa tunique de Nessus. Il mit sa truculence au service d’une gauche démonétisée et de ses codes idéologiques bien-pensants. Il entraîna Le Pen dans un combat de rue. Il traita les électeurs du FN de « salauds ». Il s’appropria le discours de la doxa antiraciste sur l’immigration. Il se fit l’instrument d’une mondialisation économique qui marginalisait les classes populaires. Il fit ami-ami avec certains journalistes qui crachaient leur mépris d’un peuple français « fascisé ». Il tenta même de corriger son image de « macho » par de grandes déclarations d’amour à sa femme – fort touchantes, mais qui le transformaient de manière risible en adolescent boutonneux. Au lieu de devenir le héros des classes populaires, il devint celui des quartiers d’immigrés. Au lieu de combattre les élites, il mit toute son énergie à se faire accepter d’elles. Au lieu d’être le pourfendeur du « système », il voulut être son ultime paladin. Le « système » montra son ingratitude habituelle pour ses serviteurs méprisés. Il perdit sur les deux tableaux. L’alliance des oligarchies administratives et financières le fit chuter. Et les classes populaires détournèrent le regard de celui qu’elles avaient fini par considérer comme un membre de l’establishment.
Tapie n’aura été ni Berlusconi ni Trump car il n’a pas compris les enjeux idéologiques qui se jouaient à l’heure de la mondialisation. On peut d’ailleurs imaginer que sa sollicitude remarquée pour les « gilets jaunes » est la marque d’une compréhension tardive des enjeux. Comme un remords vain. ■