Cet article clairvoyant comme (presque) toujours est paru dans Le Figaro du 19 juin. Il n’y a rien à redire sur l’analyse du cas Macron, qui en est un, en effet. Nous avons affaire à un président singulier à bien des égards, c’est un fait. Mais Zemmour nuance son propos en montant à quel point les prédécesseurs d’Emmanuel Macron connurent aussi leurs propres ambiguïtés. Et il les détaille à fort juste titre. La singularité d’Emmanuel Macron est peut-être de ne pas en faire mystère, de les étaler, de divulguer plus que d’autres ses états d’âme… Ne faut-il pas aller plus loin que sa simple personne ? Marquée de fragilités et de doutes, comme les autres … Et la garde qui veille aux barrières du Louvre n’en défend point nos rois. Est-ce Macron qui ne sait pas qui il est ou bien plutôt le régime, le Système, ses fondements idéologiques eux-mêmes, qui ne le savent plus non plus et, sans-doute, surtout ? Et qui ânonnent un vieux catéchisme qui n’a plus de croyants. Emmanuel Macron n’est peut-être après tout que le stigmate de la fin du grand cycle des idéologies de la Révolution. Zemmour ne méconnaît pas cette dimension des choses, que Patrick Buisson a eu le courage d’analyser en profondeur dans la Cause du peuple, qui est un maître-livre. Zemour a déclaré sur C News que sur le plan philosophique, nous avons raison, nous qui sommes royalistes et, pour lui, des amis. Zemmour est un pragmatique. Pour l’instant, il fait avec ce qu’il a. Et l’Histoire continue de rouler son lot de destructions de notre nation, de nos sociétés, de notre civilisation. Quand la même Histoire sonnera le glas de ce système vermoulu jusque dans sa moelle, il se ralliera au vent de la réaction. Il la conduira avec quelques autres si cela advient. Il ne faudra pas lui dénier d’avoir accompli entre-temps, le travail le plus courageux qu’il lui était possible de mener [Éric Zemmour, Figaro, 19 juin].
Qui est Emmanuel Macron? C’est la question qu’on se pose après sa dernière intervention télévisée.
C’est la question qu’on se pose depuis qu’il a conquis l’Élysée. Sa prestation de dimanche dernier n’a pas permis de répondre à la question. Le Président s’est posé en héraut de l’ordre public contre les contempteurs des «violences policières», mais il a donné un crédit à la complainte infondée de ceux-ci contre les discriminations en fonction « du nom, de l’adresse, de la couleur de peau ».Il a défendu l’honneur de la police, abandonnée par son ministre, mais il n’a pas renié la démarche scandaleuse de sa ministre de la Justice, qui se proposait de recevoir la famille Traoré. Il condamne le « séparatisme », mais laisse prospérer les mosquées salafistes. Il rejette les attaques contre les statues de nos grands hommes au nom d’un révisionnisme antiraciste, mais c’est le même qui a dit que la colonisation française avait été « un crime contre l’humanité ».
Dimanche soir, Macron a montré son profil le plus girondin, souhaitant une nouvelle étape de décentralisation, retrouvant ses accents de la campagne de 2017, alors même qu’une fois élu, il avait gouverné pendant deux ans sans tenir compte des élus locaux. Il emploie désormais le mot d’« indépendance » de la France en matière économique, alors qu’il sait bien que le concept est incompatible avec l’Union européenne. Quand il parle de souveraineté française, c’est pour l’accoler aussitôt à un pendant européen. La souveraineté ne se partage pas. On est ou on n’est pas souverain. Il parle de relocalisation industrielle, incite Renault et Peugeot à rapatrier des usines en France, mais laisse l’Union européenne poursuivre sa politique d’accords de libre-échange avec des pays comme le Vietnam. Il tient de grands discours contre le réchauffement climatique, mais ferme la centrale de Fessenheim, alors que le nucléaire est l’énergie la moins carbonée.
On sait qu’il a beaucoup joué de ce « en même temps ». On peut aussi estimer que ses grands prédécesseurs furent maîtres en ambiguïté et en revirements. De Gaulle arrive au pouvoir dans les bagages des partisans de l’Algérie française et donne l’indépendance. Mitterrand signe un programme commun avec les communistes et parraine le grand marché européen libéral. De Gaulle n’est ni de droite ni de gauche. Mitterrand commence sa vie politique à l’extrême droite, passe par la gauche, avant de l’achever au centre.
Macron aimerait se ranger dans cette lignée. On a pourtant l’impression qu’il souffre davantage d’indécision que de machiavélisme. Jacobin et girondin, colbertiste et libéral, haut fonctionnaire et banquier d’affaires, assimilationniste et multiculturaliste. C’est le roi de l’oxymore, son patriotisme est républicain, sa laïcité est ouverte, son souverainisme est européen ; Macron a toujours besoin d’adjectifs pour qualifier ses engagements. Il ne choisit pas. Il refuse de choisir. On a l’impression qu’il ne sait pas vraiment ce qu’il pense. Qu’il ne sait pas qui il est. Qu’il est entré à l’Élysée pour le savoir enfin. ■