Par Pierre Builly.
Reste un peu de Gad Elmaleh (2022).
Relation du difficile cheminement de Gad Elmaleh vers le christianisme ; aussi difficile – mais très différent – que celui de Michel Houellebecq. Le film rencontre, alors qu’il n’est sorti que mercredi dernier 16 novembre, un très grand succès, au moins de curiosité et dans un public sans doute très ou trop ciblé. Il n’a rien de spécifiquement politique et il peut susciter des polémiques ; il peut néanmoins être classé comme sujet de société, d’où, en partie, l’intérêt qu’il suscite.
La longue route.
Comment penser que Gad Elmaleh, qui a naguère réalisé deux des plus mauvais films du siècle, Chouchou (2003) et Coco (2009) ait pu tourner Reste un peu, une des plus subtiles, les plus intelligentes illustrations du chemin difficile vers la Foi et la conversion ? Il faut croire que la hauteur du support change les choses. De la simple retranscription largement étirée de ses sketches (par ailleurs souvent excellents et hilarants), voilà que l’on entre dans un lourd mystère : comment un homme élevé dans une famille séfarade particulièrement pratiquante et très attachée à son identité juive peut-il envisager de se convertir ? Et comment peut-il annoncer cette décision à une famille qui prend cela comme une trahison, presque une abomination ?
On rit beaucoup en regardant Reste un peu ; il y a des mots, des scènes, des instants d’une extraordinaire drôlerie et la salle des Gobelins où nous avons tout à l’heure regardé le film bruissait de rires, comme on en entend rarement au cinéma. Simplement regrets parce que la moyenne d’âge était à peu près similaire à celle des spectateurs d’Amour de Michael Haneke : un large septuagénat de têtes bien chenues.
On rit beaucoup donc, et sans méchanceté, ni sarcasme. Mais on réfléchit passablement aussi. Notamment au cours des interventions des hommes de Dieu des deux religions, avec qui Gad fait le point : le Père Barthélémy (Nicolas Port), le rabbin (Pierre-Henry Salfati), surtout Delphine Horvilleur, rabbin du Mouvement juif libéral de France d’une finesse et d’une intelligence exemplaires. Mais aussi lors des réflexions, de la pesanteur des réflexions que le personnage vit lui-même.
Parce que ce n’est pas rien, se convertir : quitter le tranquille abri de son histoire familiale, du chaud confort amical et sociétal pour aller vers ce que certains estiment être une trahison, un reniement. Il n’y a rien de prosélyte, moins encore de méprisant pour qui que ce soit dans Reste un peu. Il y a un garçon qui, très jeune, entrant à Casablanca dans une église (chose pourtant sévèrement interdite par ses parents) a été séduit, émerveillé, séduit, illuminé par la Vierge Marie et qui pense qu’elle le protège à jamais. Et que son amour va le guider vers le meilleur du monde.
Beaucoup plus que la pesanteur des traditions familiales, du qu’en dira-t-on ? et du respect de l’identité, il y a – c’est sans doute cela le plus fort du film – la position particulière du judaïsme dans la spiritualité occidentale. Delphine Horvilleur le dit fortement : On peut entrer dans le judaïsme, on ne peut pas en sortir. Le peuple élu de la Genèse, choisi par Yaweh pour porter sa parole, le demeure au milieu des siècles et des persécutions. Une sorte de roc totalement stable, toujours inspiré par la conscience d’être particulier et nullement réductible aux évolutions du monde. Ce qui est une opposition totale, existentielle avec le christianisme dont le but est d’annoncer la Parole à toutes les nations.
Ce qui est bien intéressant dans le film, outre ces préoccupations qui sont d’une immense importance, c’est aussi le talent déployé par Gad Elmaleh, qui a fait appel à sa famille et à ses amis pour se mettre lui-même en scène. Il paraît que son père, David, pratiquait en amateur l’art du mime à Casablanca ; mais on ne sait pas si sa mère (Régine) ou sa sœur (Judith) avaient quelque affinité avec la scène : tout ce monde-là est pourtant d’une justesse absolue, comme tout le reste de la distribution.
Si nous ajoutons à cela une musique très inspirée d’Ibrahim Maalouf et des vues de Paris magnifiques, l’intervention d’un vieux monsieur grognon (Guy Moign) et d’une jeune fille magnifique (Olivia Jubin), on ne peut que tomber sous le charme.
Qui est peut-être aussi celui des cathédrales, des cantiques, des tableaux, des peintures, de toutes les merveilles du catholicisme.
Mais aussi de l’interrogation. Gad a été très inspiré par la haute figure du Cardinal Jean-Marie Lustiger (1926 -2007), petit-fils de rabbin, juif converti. Sur un des flancs de Notre-Dame de Paris, il y a cette plaque commémorative : Je suis né juif. J’ai reçu le nom de mon grand-père paternel, Aron. Devenu chrétien par la foi et le baptême, je suis demeuré juif comme le demeuraient les Apôtres. J’ai pour saints patrons Aron le Grand Prêtre, saint Jean l’Apôtre, sainte Marie pleine de grâce. Nommé 139e archevêque de Paris par Sa Sainteté le pape Jean-Paul II, j’ai été intronisé dans cette cathédrale le 27 février 1981, puis j’y ai exercé tout mon ministère. Passants, priez pour moi. ■
Chroniques hebdomadaires ordinairement publiées le dimanche.
La vision classique des catholiques sur le judaïsme peut être résumée en une suite de six propositions:
1) Le peuple juif est le peuple élu de Dieu, à qui l’Éternel a promis la domination. « Tu te nourriras du lait des nations, tu te rassasieras des richesses des rois ». »Des étrangers reconstruiront tes murailles et leurs rois te serviront, »Esaïe 60.10 « En effet, la nation et le royaume qui ne te seront pas asservis disparaîtront, ces nations-là seront totalement ruinées. » ibid 12
2) Dieu a envoyé au peuple juif le messie qu’il attendait depuis plusieurs siècles, Theou Uios,le fils de Dieu.
3) Mais les Juifs n’ont pas accepté le Christ et l’ont crucifié,
4) Ils ont pris la responsabilité devant Dieu de cet acte: « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! »(Mt 27:25)
5) Par conséquent les Juifs sont maudits de Dieu, ce qui explique qu’ils sont persécutés et le resteront jusqu’au Jugement.(Voir Bossuet)
6) Mais ceux qui persécutent les Juifs, tout en exécutant la volonté de Dieu, lui sont odieux car ils font du mal à Son peuple, et ils en seront punis. Léon Bloy
Cette réunion de maximes schizoïdes a été la base de l’antisémitisme chrétien.
Aujourd’hui, la nouvelle religion conciliaire a décidé de maintenir les maximes 1) et 2), d’abolir aux trois quarts la 3) et la 4), considérant que cette dernière était une interprétation tendancieuse de Saint Mathieu, la formule du sang retombant sur le peuple étant au contraire une formule sacrificielle propitiatoire ; d’abolit totalement la 5) et de conserver totalement la 6). Dès lors pour avoir un minimum de cohérence, le catholicisme est contraint de faire appel à une nouvelle interprétation de « l’émancipation humaine », évidemment inacceptable pour toute identité collective.
J’ose poser la question: entre imprécation et prosternation, ne serait-il pas pertinent de choisir l’indifférence?
Est-il question de ça, dans le film ? Non ! C’est un appel de la Grâce divine comme en ont ressenti des milliers de Juifs, en toutes époques. À vouloir trop intellectualiser les choses et dresser des exégèses, on passe à côté de l’essentiel.
Mon cher Pierre, je n’ai pas vu le film, je répondais simplement à ton commentaire, à ta citation de Delphine Horvilleur, et à celle du cardinal Lustiger.
Je n’ai pas vu le film, n’ai pas l’intention d’y aller.
Que Gad soit converti où pas, c’est un choix personnel qui se respecte et finalement ne regarde que lui.