Cette tribune de Thierry Lentz est parue dans FigaroVox le 25 novembre 2022. Au risque d’être taxés de « travers ultradroitiers », nous ne manquerons pas de souligner à la fois les aspects positifs et le fond de lucidité de cette tribune, et, en même temps, le peu de sérieux, la médiocre compétence et surtout le manque de courage et de volonté de nos dirigeants. C’est d’ailleurs exprimer par euphémismes des choses banales désormais bien connues des Français.
Par Thierry Lentz.
TRIBUNE – Les Ukrainiens défendent le sol natal avec acharnement et, chez eux, toute la société se mobilise. Les Français, demain, pourraient-ils faire de même ? Et qui se préoccupe de faire comprendre à nos concitoyens que la défense nationale ne peut pas être déléguée aux seuls militaires ?, interroge Thierry Lentz, historien de la Révolution et de l’Empire.
Le pire n’est jamais sûr et, souvent, le peuple français a trouvé ailleurs que dans ses dirigeants la force de se lever et de se battre.
Nombre de spécialistes de la défense vous le diront, la guerre en Ukraine relance la réflexion sur nos armées. Format, organisation, doctrine d’emploi doivent être redéfinis, sur terre, sur mer et dans les airs, sans oublier les fronts parfois nouveaux de l’espace, du cyberespace et des grands fonds marins. Alors que les forces françaises, limitées en nombre mais bien équipées, opéraient jusqu’à présent dans des formations réduites et mobiles, le conflit russo-ukrainien marque le retour des grandes unités (division, corps d’armée) mettant en mouvement des dizaines, voire des centaines de milliers d’hommes. Depuis la suppression du service militaire et la drastique réduction des effectifs, c’est une guerre que l’armée française ne peut et probablement ne sait plus mener. Il faudra sans doute plusieurs années pour qu’elle se réapproprie ce savoir-faire. C’est une affaire de soutien politique et de budgets. Nos militaires sont capables d’atteindre cet objectif.
Il est en revanche un domaine dans lequel le chemin sera beaucoup plus difficile à parcourir pour se mettre à niveau: celui de la force morale de la nation tout entière, indissociable de la levée d’armées massives et d’une mobilisation sans faille des arrières, voire de la défense du territoire. Le peuple ukrainien a démontré que cet aspect était primordial dans la lutte qu’il soutient avec abnégation et un certain succès. Si ce type de guerre doit revenir chez nous (et on ne peut prendre le risque de ne pas le prévoir), cette leçon donne à nos dirigeants la mission vitale de ne pas se contenter de construire des armes, mais d’œuvrer aussi, en hommes d’État, à la préparation psychologique et mentale de tout un peuple. En ont-ils envie et en sont-ils capables ?
On n’en est pas certain. Oh, bien sûr, chacun au gouvernement à son avis sur l’«Europe de la défense», ses rêves d’avions et de chars communs, avec l’idée fumeuse que les Vingt-Sept se mettront un jour d’accord sur une politique étrangère commune. Ils se félicitent du développement (modéré) du service national universel, rattaché au secrétariat d’État à la Jeunesse et non au ministère des Armées, avec des jeunes en «pâte-au-gaz» et en casquettes qui, dit la pub, s’engagent « pour une société solidaire » et « être utiles aux autres » ; on est loin de la préparation à résister à une menace extérieure. Ils roulent des épaules pour une vingtaine de canons offerts et un régiment envoyé en Roumanie. Ils promettent que la «garde nationale» réserviste deviendra une force d’appoint essentielle, ce que l’on souhaite évidemment de tout cœur.
Renforcement des forces morales de la nation
Mais de renforcement des forces morales de la nation, avec ce que cela suppose de recours au patriotisme et à ses symboles, il n’est jamais question. Jamais rien non plus sur des mesures concrètes pour faire partager l’envie de défendre la France, et sûrement pas à l’école.
C’est même parfois tout l’inverse, et au plus haut niveau. L’exemple des voyages à l’étranger de nos dirigeants est à cet égard un symptôme effrayant. Ainsi, le ministre de l’Éducation qui, à Washington, accuse son pays d’avoir un problème avec les couleurs de peau, en d’autres termes d’être raciste. Ainsi, le président de la République qui, en Thaïlande, déclare que les Français sont «très fiers, parfois peut-être un peu petit trop, voire un peu arrogants», même s’il finit par une note d’espoir. Quelques jours plus tard, le sommet de la francophonie choisit, sur proposition de M. Macron, la chanteuse Yseult pour être sa prochaine marraine. Sans doute une belle voix, elle a tout de même un peu craché sur la France (qui a permis son éclosion), avant d’aller s’installer en Belgique (pas trop loin tout de même de son marché). Après la négation de la culture française, la dénonciation du «génocide» de la colonisation, les «Gaulois réfractaires», le drapeau européen suspendu à l’Arc de triomphe et on en passe, on doit bien observer que celui qui est aussi chef des armées ne fait pas beaucoup d’effort en matière de mobilisation pour la France, élément indispensable au renforcement moral de la nation. Dans l’équation des nouvelles guerres, on serait pourtant en droit d’attendre de nos chefs – si prompts à se revendiquer comme tels – de nous montrer le chemin et d’avoir un projet qui ne consiste pas seulement à dépenser de l’argent.
Le pire n’est jamais sûr et, souvent, le peuple français a trouvé ailleurs que dans ses dirigeants la force de se lever et de se battre. Il est vrai aussi que rarement dans notre histoire, ceux qui proclament leur amour et leur dévouement pour la patrie n’ont été aussi moqués ou accusés de travers ultradroitiers. Il n’en demeure pas moins qu’un vrai plan de travail, sérieux et tenu jusqu’au bout, sur les aspects mobilisateurs et psychologiques de notre défense nationale devra accompagner les nécessaires investissements de modernisation de nos armées. On ne pourra plus seulement se reposer sur les militaires pour faire et soutenir la guerre. Les années 1930 n’ont que trop montré à quel point la préparation morale de la nation est essentielle. ■
Oui, mais quoi ? Passionnément opposé au « service militaire », invention de la Révolution française, je n’ai fait contraint et forcé, et détestant chaque minute inutile passée là, mon « service » qu’à 26 ans, en ayant essayé de me défiler par toutes les voies de recours. Et qu’est-ce qu’on m’a appris, dans cette géhenne où il fallait nettoyer le vomi des sous-officiers ivres morts et rendre propres les chiottes ? À monter et démonter le « MAS » 36-51 ou le MAT 49-56. Jamais, jamais à dire à quoi servait l’Armée et ce qu’il fallait défendre…
» Et bien ! Messieurs, soyez persuadés qu’on ne fait les bonnes armées qu’avec du peuple . Cette misérable chair à canon que la sauvagerie humaine rend nécessaire ne doit pas être de la chair trop raisonnante ni trop intelligente parce qu’ elle deviendrait vite de la chair révoltée . Vous ne pouvez empêcher qu’il n’y ait dans le monde des castes privilégiées . Or, si vous les mêlez dans l’armée, ces castes, avec les autres, vous ferez un mélange mauvais et
dangereux . »
Guy de Maupassant
(Le Figaro, 21 avril 1884 .)
extrait de « Les Chroniques Politiques de Guy de Maupassant »
Editions Rive droite .2006.
Si l’on enlève les expressions, datées, de « misérable chair à canon », « sauvagerie humaine », en un siècle , la situation n’ayant changé, le même discours aurait pu être tenu .