Par Rémi Perrin.
Les étudiants en histoire, à la fin des années 1990, ont découvert l’historien Jean de Viguerie par son Dictionnaire du temps des Lumières qui, chez les modernistes – ceux qui scrutent l’Ancien Régime, pas ceux qui ont oublié la messe traditionnelle –, fait toujours autorité.
Il existe chez Viguerie un autre historien caché derrière la figure du recteur d’Université au col un peu empesé : c’est ce contempteur des idées des Lumières, dont la clairvoyance et la vivacité d’esprit restent un exemple pour les étudiants d’aujourd’hui.
Formé à la philosophie réaliste et thomiste à Toulouse par Louis Jugnet, Jean de Viguerie a été marqué par l’importance, en histoire, du mouvement des idées. Dès 1976, lorsqu’il publie sa thèse, l’historien découvre l’influence du cartésianisme, à partir de 1711, dans les cahiers des élèves qui suivent l’enseignement des pères de la Doctrine chrétienne. Scrutant le XIXe siècle, on lui doit le concept de patrie révolutionnaire, qui, se substituant à la traditionnelle patrie charnelle, prend la force d’une utopie idéologique. Comme tous les chercheurs de haut niveau, il tient là sa grande découverte.
Trois ans après sa mort, Via Romana décide de redécouvrir son œuvre. Rééditer ses livres ? Ses biographies comme Madame Elisabeth ou son essai Les deux Patries sont disponibles et lus. Réunir quelques articles savants ? Certains, et parmi les meilleurs, ont donné des recueils de textes (Itinéraire d’un historien). C’est moins connu, mais Jean de Viguerie a été un conférencier talentueux qui, de Notre-Dame de Paris à la Mutualité, de Fontevraud à Fanjeaux, a su marquer son auditoire à chacune de ses interventions. Avec plus ou moins de bonheur, puisqu’au Sénat, il parle devant un Poher assoupi alors qu’à la Mutualité, il est ovationné par plus de mille auditeurs.
On retrouve la qualité du conférencier qu’on croirait entendre dans les Cinq portraits que vient de publier Via Romana. Toutes les facettes de l’historien y sont présentes : la spiritualité avec son portrait du saint mendiant Benoît Labre, l’histoire littéraire avec André Chénier, né dans un siècle sans poésie. L’histoire de l’éducation, à travers l’épopée de Monseigneur Cazaux pour la défense de l’école libre. Et enfin l’histoire des idées, où Jean de Viguerie donne toute sa mesure. On y découvre que Montesquieu inspira directement Robespierre par sa notion de vertu politique, qui, loin d’être une vertu ordonnée à la morale, n’est autre que l’amour de l’égalité. Viguerie, dans chacun de ces portraits, dépasse la description conventionnelle pour toucher à l’esprit de son sujet. Ce livre est donc un grand plaisir de lecture.
On espère que parmi les conférences données devant les Dominicaines de Fanjeaux pendant un quart de siècle, d’autres textes seront publiés et continueront à nourrir l’intérêt que l’on porte à ce grand historien. ■
J’ai bien connu le professeur Jean de Viguerie, et, bien que ne partageant pas la totalité de ses convictions, j’ai toujours été impressionné par la qualité et la hauteur de ce personnage. D’une érudition exceptionnelle, d’une courtoisie parfaite, il avait une qualité rarissime chez un universitaire: il était totalement inaccessible à la vanité. Il ne formulait jamais une affirmation à la légère, et, tout en exprimant toujours une douceur extrême, ne cédait jamais sur ses convictions. Peu d’hommes m’ont autant inspiré le respect.
J’ai lu récemment « Les deux patries », livre remarquable et désespérant. Remarquable par son érudition, désespérant par sa conclusion : si la France est morte, pourquoi continuer à se battre (Viguerie se défend d’un tel désespoir, mais concrètement, à mon avis, son livre conduit à l’inaction) ?