Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
Il aura fallu que la frégate Courbet soit ouvertement menacée au large des côtes libyennes par son homologue turque la frégate Gökova pour que M. Macron hausse le ton contre le « jeu dangereux » d’Ankara.
Mais, semble-t-il, M. Erdogan n’en a cure : on se doutait qu’il avait l’aval de M. Trump ; on en est certain maintenant que l’Otan n’a pas réagi à ce très grave incident entre deux supposés alliés. Pourra-t-il cependant aller au bout de son ambition libyenne ? On ne l’espère pas, évidemment, même si sa volonté de puissance semble sans limite.
On n’a aucune raison en effet de penser qu’il se départira d’une attitude arrogante et belliciste qui, jusqu’à présent, lui a plutôt réussi. Ce n’est ni l’absence inadmissible de l’Union européenne, ni l’indifférence toute politique des Etats-Unis, ni le silence complice de l’Otan qui devraient le gêner. Seule, la manifestation d’une force supérieure pourrait l’amener à négocier.
Il existe désormais – mais pour combien de temps ? – une nouvelle ligne de front en Libye, une ligne qui va de Syrte (au nord, sur la côte) à Sebha (au sud du désert), en passant par Al Joufra (base aérienne). A l’est de cette ligne, les troupes du maréchal Haftar, à l’ouest celles de Tripoli. En réponse à Ankara qui pousse le Gouvernement d’union nationale de Tripoli à attaquer Syrte, Le Caire a fait de cette ville la ligne rouge dont le dépassement constituerait un casus belli.
La Turquie renforce son aide en matériel sophistiqué et en mercenaires islamistes, l’Egypte masse ses troupes (infanterie et aviation) à la frontière. L’alternative est claire : un statu quo synonyme de partition de fait ou un embrasement aux conséquences imprévisibles.
La situation est donc inquiétante car, outre ses avancées d’ordre économique (accord gazier avec Tripoli) ou politique (résurrection du rêve ottoman), M. Erdogan, s’il parvient à vassaliser la Libye, se trouvera dans une position idéale pour gêner, voire menacer, l’U.E. mais surtout la France. L’U.E. parce qu’il maîtriserait le « second robinet » migratoire et pourrait accentuer son chantage, la France parce que la Libye jouxte une Afrique noire où nos troupes sont présentes (bases militaires) et même engagées dans des combats (Mali). « Le risque, pour nous, est immédiat et durable. Il est politique et stratégique», comme on le dit au Quai d’Orsay.
Sans aucun doute à cause d’une politique étrangère fondée sur trop d’ambiguïtés la France semble pour l’instant mal barrée. M. Macron a eu tort de vouloir donner l’impression qu’il tenait la balance égale entre les deux camps (il a reçu, ensemble, MM. Sarraj et Haftar le 25 juillet 2017, puis l’un et l’autre séparément les années suivantes). Pourtant, son soutien même discret au maréchal Haftar, était amplement justifié par l’attitude turque, par sa propre politique africaine et par la logique de ses « alliances » avec l’Egypte et les Emirats Arabes Unis, tous deux ennemis des Frères musulmans et par conséquent chauds partisans du maréchal.
Or, tout en dénonçant Ankara, M. Macron a de nouveau, depuis Tunis, appelé à « reprendre la négociation engagée dans le cadre des Nations unies ». Enième voeu pieux et surtout aveu de faiblesse voire d’impuissance car on sait que l’Onu ne sert à rien. Mieux vaudrait se rapprocher davantage des pays arabes et de l’Europe du sud qu’inquiète l’expansionnisme turc pour décider ensemble des actes forts qui conviendraient. Il n’est de toute façon pas admissible que les navires de l’Otan laissent passer des cargos chargés de matériel militaire à destination de Tripoli et que nos marins servent de cible potentielle à l’artillerie ottomane. Il faut, quand c’est légitime, avoir le courage politique de répondre à la force par la force. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
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