Il y a dans la France d’aujourd’hui au moins deux hommes, deux intellectuels, deux analystes, dont l’un reste un journaliste, lucide et courageux, l’autre fut ministre et pourrait le redevenir, qu’animent l’un et l’autre, la lucidité, la sagesse bainvilliennes. L’un la proclame parce qu’il s’est pénétré des idées et des œuvres de Jacques Bainville, le grand Bainville répète-t-il plus souvent que de raison ; et l’autre manie cette sagesse d’instinct – il ne cite guère Bainville – et avance à pas comptés avec la prudence d’un Sioux les analyses les plus iconoclastes, les propositions les plus politiquement incorrectes qui soient au regard de la doxa sans éveiller de réactions hostiles, fût-ce lorsqu’il dialogue avec les fins limiers humanitaristes et gauchards de France Inter, ce temple des définitions du Devoir, comme Maurras le disait jadis de l’Église de Rome.
Ces deux hommes – mais ils ne sont pas les seuls – ce sont évidemment Éric Zemmour et Hubert Védrine qui s’entendent comme larrons en foire, se répondent, se corrigent l’un l’autre et sont d’accord sur presque tout.
Zemmour fonce, ferraille, dit tout en clair. Védrine esquive, concède l’accessoire, assène l’essentiel l’air de ne pas y toucher. On ne pardonne rien à Zemmour ; on passe tout à Védrine. Il conserve l’aura d’un improbable homme de gauche et sa qualité d’ex-conseiller de François Mitterrand continue de lui valoir caution. On se souvient que ce dernier – qui ne renia jamais sa jeunesse ni ses amitiés vichystes – bénéficia d’une identique faveur, celle de l’homme à qui l’on pardonne tout, à qui rien n’est jamais vraiment reproché.
Hubert Védrine n’a pas l’âge d’avoir été vichyste, il n’affiche pas comme François Mitterrand un goût presque exclusif pour les écrivains réactionnaires, il n’avoue aucune attirance particulière – que Mitterrand partageait avec Charles Maurras – pour la spiritualité du Carmel de Lisieux…
Mais Hubert Védrine éprouve une sainte horreur pour les utopies idéologiques à commencer par celle des droits de l’homme ; il ne rejette pas l’idée qu’une gouvernance mondiale pourrait s’instaurer « un jour » mais un jour qui n’est pas d’aujourd’hui, un jour « lointain » en tout cas ; son Europe n’est pas fédérale ou alors là encore dans « assez longtemps », elle n’existe que comme coopération entre États ; sa politique étrangère n’a pas pour critère le caractère démocratique ou non des États, mais leur force, leur faiblesse, leur identité, leur ambition, etc. On pourrait multiplier les exemples de Real Politik selon Védrine. Il agace Zemmour avec sa nouvelle passion écologique mais il la définit comme opposée à l’écologie politique, apocalyptique, et antinucléaire. Zemmour a tendance à la rejeter en bloc parce qu’il en voit les méfaits immédiats. Il a raison. Mais sans-doute a-t-il tort de négliger ce qu’une écologie dégagée des utopies idéologiques de gauche peut avoir de parfaitement conforme aux pensées de la Tradition et aux modèles sociaux auxquels elle se réfère.
Bref, entre ces deux hommes, ces deux pensées, il existe un dialogue du plus haut intérêt pour la France et pour la civilisation européenne en général. C’est pourquoi nous proposons aux lecteurs de Je Suis Français de les suivre avec attention.
P.S. Les blogs de vrac publieront sans commentaire, ce qui leur évitera les fautes d’orthographe.