Municipales : « Chez les écologistes, c’est la ligne Eric Piolle qui a gagné »
À dater du 28 juin, pour nous, l’ennemi s’appelle Les Verts conjointement avec la Gauche idéologique dont ils sont la dernière apparence. Leur intention est claire, c’est une tentative de reconstitution de l’union de la gauche. Faut-il leur laisser la parole ? Assurément oui, si c’est pour les connaître, les évaluer, les combattre. Ils sont d’excellents révélateurs d’eux-mêmes. De la fausse, de la pernicieuse écologie qu’ils incarnent… Et une fois n’est pas coutume.
Par Mathieu Dejean
Dans la foulée de leur réussite aux élections européennes de mai 2019, où ils étaient arrivés en troisième position, les écologistes ont réalisé une percée spectaculaire au second tour des municipales le 28 juin. Souvent en alliance avec les gauches, ils ont en effet remporté plusieurs villes de plus de 100 000 habitants, comme Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux et Strasbourg. Peut-on pour autant parler de “vague verte” ? Quelles leçons la gauche doit-elle tirer de ce scrutin ? Nous avons interrogé la sociologue Vanessa Jérôme, spécialiste de l’écologie politique en France.
Ces élections municipales sont-elles un tournant dans l’histoire de l’écologie politique et du parti Europe Ecologie – Les Verts (EELV) ?
Vanessa Jérôme – Oui, c’est très clairement un tournant. Pour autant, il faut en donner les soubassements. Premièrement, une abstention record, qui pose plusieurs problèmes : très strictement pour les écologistes, celui de se trouver dans des majorités à la fois légitimées par un scrutin régulier, mais dont la représentativité des conseils municipaux et des exécutifs qui seront mis en place pose question. Deuxièmement, c’est évidemment un tournant, mais les résultats des Verts sont depuis toujours en dents de scie. Sur les municipales, ça se voit très clairement. Cette fois-ci ils montent plus haut et plus fort, dans des villes importantes, mais je guette désormais la séquence régionale. Car dans la tête des écologistes, les municipales étaient le premier pas de conquête du pouvoir par le bas, par l’écologie des territoires, avant les régionales et la présidentielle. C’est un tournant d’un point de vue électoral, mais ce tournant dit-il quelque chose de la prise du pouvoir écologiste qui vient ? On ne sait pas.
On a le sentiment que ces résultats reflètent les mouvements sociaux pour le climat qui ont secoué la rue depuis 2018. Est-ce le cas ?
Oui, très clairement, ce qui pose d’ailleurs un problème dans l’interprétation des résultats. Je ne reprends pas pour ma part le vocable de la “vague verte”, que je ne trouve pas pertinent. Ce qu’on voit, c’est que les sociétés s’écologisent à vitesse grand V, c’est-à-dire proportionnellement au fait que la crise climatique, la crise sanitaire et leurs conséquences économiques se font sentir dans les pays riches occidentaux, et sur les corps d’hommes blancs cravatés de plus de cinquante ans. Mais ce crédit est-il à porter au parti EELV en France ? On n’en saura jamais rien, car il est très difficile de savoir pourquoi les gens votent exactement. De plus, on aurait pu parler de “vague verte” s’ils avaient gagné seuls massivement, mais ce qui ressort des élections d’hier, c’est que plus aucune force de gauche (dont les Verts) ne peut gagner seule. Ça, c’est la vérité des prix d’hier. L’autre vérité des prix, c’est que quand la gauche ne se met pas d’accord, c’est plutôt la ligne socialiste qui ressort gagnante. Le duel a été épique hier à Lille, plein de suspense, mais si on regarde quantitativement, EELV a certes plus de grandes villes qu’avant, mais le PS en a toujours davantage. On assiste donc plutôt à une restructuration des gauches par l’écologie, qu’à une victoire franche, unique et sincère du parti EELV dans toute la France.
EELV est travaillé par des contradictions au niveau des orientations politiques, qui se sont incarnées ces derniers mois par Yannick Jadot d’un côté, et Eric Piolle de l’autre. Pensez-vous que ces élections ont validé l’une ou l’autre stratégie ?
La stratégie qui n’a pas marché, c’est la ligne cohn-benditienne, jadotiste, celle de la gagne par le centre et par l’autonomie. On a vu le fiasco à Paris de la candidature de David Belliard et de l’approche de Cédric Villani. Il faut avoir en tête que le parti vert est composé depuis toujours de trois tiers : un tiers d’autonomistes purs et durs, un tiers d’union préférentielle avec le PS, et un tiers d’alliance avec “la gauche de la gauche”. J’ai tendance à dire que Jadot était sur la ligne autonomiste, et qu’Eric Piolle incarne l’option à gauche de la gauche, ou celle des “DDS” (déçus du socialisme). Hier soir, c’est cette ligne-là qui a gagné. Pour la simple et bonne raison que l’option jadotiste n’a même pas été proposée aux électeurs. Il n’y a eu nulle part d’alliance EELV – LREM, ou à géométrie variable sur le centre et la droite.
Depuis l’arrivée de David Cormand au poste de secrétaire, les cadors verts disaient beaucoup ceci : “On n’est pas là pour reconstruire la gauche, on est là pour construire l’écologie.” En réalité, ils ont fait les deux. La seule chose qu’ils n’ont pas faite, c’est le dragage au centre. La ligne de dragage des déçus du macronisme n’a pas été présentée officiellement aux électeurs. Mais ça ne veut pas dire pour autant que des électeurs qui avaient voté Macron en 2017, et qui croyaient à l’idée “et droite et gauche”, n’ont pas fait le choix de l’écologie dans les urnes hier.
Difficile de savoir les motivations des électeurs qui ont voté écologiste à ce stade, donc ?
Pour l’instant, les sondages post-vote d’Harris Interactive en rabattent beaucoup sur l’idée de “vague verte”. D’une part, ils montrent qu’une majorité d’électeurs souhaite qu’un écologiste soit au gouvernement dans le remaniement, et d’autre part, on voit que dans les réformes souhaitées, l’écologie n’est pas structurante. Ce qui arrive en premier dans les souhaits, c’est une réforme pour la décentralisation, ce qui signifie que les gens en ont assez de l’hyperprésidence. La première leçon du scrutin d’hier, c’est d’ailleurs la claque qu’il constitue pour LREM. En deuxième position, on trouve l’augmentation du Smic et des minimas sociaux : les gens veulent de la gauche ! La crise a montré à quel point la France a besoin de ses services publics. Et en troisième position seulement, l’idée de soumettre par référendum les conclusions de la Convention citoyenne pour le climat. C’est une demande d’écologie. Si on en croit ce premier Polaroid, il n’y a donc pas une demande d’écologie radicale… ni radicale d’écologie.
Ce n’est donc pas la victoire de la “vague verte”, mais celle de l’union de la gauche ?
C’est à la fois une victoire de la gauche unie, et une victoire de l’écologie, que tout le monde va désormais essayer de s’approprier. C’est maintenant que commence la guerre pour l’appropriation de l’écologie, et pour savoir qui est “le plus écologiste”.
Et la guerre pour savoir qui va porter les couleurs d’une gauche potentiellement unie en 2022 ?
Il y a plusieurs scenarii en effet. Jean-Luc Mélenchon n’est pas tout à fait partant pour une candidature unique, et encore moins pour une primaire. EELV et le PS ont commencé hier soir à tirer la couverture à eux, tout en louant l’union. Maintenant, ils vont parler sérieusement de 2022. Mais les urnes ont acté qu’ils ne gagnent pas seuls. ■
Propos recueillis par Mathieu Dejean
Dans les émissions ou les colonnes de journaux où Eric Piolle apparaît, confronté dans le débat à des électeurs de base, il est frappant d’entendre la voix des « sans grade », des « gens de peu »comme aurait dit Pierre Sansot (sociologue grenoblois). Où Piolle parle de laboratoire, ceux-ci lui rétorquent : nous ne sommes pas des souris. Où les petits propriétaires de logements modestes et les cultivateurs des jardins familiaux attendent juste de pouvoir « demeurer », Piolle brandit le slogan d’une ville apaisée pour cyclistes se rendant dans les centres de recherche de la nano-technologie, entre moutons et pieds de vigne artificiellement posés entre les rails du tramway, détournant le regard des zones de non droit qui prolifèrent et des signes visibles d’une mondialisation malheureuse où le vivre ensemble est une utopie « ici et maintenant ». Donc pour paraphraser le thème de Piolle « ici ce n’est pas Grenoble », mais l’idée que ce monsieur se fait de Grenoble, lui qui a choisi de vivre avec sa famille au vert, en dehors de l’agglomération qu’il prétend gérer, dans une petite ville charmante gérée par… la droite ! Et la gauche de la gauche qui le soutient gesticule et ne trouve à exister que pour terroriser l’expression des résistants à l’homme-machine et au transhumanisme : Alliance Vita fut ainsi caillassée, quel symbole; mais le maire qui se dit « pratiquant mais non croyant » se rassure en favorisant l’érection d’une mosquée censée être payée par les seuls « grenoblois » de papier. Cela n’empêche pas ce maire de rêver à un destin outre Alpes.
Tu connais mieux que moi, évidemment, le Grenoble d’aujourd’hui, Henri (car je suppose que c’est toi), mais la ville a toujours été ce laboratoire que Piolle proclame ; la victoire de Hubert Dubedout en 1965 a préfiguré cela…
Carignon a été une surprenante parenthèse dans cette ville structurellement de gauche…