Taxerait-on, aujourd’hui, le socialiste, le pacifiste, Jean Jaurès, de nationalisme ? Comme Barrès, comme Maurras, pour ce qui est d’avant ou comme Victor Orban, ou d’autres, pour ce qui est d’aujourd’hui ? Poser la question suffit à établir la vanité et la stupidité des étiquetages, malveillants et sommaires, pourtant redoutablement efficaces pour peu qu’on ait le pouvoir – qui lui résulte de l’Argent – de les imposer comme des marqueurs d’exclusion.
L’étonnante mise en garde de Jaurès, en un temps où le mal qu’elle visait était de moindre menace qu’aujourd’hui, nous amène à quelques réflexions assez simples.
La première est une question. Est-ce que Maurras n’a pas eu tort de refuser de serrer la main de Jaurès, lorsque ce dernier en eut exprimé le désir au Café du Croissant ou de Flore où tout deux se trouvaient ? L’anecdote est peu connue, elle atteste de la raideur du caractère de Maurras. Jaurès voulut le saluer, il le dit à quelque voisin de table qui alla trouver Maurras. Ce dernier lisant un journal, n’ouvrit pas la bouche, fit seulement un geste brusque de refus et continua sa lecture. Cent trente ans ont passé. On n’y revient pas. Maurras, on le sait, voyait monter la guerre et se révoltait à la vision très ancrée en lui des « 500 000 jeunes Français – au bas mot, avait-il raison de dire – couchés froids et sanglants sur leur terre mal défendue« . Jaurès prêchait le pacifisme, s’opposait au réarmement de la France, croyait qu’au premier coup de feu, les peuples français et allemands fraterniseraient, s’opposeraient à la guerre, etc. Maurras ne sut ou ne put lui passer cette erreur porteuse de tant de morts.
Il nous revient encore à l’esprit une double preuve de la lucidité intermittente de Jaurès. Nous l’avions trouvée il y a longtemps dans les Lectures de Jacques Bainville, remarquable ouvrage où l’on avait réuni des réflexions de lecture que Bainville a données pendant un certain temps dans L’Action française. Livre brillant, empli de culture et de sagesse, écrit dans un style d’une perfection de diamant. L’une de ces chroniques avait pour titre « Brissot-la-guerre ». Elle traitait de la période révolutionnaire et en particulier de l’action des Girondins pour que la France déclarât la guerre à l’Autriche. Guerre contraire aux intérêts de la France, mais qui, à cause de cela et du fait que la Reine Marie-Antoinette était autrichienne par sa naissance, aurait pour avantage de placer la Monarchie en position de porte-à-faux. Et Bainville citait Jaurès qui, là aussi, voyait juste et l’exprimait avec une rare honnêteté d’esprit : « Pour rompre le charme séculaire de la monarchie, il fallait l’entraîner dans une mauvaise affaire de trahison« . Brissot devait se charger de cette habile opération, qui, en effet, porta grand tort à la Monarchie et ne rapporta rien à Brissot qui, pour d’autres motifs, fut guillotiné quelques temps après.
Ni sur le « charme séculaire de la monarchie », dont il était bien conscient, ni sur le piège tendu au pauvre Louis XVI par les Girondins – qui ne valaient pas mieux que les autres – pour renverser la Monarchie française, Jaurès n’avait manqué de lucidité.
Quant au texte que nous publions aujourd’hui sous forme de visuel, il nous sera facile et profitable de le confronter aux problèmes du monde actuel tels que l’analyse de Jaurès les envisageait non seulement avec lucidité mais aussi avec une avance assez singulière. Il est vrai qu’il n’y a que les modernes pour croire au caractère radicalement nouveau et, bien entendu, en progrès, des situations qu’il leur est donné de connaître… G.P.
Merci à Marc VERGIER de nous avons transmis ce texte étonnant.
Bravo pour la trouvaille et bravo pour le commentaire !!!
Oui, Maurras aurait dû accepter d’affronter Jaurès . Ce dernier n’avait pas tort de vouloir la paix mais pour cela il aurait dû accepter auparavant de purger la France du patriotisme révolutionnaire, Maurras n’avait pas tort de souligner l’inconséquence de la république, inapte à faire la paix et à se prémunir de la guerre dans un équilibre européeen et de dénoncer le danger qui rendait de facto notre pays être l’otage des plans de l’Etat-major allemand, le trop fameux plan Schlieffen. .
Maintenant il faudrait examiner le rôle probablement délétère de Poincaré allant en Russie en juillet 1914 encourager le parti de la guerre. Les archives diplomatiques sur cette période n’ont elle pas disparu ? ..
Le patriotisme républicain n’est -il pas un oxymore selon l’analyse de Jean de Viguerie ?. Ce patriotisme -ci servait de religion à Poincaré ce lorrain attaché à une folle revanche et à ma connaissance l’homme n’était pas chrétien . Cette guerre n’est-elle pas une défaite de la civilisation européenne et de ses racines , initiée par la » montée aux extrêmes » bien analysée par René Girard et aussi suite de la fuite en avant des guerres révolutionnaires, bien vue par Guglielmo Ferrero, et dont seul Talleyrand aurait su nous exorciser au congrès de Vienne soutenu par le Roi légitime et nous donner cent ans de paix malgré la stupide guerre de 1870 ? .
Finalement par métastase de ce patriotisme républicain jusqu’au boutiste, la fine fleur de la jeunesse européenne n’a-telle pas été été otage de son dévouement naturel à sa communauté de naissance, sacrifiée par des vieillards avides ou jaloux d’elle, confondant leur patrie la patrie italienne, française, et même allemande, (puisque le patriotisme allemand est né en réaction à celui de la France) avec la dénaturation d’un patriotisme apaisé.
Qui a voulu exorciser cette défaite de la pensée, ce suicide de l’Europe sinon Pie X et Benoit XV dont seul Maurras en France a su saisir l’élévation. Moralité, méfions-nous des idoles sanguinaires et ne nous réconcilions pas avec le patriotisme idolâtre républicain. Seule la France compte. .