PAR RÉMI HUGUES.
Article en 5 parties, publiées du mardi 24 au samedi 28 janvier 2023.
Plutôt que de voir la guerre comme une conséquence du péché originel, Kant estime qu’elle est consubstantielle à la condition humaine à l’état de nature, ce qui témoigne de la modernité de sa pensée, dans le sens d’affranchie du dogme, puisque l’état de nature est un mythe produit par la modernité, et qu’il n’a aucune validité historique.
Par conséquent, d’après lui « la guerre n’est que le triste moyen auquel on est condamné à recourir dans l’état de nature pour soutenir son droit par la force (là où n’existe aucun tribunal qui puisse juger avec force de droit. »[1] En ce cas, écrit Kant, « seule l’issue du combat (comme dans ce qu’on appelait les jugements de Dieu) décide de quel côté est le droit. »[2]
Cette remarque évoque deux phrases très proches. La première fut prononcée par le légat du pape au siège de Béziers : « Tuez les tous ; Dieu reconnaîtra les siens. » La seconde figura dans une lettre qu’adressa le pape saint Pie V au roi Charles IV avant la Saint-Barthélémy : « Tuez-les tous, comme fit, jadis, Samuel, pour les Amalécites, sur l’ordre de Jéhovah. »[3]
Le droit de la force remplacé par la force du droit : telle est l’intention sous-jacente au projet kantien ; qui a pour corollaire la disparition de toutes les armées, au profit d’une police mondiale. Problème épineux sur lequel Winston Churchill buta quand, à l’occasion de son intervention à Fulton le 5 mars 1946, il expliqua qu’il ne voyait pas les Nations Unies nouvellement crées comme une institution désarmée, espérant « qu’elle soit un vrai temple de la paix où pourront un jour être suspendus les boucliers de beaucoup de nations, et non seulement un poste de contrôle dans une tour de Babel. Avant de nous défaire de nos armements nationaux, qui constituent une assurance solide pour notre sécurité, nous devons être sûrs que notre temple a été construit non pas sur des sables mouvants ou des bourbiers, mais sur du roc. »[4]
Le rêve immémorial de Paix mondiale n’était pas étranger au père-la-victoire Churchill, lui qui fut si exposé à la guerre, taraudé que visiblement il était par ce passage du livre d’Isaïe : « Il sera le juge des nations, L’arbitre d’un grand nombre de peuples. De leurs glaives ils forgeront des hoyaux, et de leurs lances des serpes. Une nation ne tirera plus l’épée contre une autre, et l’on n’apprendra plus la guerre. » (ch. II, v. 4).
De même que Kant : « Les armées permanentes doivent entièrement disparaître avec le temps. Car, en paraissant toujours prêtes pour le combat, elles menacent constamment de la guerre avec les autres États ; elles invitent les États à se surpasser les uns les autres par la quantité illimitée de leurs troupes. Cette rivalité engendre des dépenses qui finissent par rendre la paix plus onéreuse encore qu’une courte guerre, et sont la cause d’hostilités entreprises pour se délivrer de cette charge. »[5] Une police mondiale a donc vocation à se substituer aux armées nationales.
Au fond dans sa pensée se mêlent mythes anciens et mythes modernes, en particulier l’idée de contrat social, qui est apparue au XVIe siècle avec Thomas Hobbes et son Léviathan. De son adhésion à la théorie contractualiste découle sa croyance en la supériorité des institutions républicaines.
Il estime que la constitution républicaine « est la seule qui dérive de l’idée du contrat originaire, et sur laquelle doit se fonder toute la législation juridique d’un peuple. »[6] En tant que « source pure de l’idée de droit » elle présente « l’avantage de nous faire espérer la paix perpétuelle »[7]. Kant aspire à une « république mondiale »[8].
En lisant ces lignes l’on comprend aisément pourquoi la IIIe République – dont Macron est un fidèle continuateur de l’esprit philosophique – choisit Kant comme maître à penser : il érigea ce système institutionnel en pinacle des régimes politiques. ■ (À suive).
[1]Ibid., pp. 84-5.
[2]Ibid., p. 85.
[3]Cité par Paul Le Cour, L’Évangile ésotérique de saint Jean, Paris, Dervy, 2002, p. 142.
[4]Les grands discours du XXe siècle, p. 111.
[5]Immanuel Kant, op. cit., p. 79.
[6]Ibid., p. 91.
[7]Ibid., p. 93.
[8]Ibid., p. 105.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Merci pour cette synthèse instructive et stimulante sur les origines philosophiques des utopies mondialistes. Ces utopies n’ont pas apporté la paix mais les guerres perpétuelles.
Bref elles visent à éloigner le pouvoir des citoyens et des peuples pour le concentrer entre les mains de ploutocrates financiers. Trump avait raison :
« Si vous voulez la liberté, soyez fier de votre pays. Si vous voulez la démocratie, accrochez-vous à votre souveraineté. Et si vous voulez la paix, aimez votre nation. Les dirigeants sages accordent toujours la priorité au bien de leur propre peuple et de leur propre pays. L’avenir n’appartient pas aux mondialistes. L’avenir appartient aux patriotes. » (Donald Trump)