Par Pascal Cauchy.
À la surprise générale, le gouvernement russe a annoncé le 10 janvier dernier que le déficit budgétaire serait plus important que prévu et que les dépenses publiques ont dépassé les recettes de 3 300 milliards de roubles (46 milliards d’euros), soit 2,3 % du PIB (contre 2% attendus 1-2).
On reste toutefois stupéfait de la résistance de l’économie russe.
Rappelons qu’en 2021 la Russie affichait un budget excédentaire, depuis plusieurs années consécutives. Mais voilà, la guerre a tout absorbé. Le coût militaire du conflit et les dépenses sociales rendues nécessaires par une inflation à 12% (indexation des retraites, augmentation du salaire minimum et des aides sociales) ont eu raison du bas de laine russe. Certains y voient un effet des sanctions occidentales. Il est vrai que plus de 13 000 mesures de sanctions (un record historique) ne pouvaient qu’affecter l’économie russe, tant celle-ci était imbriquée dans le commerce mondial. À cela, il faut ajouter les « contre-sanctions» russes qui accentuent une pénalité déjà hors norme. Presque toutes les industries ont été soumises à des restrictions. Tout d’abord, le secteur financier a souffert de la déconnexion du système de transfert interbancaire SWIFT et du gel de la moitié des réserves d’or et de devises. Surtout, le secteur pétrolier et gazier a été privé de son principal marché européen (la moitié des exportations russes). Enfin, plus de 1 500 entreprises étrangères ont arrêté ou cédé leur activité en Russie et ont quitté le marché intérieur. Le coup le plus rude fut le refus des compagnies d’assurance occidentales de couvrir le transport du fret international en provenance de Russie. La décision, particulièrement brutale et efficace, dut être amendée pour plusieurs produits (céréales, engrais…) afin d’éviter une crise mondiale de grande ampleur.
En mars-avril 2022, les agences d’analyse occidentales, avec une jubilation non dissimulée, ont prédit l’effondrement de l’économie russe. La chute du PIB, selon leurs prévisions, pourrait atteindre rapidement 20% voire 50%. Il n’en fut rien. Non seulement l’économie russe a tenu le choc par un protectionnisme vigoureux et des parades habiles mais elle a montré, un temps, une santé presque insolente. Le FMI devait constater que le PIB russe n’avait baissé que de 4 % à l’automne dernier.
2023 s’annonce difficile
Pourtant les sanctions, à défaut d’être immédiatement efficaces, ne sont pas indolores sur le moyen terme. Les économistes russes eux-mêmes s’attendent à de mauvais chiffres. Les expert d’Alpha-Bank, une des principales banques privées de Russie, prévoient une chute cumulée de 6% du PIB, les chercheurs de l’Université de Moscou annoncent, eux, une baisse de 10% compte tenu des marchés perdus. Le vrai souci est la dépendance des finances fédérales à l’égard de la rente énergétique dont les taxes couvrent 36% du budget.
Selon le gouvernement, ce sont bien les recettes qui font défaut, en particulier les taxes sur l’exportation du gaz et du pétrole. Au début de 2022, le baril de pétrole de l’Oural s’échangeait à 90 dollars, aujourd’hui il se vend à 37 dollars. Alors que le plafond décidé par les Occidentaux est de 60 dollars, cette chute s’explique par un effet collatéral des sanctions. En privilégiant la Chine et l’Inde, la Russie s’est mise dans la main de ses principaux clients. Ceux-ci marchandent à la baisse et se révèlent de redoutables négociateurs. Pour expliquer cette position de force des acheteurs, il faut rappeler une conjoncture industrielle mauvaise, des baisses de productions et un effondrement des ventes internationales, en provenance principalement de l’Asie, ce que révèle la chute significative du fret maritime, véritable baromètre de l’économie mondiale. L’indice Baltic Dry, qui mesure l’activité du transport maritime de vrac sec (minerais, charbon, céréales…) accuse un recul de 18% sur un mois (et près de 50% sur un an). Pour compenser le manque à gagner, la Banque centrale de Russie vend 800 millions de dollars contre des yuans, accélérant ainsi l’indépendance à l’égard de la monnaie américaine.
Ainsi, c’est tout autant les sanctions que l’état mondial de l’économie qui met la Russie sous tension. On reste toutefois stupéfait de la résistance de l’économie russe. Sur le long terme, le gigantesque programme d’investissement public, inauguré en 2014 dans la perspective d’une souveraineté technologique, devrait donner ses fruits d’ici deux ou trois ans. Entretemps, la lutte contre l’inflation et la volonté de baisser les taux d’intérêt demeurent la priorité afin de favoriser, entre autres, l’investissement privé nécessaire à la relance.
Mais, au bout du compte, c’est la confiance dans l’avenir qui donnera ses fruits à ce volontarisme économique et financier, et pour cela il faut mettre fin à la guerre. Des mages et des voyantes russes se bousculent sur les réseaux sociaux locaux pour prédire la paix en 2023 ; pas sûr que cet optimisme astral suffise. ■
1. En France, le déficit pour 2022 est d’environ 6% du PIB.
2. Le calcul uniforme du PIB est sujet à caution. En Russie, il est le reflet de la production industrielle alors que chez les Occidentaux la part des services publics et privés non productifs (coûts de la santé, coûts sociaux) y est considérable. Ce qui laisse dire à des observateurs approximatifs que le PIB de la Russie est l’équivalent de celui de l’Espagne !
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Belle et intéressante analyse qui nous fait sortir des sentiers battus !