Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
M. Charles Michel et Mme Ursula von der Leyen peuvent bien répéter à M. Zelensky ce qu’il a envie d’entendre (« L’Ukraine c’est l’Union européenne, l’Union européenne c’est l’Ukraine») : on sait bien que cette convergence programmée ne sera ni simple, ni rapide et que, d’ailleurs, elle n’est sans doute pas souhaitable. Ils peuvent rêver mais leur visite et leurs propos du vendredi 3 ne font qu’illustrer l’irréalisme d’interlocuteurs qui, vu le contexte et au moins à court et moyen termes, ne peuvent rien faire sans l’aval des États-Unis, désormais à la tête d’une Otan ressuscitée. Y compris pour le déroulement des hostilités et notamment pour quelque livraison d’armes que ce soit. En fait, Washington orchestre une aide militaire dont la progression est savamment dosée ; après avoir annoncé l’envoi de chars lourds en Ukraine, M. Biden aura, au cours de la semaine suivante, dit non à la livraison d’avions F-16 puis oui à celle de roquettes longue portée : on lâche un peu la bride aux boutefeux euro-atlantistes, mais pas trop ni trop vite, de façon que les choses durent.
Les Américains y trouvent en effet leur compte. Voici maintenant l’Union européenne face aux conséquences de l’Inflation Reduction Act, ce plan de financement (investissements et subventions) de l’industrie américaine de 430 milliards de dollars. En fait, une redoutable machine de guerre protectionniste puisque l’argent n’ira qu’à ceux qui produisent et consomment américain. America first ! On les comprend et on les envie. Mais, compte tenu d’une énergie deux fois moins chère qu’en Europe, le risque est grand de voir des entreprises européennes s’installer (en tout ou partie) aux États-Unis. Si l’on en croit la liste établie par la presse économique, la pompe aspirante américaine est déjà une réalité pour nombre de fleurons de l’industrie européenne ; citons, pour le symbole, le nom de B.M.W. en Caroline du Sud (Photo).
En réponse, et pour soutenir l’industrie du Vieux Continent, la Commission de Bruxelles vient de présenter un Green Deal Industrial Plan (Plan industriel du pacte vert) qui sera discuté ces 9 et 10 février à Bruxelles. Sans doute pour se donner bonne conscience ou pour ne pas effrayer les Américains ou encore pour obtenir ainsi le soutien de certains, la Commission présente un plan industriel…vert, pensant éviter les délocalisations en investissant dans la sacro-sainte transition énergétique. On verra bien.
On sait déjà que l’idée française consistant à relever le « défi » américain (le mot est quand même de M. Le Maire) par un dispositif équivalent déplaît forcément aux tenants d’un libéralisme pur et dur opposés par idéologie à toute forme de protectionnisme. Donc, pas de protection aux frontières de l’Union ? Outre leur peur maladive des rétorsions commerciales, ils détestent aussi toute forme d’interventionnisme étatique susceptible de mettre en péril le marché commun européen. Donc, pas d’assouplissement des règles actuelles concernant les subventions d’État ? Emmenés par les Pays-Bas et la Suède, les libéraux pourront sans doute compter sur une Allemagne fort peu décidée à assumer une grande responsabilité dans le financement du plan proposé. Ça va discutailler ferme, pendant des semaines et des mois, pour arriver à un compromis boiteux et d’une efficacité douteuse. En attendant, les délocalisations suivront leur cours.
Cependant, tout n’est pas perdu : l’Ukraine finira peut-être (certainement même, si l’on en croit Charles et Ursula) par ramer avec nous. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
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