LE COUP DE POING DE PÉRONCEL-HUGOZ.
Par Péroncel-Hugoz.
Depuis des mois et des mois on nous bassine avec le cas de cette malheureuse jeune femme iranienne kurde qui aurait été tuée en Iran par la police de la république islamique. Poignant en effet de mourir pour un tchador mal mis ! On nous parle infiniment moins , dans les médias européens, de ces étrangers orientaux, accueillis chez nous et qui soudain en plein jour, en pleine rue, sortent un couteau (ou un hachoir devenu dans notre presse « une feuille de charcutier »…) et égorgent, mutilent, blessent ou éventrent le premier quidam indigène se présentant… En revanche nous croulons ad nauseam sous les reportages sur les horreurs commises par les mollahs dans l’ancienne Perse qu’ils gouvernent depuis plus de 40 ans…
Justement on ne nous parle pratiquement jamais du système politique qui prévalait à Téhéran avant le règne des enturbannés . Or il se trouve que j’ai vu fonctionner ce gouvernement oublié, ayant alors plusieurs fois été envoyé spécial en Iran entre 1965 et 1979, notamment pour « le Monde » (je le fus aussi après la révolution khomeyniste, en particulier pour un entretien avec le président Rafsandjani).
Eh bien sous le gouvernement monarchique, les Iraniennes, à l’image de l’impératrice Farah et des sœurs de Mohamed Reza Chah, se vêtaient et se coiffaient comme elles l’entendaient. Le premier empereur Pahlavi, proclamé en 1925, interdisit même un temps le voilement de ses sujettes, eh oui ! . C’était pourtant aussi un régime mahométan mais sans fanatisme. Malgré ce libéralisme sociétal, malgré la modernisation technique généralement menée dans le respect des coutumes autochtones y compris durant la « révolution blanche » , impliquant la distribution aux paysans d’une partie des terres du clergé chiite (car en islam, sunnite ou chiite, s’il n’y a pas de sacerdoce, il existe bel et bien un clergé ou du moins une classe cléricale, et c’est cette réforme agraire qui déclencha l’ire de l’ayatollah Khomeini contre les Pahlavi) , malgré tous ces aspects « progressistes », le Chah réformateur , qui avait le tort de porter la tiare impériale de Perse au lieu du chapeau mou d’Atatürk ou de la casquette kakie de Castro, fut trainé partout dans la boue par la gauche internationale car parallèlement à cette refonte exemplaire de la vieille perse, le chah menait une politique impitoyable contre les communistes locaux, représentés principalement par le violent parti Toudeh que soutenait évidemment l’Union Soviétique . Cette politique antimarxiste ne fut pas pardonnée au Chah par notre intelligentzia, à cette époque très souvent en cheville avec Moscou …
Les élites iraniennes alors très francophones et très branchées Paris, se mirent donc à soutenir aveuglément khomeyni. Le philosophe français Michel foucault (né en 1926 dans la bourgeoisie poitevine, mort du sida en 1984) vint à Téhéran en 1978 et encouragea sans vergogne la couche éduquée locale à renverser la monarchie perse trois fois millénaire et à la remplacer par une incertaine république de religieux « révolutionnaires » ; il fut écouté au-delà de tout ce qu’on pouvait imaginer. Je vis avec stupeur défiler le poing levé dans les rues téhéranaises des dames de la bourgeoisie iranienne, habituellement cheveux au vent, pour l’occasion tchadorisées par Hermès ou Dior , et criant « mort au Chah ! « . Ces cris furent bien entendu approuvés bruyamment par nos intellos de gauche, jamais en retard d’une bourde mais aussi par le bêta président carter a Washington et par l’intelligent Giscard d’Estaing qui offrit un asile campagnard en France au vieil ayatollah ou vinrent béatement l’admirer tant de nos « penseurs » parisiens.
Foucauld avait inventé avant la lettre l’islamo-gauchisme si bien illustré à présent par les Mélenchon, Bompard et compagnie . Les actuelles manifestantes dévoilées de Téhéran, Ispahan et Tabriz ignorent sans doute que la mort tragique de leur sœur kurde de notre époque était en germe au cours de la décennie 1970 dans les errements de tous les petits Foucauld européens, américains et bien sûr persans … Mektoub, c’était écrit, comme disent les bons musulmans dans la langue du Prophète … ■
Longtemps correspondant du Monde dans l’aire arabe, Péroncel-Hugoz a publié plusieurs essais sur l’Islam ; il a travaillé pour l’édition et la presse francophones au Royaume chérifien. Les lecteurs de JSF ont pu lire de nombreux extraits inédits de son Journal du Maroc et ailleurs. De nombreuses autres contributions, toujours passionnantes, dans JSF.
Retrouvez les publications sous ce titre…
Oui.
Un article salutaire, qui foudroie comme il se doit l’hypocrisie de nos intellectuels et politiques.
Quelques observations.
D’abord, l’auteur parle de « la monarchie perse trois fois millénaire » ; certes, et le changement dynastique au début du siècle dernier n’y change rien (c’est chose courante en Perse), mais l’empire avait pris une direction qui tenait plus du despotisme éclairé que de la tradition iranienne. Le modèle de Reza Shah était moins Cyrus le Grand que Frédéric de Prusse ou Mustapha Kémal.
Ensuite, il me semble que dans les colonnes de ce site, on n’a pas prêté assez attention au rôle joué par le prince Reza Pahlavi. Son soutien aux manifestations actuelles pourrait bien le porter au pouvoir. La restauration de la monarchie est devenue une option crédible. Bien sûr, ce serait une monarchie parlementaire et libérale, mais peu importe : le prestige de l’idée royale n’en sera que renforcé partout dans le monde, y compris en France.
J’ajoute que si je me réjouirai de la fin de la dictature islamiste iranienne, j’espère qu’elle ne sera pas remplacée par une société sécularisée à l’occidentale, ce que voulait faire Reza Shah au détriment des traditions de son pays.
Peut-être. Mais c’est loin d’être chose faite, me semble-t-il. Les principaux opposants à une nouvelle monarchie en Iran pourraient bien être les États-Unis.
Les États-Unis ont la phobie de la monarchie
Ils ont refusé de la rétablir en Afghanistan, société tribale et féodale, que seule une monarchie peut federer
Les résultats sont sous nos yeux, comme pour la Libye, l’Irak
Cela a commencé avec la destruction de l’Empire austro-hongrois par Wilson, avec le soutien de Clemenceau
Pour les iraniens ils devront l’imposer eux-mêmes contre les États-Unis avec le soutien d’un pays ami. Le notre ?
Pour la question du «sacerdoce» ou non entre les shiites et les sunnites, il y a deux choses à mettre au point : la première tient à ce que nous entendons, nous chrétiens, par le sacerdoce, lequel, évidemment, ne saurait absolument pas être comparable dans une autre tradition ; la seconde, à ce que l’on pourrait appeler une «autorité représentative» (concept que nous saisissons parce que c’est ainsi que la catholicité fonctionne – concept qui nous a été compliqué par le simplisme protestant et sa notion de «libre arbitre»)… Le sunnisme n’a pas de ce que l’on pourrait appeler une «autorité représentative» identifiable, le shiisme, oui… Cela ne veut pas dire que le sunnisme est sans sacerdoce, ni que celui du shiisme n’en serait pas tout à fait un, ou tout ce que l’on voudra autour de ce genre de considérations… En revanche, très assurément, Grégoire Legrand a tout à fait raison de comparer le Shah à une espèce de Frédéric de Prusse et, même, à Mustapha Kemal (quoique ce puisse davantage se discuter dans le détail, mais, globalement, ce reste fondé).
Ce que l’on doit ajouter à l’article de Peroncel-Hugoz c’est qu’il y a lieu de ne pas chercher à analyser les choses qui nous sont étrangères à la vague clarté de ce qui nous est familier – bref, à ne pas étendre l’anthopocentrisme maladif des athées, le vingtièmesiéclocentrisme des Modernes, l’occidentalocentrisme des démocrateux et autres psychopathies voltairomaniaques à tout ce que l’on observe, car, de cette façon, on peut être assuré de n’y rien comprendre. Il ne faut pas confondre la notion d’«empirisme organisateur» avec une «reductio ad», c’est même tout le contraire, pour peu que l’on consente à réfléchir avec une intelligence un tant soit peu sensible à celle de Maurras – n’oublions pas l’idée de préférer sa famille à celle des autres, son village à sa région, sa région au pays, son pays au continent, etc. (pardon de ne pas avoir mémorisé la formule exacte), qui relève exactement de la même logique, haute logique et non seule logique de circonstance, «logique» correspondant immédiatement à ce que Chesterton entendait par «sens commun».
Pour ce qui est de la monarchie irano-persane, celle-ci se rattache au Khalifat, qui n’est pas l’équivalent de nos «royaumes» occidentaux, en général, quoique, peut-être, un peu plus proche du Royaume de France ; du reste, Sa Majesté Hassan II avait revu les dispositions internes à la Royauté du Maroc en les calquant beaucoup sur celles de la monarchie capétienne…
Disons encore que le Khalife, «shiite» est «Commandeur des Croyants» (tout comme le roi du Maroc, «sunnite»), ce qui n’est pas le cas du roi de France et moins encore des autres monarques occidentaux (la royauté anglaise chef de l’Église anglicane est une vilaine modernité et les manipulations diverses permises par l’autocéphalie ayant cours en orthodoxie ne correspondent pas au cas en question).
Je rajoute, si on me le permet, que l’affaire de la chariah, qui ébouriffe à peu près tout minus Occidental qui se respecte en tant que démocrato-républicain, est totalement incomprise pour cette excellente raison que, telle qu’elle serait appliquée par les «musulmans» modernes, elle correspond très exactement à une espèce de «libre arbitrage» de nature politique, c’est-à-dire, à un décalque du sociologisme puritain étatsuniens, lequel veut imposer à tout ce qui l’entoure les lois qu’il a concoctées en son for «waspeu» (j’ai appris tout récemment ce que signifiait «wasp», alors, je m’amuse avec cela) – le voile pudibond de la bien-pensance assorti au string libertaire n’ayant pas grand-chose à envier au tchador de la talibanerie.
Vous parlez d’or. Petite précision de mon côté, quand je compare les deux Pahlavi à Frédéric le grand ou à Mustapha Kémal, ce n’est pas seulement à cause de leur autoritarisme, mais aussi et surtout parce qu’ils ont voulu moderniser leurs sociétés à outrance, au mépris de leurs traditions respectives ; quoique sur ce point, on puisse difficilement critiquer Frédéric d’avoir trahi quelque tradition que ce soit, puisque la Prusse était sa créature.
Oui, cher Grégoire Legrand, vous avez raison… Je me demande bien pourquoi je me suis permis de pinailler sur votre comparaison puisque j’entendais parfaitement ce que vous disiez…
Je profite du moment pour me corriger : lorsque j’ai écrit «libre “arbitre”», il fallait évidemment lire «libre EXAMEN» ; je me suis emmêlé les formules…
Je me permets, toutefois, de m’arrêter un instant sur l’idée selon laquelle «la Prusse était sa créature» (celle de Frédéric II)… Ce n’est pas tout à fait exact, et cela se situe sur un plan géo[quelque-chose] assez spécial et passionnant : celui des pays Baltes (+ la Finlande), qui relèvent manifestement de considérations nécessitant un «archaïsme» intellectuel pour pouvoir les aborder… Imaginons, par exemple que la langue lituanienne est celle qui se rapproche le plus du sanscrit (!!!???), et encore que, jusqu’au XIXe siècle, les pratiques chorales suomies (terreau «culturel» des Estonie, Mordovie, Finlande et autres provinces dont nous n’avons même pas idée qu’elles existent encore), ces pratiques chorales suivaient rigoureusement celles ancestrales (dites «runiques») et que, aujourd’hui encore, ces populations inouïes se consacrent à l’art choral dans des proportions démographiques astronomiques : quelque chose comme trois, quatre ou cinq petits millions d’Estoniens ou de Finlandais président néanmoins à des opérations «chorales» sur tous les territoires réunissant plusieurs milliers de voix et des centaines de milliers de participants !!! Sans compter que, pour une même «quantité» de peuple, nous allons compter un nombre de chefs d’orchestre éminents qui défie toutes les proportions rencontrées dans les autres nations, et un nombre considérable d’orchestres de la plus haute tenue…
Bref, Frédéric II était malheureusement en position de bel et bien pouvoir «trahir» une tradition… Mais cela remonte à des données «culturelles» assez peu accessibles selon les méthodes du matérialisme historique.
Évidemment que je déborde beaucoup le cadre dans lequel nous nous étions inscrits, cependant, je dois justifier cela avec le fait que, lors de la fin du soviétisme, la libération des pays Baltes a été définie comme «La Révolution chantante», parce que, notamment, il a été constitué une chaîne humaine ininterrompue, depuis le nord de l’Estonie jusqu’au sud de la Lituanie, chaîne CHANTANTE, justement ! Et, par-dessus le marché, il y eut au moins deux hommes d’État estoniens qui étaient des compositeurs, et non des moindres : Lepo Sumera et Peter Vähi, et, croyé-je, peut-être bien quelques autres… L’amusant, dans tout cela tient à ce que l’on sait bien à quel point Frédéric II appréciait la musique – il était un flutiste émérite, tâtait de la composition, et c’est lui qui donna à Jean Sébastien Bach le «thème royal» sur lequel Bach eut à improviser des contrepoints de plus en plus complexes, ce d’après quoi il composera finalement la fameuse «Offrande musicale» «Très humblement dédiée à Sa Majesté le roi de Prusse»…
La langue qu’aurait dû parler Frédéric II est le «vieux prussien» (disparu aujourd’hui, sauf erreur), mais ledit Frédéric n’était «racialement» en rien prussien : les Hohenzollern sont des Souabes, des Germains du Sud.
Bon, je m’égare et vais ennuyer le monde… Seulement, chers amis de par ici – c’est moi qui vous le dis ! – aller jeter des yeux et, surtout, vos oreilles sur ce qui a providentiellement persisté et dont un bel écho descend droit vers nous depuis les rives de la Baltique, rives au bord desquelles, les désignant pour illustrer son propos, la belle et supérieurement talentueuse chef d’orchestre Anu Tali a pu déclarer : «Nous, les Estoniens, sommes cruels !» Explication définitive qu’elle entendait donner au talent propre des gens de sa nation et au fait qu’il fallait considérer pour elle que les questions spirituelles et religieuses avaient préséance absolue et tout ascendant sur sa pratique musicale – quelle «cruauté», en effet…