PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cet article est paru dans Le Figaro du samedi 11 février. Nous n’avons rien à y ajouter. Sauf qu’à l’heure où « Vaincre ou mourir » connaît le succès, évidemment tout relatif qu’il pouvait espérer dans le cadre du Système, ceux qui appartiennent comme nous ici à l’école maurrassienne, savent depuis fort longtemps que le totalitarisme – et non pas seulement la tendance « autoritaire » – est au cœur de l’idéologie révolutionnaire et ils ne sont nullement surpris qu’il n’ait pas cessé d’exister. Il est même au cœur de la pratique démocratique selon la tradition révolutionnaire française. C’est de cette dernière dont il faut se défaire si l’on souhaite s’émanciper autant que faire se peut de la tentation totalitaire.
CHRONIQUE – Au cœur de ce régime, on trouve un dogme: l’idéologie diversitaire. C’est autour d’elle que se construit ce qu’on appelle le politiquement correct.
« C’est au nom de la république, de la démocratie et de l’État de droit qu’on en appelle à la fermeture de CNEWS et C8. »
Je ne me fais aucune illusion: on me dira que c’est parce que je travaille à CNEWS depuis août 2021 que je publie aujourd’hui cette chronique après les menaces lancées contre la chaîne et contre C8 par la ministre de la culture Rima Abdul Malak. Je répondrai une chose toute simple: la question de la censure exercée par le politiquement correct est au cœur de mes travaux et de mes livres depuis une quinzaine d’années, et je suis obligé de constater, dans cet évènement, que la tentation autoritaire du régime diversitaire se concrétise sous nos yeux. Chacun sait d’où je parle et ceux qui me lisent savent à quoi s’en tenir.
Alors revenons-y un instant, en faisant un petit exercice mental inattendu. Imaginons un instant un lointain pays d’Europe orientale, ou une république balkanique oubliée, d’où nous viendrait la nouvelle que le gouvernement menace de fermeture deux chaînes de télévision associées à tort ou à raison à « l’opposition ». Les capitales européennes s’inquiéteraient de ce virage illibéral et les associations se voulant au service de la liberté de presse se mobiliseraient dans l’heure. D’étonnante manière, c’est en France que cette histoire se déroule, sans que cela n’indigne grand monde.
À deux reprises, donc, ces dernières semaines, la ministre de la culture, Rima Abdul Malak, a menacé CNEWS et C8 de fermeture. Derrière une argumentation technique voulant que les deux chaînes n’aient pas respecté certaines règles, il s’agit d’une volonté bien claire de mater ceux qui s’inscrivent dans ce que le régime diversitaire interprète comme une forme de dissidence médiatique. Soit les deux chaînes rentrent dans le rang, soit elles seront simplement fermées. L’extrême-centre ne cache plus sa tentation autoritaire, d’autant qu’il croit se confondre avec le cercle de la raison. L’argument est suave: c’est au nom de la république, de la démocratie et de l’État de droit qu’on en appelle à leur fermeture.
Mais que veut dire rentrer dans le rang? Que veut dire «responsabiliser les présentateurs, les chroniqueurs», pour reprendre les mots de la ministre. Il faut se détacher un instant de la présente querelle pour éclairer le sens de ce rappel à l’ordre. Tout régime, et le régime diversitaire ne fait pas exception, cherche à organiser l’espace politico-médiatique à son avantage. Il délimite le périmètre du pensable. Qui en sort sera vite marqué au fer rouge de l’infréquentabilité.
Au cœur de ce régime, on trouve un dogme: l’idéologie diversitaire. C’est autour d’elle que se construit ce qu’on appelle le politiquement correct. Qui doute de ce dogme commence à sentir le soufre. Mais ce désaccord n’a même pas à prendre la forme d’une contradiction polémique. Il suffit de raconter l’actualité à partir d’une autre perspective que l’angle dominant, ou d’accorder de l’importance à un fait ailleurs négligé, pour être fiché. Par exemple voir un fait de société là où le système médiatique veut nous faire voir un fait divers est inacceptable, comme on l’a vu au moment de l’affaire Lola. Qui disait autre chose à ce moment était accusé dans le mainstream médiatique de «récupération».
De même, qui refuse la typologie dominante pour nommer les forces politiques qui composent l’Assemblée, soit les républicains et les extrêmes, et choisit d’utiliser un vocabulaire moins stigmatisant, sera accusé de normaliser les ennemis du régime ou de faire leur jeu. Car la possibilité d’étiqueter les uns et les autres de plus ou moins avantageuse manière est au cœur du pouvoir et permet de conditionner l’opinion, qui demeure sensible au risque de la mauvaise réputation. Le régime panique à l’idée de perdre le monopole du récit médiatique légitime et de la hiérarchisation des informations tels qu’il faut les présenter au public. Alors il se radicalise.
Tant que cette dissidence s’exerce dans les marges, cela passe encore. Mais on ne pardonne pas à CNEWS et à C8 leur succès. À travers ces chaînes, des courants oubliés de la société française autrefois invisibilisés dans le système médiatique accèdent à l’existence publique. Dès lors, le système prend peur. Il redoute toujours qu’une voix forte se fasse entendre, fasse sauter les tabous idéologiques et donne au commun des mortels le droit de dire ce que la morale mondaine interdisait de dire jusque-là. Dès qu’une figure se distingue, il faut l’entourer d’un halo maléfique.
Plusieurs à gauche ne tolèrent tout simplement pas l’existence de la chaîne. Ils se font une fierté de la boycotter. Mais le boycott ne suffit plus. La chaine ne devrait même pas exister, même si à l’échelle du PAF, il s’agit d’une voix très minoritaire. Mais une voix dissidente, c’est une voix de trop. Je parle ici exclusivement en mon propre nom, mais il me semble que c’est moins une ligne éditoriale idéologiquement marquée qui caractérise CNEWS qu’un authentique pluralisme, qui ne se réduit pas à l’expression de cinquante nuances du discours dominant, comme c’est le cas ailleurs. C’est peut-être cela qu’on ne lui pardonne pas. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.