Par Guillaume Perrault.
Ce long et substantiel article est paru dans Le Figaro du samedi 11 février. Il nous semble bon que nos lecteurs en aient connaissance. Il est l’un des rares de cette importance dans la presse « mainstream » à avoir évoqué « Vaincre ou mourir » favorablement et, qui plus est, à avoir traité le sujet lui-même. Ce qu’il faut en penser du point de vue historiographique nos lecteurs et amis historiens le diront, s’il y a lieu. En tout cas, le tabou des horreurs républicaines commises à cette époque est désormais bel et bien brisé et les « puissances » de gauche en sont réduites à pousser les hauts-cris du haut de leur hégémonie de fait pour l’instant inchangée..
GRAND RÉCIT – Le film «Vaincre ou mourir», de Paul Mignot et Vincent Mottez, a heurté ce qui demeure un tabou dans une partie de l’opinion: dépeindre les guerres de Vendée du point de vue des insurgés. Le film, pourtant, rend compte fidèlement d’une plaie béante de l’histoire de France.
Ces gentilshommes qui refusaient, dit-on, de rendre leurs devoirs au roi, sont les seuls qui aient défendu, les armes à la main, la monarchie en France, et ont pu y mourir en combattant pour elle. Tocqueville, L’Ancien régime et la Révolution
Le film Vaincre ou mourir, qui décrit les guerres de Vendée du point de vue des insurgés et en dépeignant le chef le plus flamboyant de «l’armée catholique et royale», Charette, a suscité des attaques hargneuses mais a aussi rencontré son public. La bataille des mémoires autour des guerres de Vendée dure depuis plus de deux siècles et les controverses sur les responsabilités des tueries de civils n’ont pas cessé depuis la chute de Robespierre (27-28 juillet 1794) et la fin de la Terreur. Reste qu’un accord devrait pouvoir se dégager, dans une démocratie mature, pour respecter et faire connaître des faits avérés et d’une exceptionnelle gravité. Les ricanements suscités par Vaincre ou mourir prouvent que, dans certains secteurs de l’opinion, le refus de savoir subsiste. En contraignant à affronter des vérités qui dérangent toujours, ce film aura donc fait œuvre utile et méritoire.
L’insurrection vendéenne naît en mars 1793 comme une révolte contre la conscription. En réaction aux défaites militaires aux frontières (la France révolutionnaire avait déclaré la guerre à l’Autriche, liée par une alliance à la Prusse, puis à l’Angleterre, la Hollande et l’Espagne), la Convention a décidé, le mois précédent, la levée de 300.000 jeunes hommes à tirer au sort parmi les célibataires de chaque commune. Les maires sont chargés d’assurer la désignation des conscrits. La décision de Paris provoque des résistances paysannes voire des débuts de sédition dans de nombreuses régions, mais celles-ci sont bientôt réprimées. Il en va autrement dans ce qu’on appellera bientôt « la Vendée militaire », territoire bien plus vaste que l’actuel département du même nom. La région insurgée regroupe le sud de la Loire-Atlantique, le sud-ouest du Maine-et-Loire, les deux tiers nord de la Vendée d’aujourd’hui et le nord-ouest des Deux-Sèvres. Le bocage vendéen et les Mauges, qui forment un ensemble d’une centaine de kilomètres de côté, en constituent l’épicentre. C’est ce territoire, à cheval sur l’Anjou, le Poitou et les confins de la Bretagne, qui va se soustraire, quelques mois, à l’autorité de la Convention.
Le drame commence début mars 1793, alors que les tirages au sort se préparent dans les communes. À Cholet, où a fleuri l’industrie textile, de jeunes paysans et tisserands des environs envahissent la petite ville et tuent le commandant de la garde nationale, manufacturier «patriote» (le terme, à l’époque, désigne les partisans de la Révolution). La violence gagne la partie ouest du bocage, dans le marais breton-vendéen. La bourgade de Machecoul est occupée par des milliers de paysans, qui tuent 15 à 25 « patriotes » les 11 et 12 mars, puis 80 à 120 prisonniers républicains à partir du 27 mars en représailles de l’exécution de 100 à 200 prisonniers « blancs » à Pornic. Au nord, près de la Loire, des ruraux s’emparent de Saint-Florent-le-Vieil. Le 19 mars, 3.000 soldats républicains, partis de La Rochelle pour Nantes, sont mis en déroute à Pont-Charrault. La jacquerie est devenue une insurrection.
Rien ne distinguait pourtant l’esprit public de ce qui deviendra la Vendée militaire des attentes du reste de la France, à la veille de la Révolution, si l’on en croit les Cahiers de doléances rédigés pendant l’hiver 1788-1789. La région a vu mourir sans regret l’antique édifice féodal lors de la nuit du 4 août 1789. Mais la situation s’est très vite dégradée. Les administrateurs des nouveaux départements et districts, partisans et relais du nouveau régime, étaient, aux yeux des ruraux, ses principaux bénéficiaires. N’avaient-ils pas été les acquéreurs empressés des propriétés du clergé nationalisées, les fameux biens nationaux, qui privaient l’Église des moyens d’assurer son rôle social et éducatif traditionnel ? Les autorités révolutionnaires locales, souvent méprisantes envers des paysans jugés arriérés, prétendaient aussi exercer une tutelle sur les communautés rurales, et leur imposer de rompre avec un ordre perçu comme naturel, tant au plan de l’organisation locale que des croyances. Le ressentiment des campagnes envers les notables des bourgs et des villes « patriotes » s’est encore accru lorsque ces administrateurs ont été chargés de percevoir de nouveaux impôts décidés à Paris. Enfin, l’obligation, pour les prêtres, de prêter serment à la Constitution civile du clergé a blessé de nombreuses consciences.
Les nerfs étaient à vif dès 1791. Alors que l’Église se divise en deux clergés ennemis, les paysans de la région demeurent, le plus souvent, attachés à leurs curés réfractaires – les seuls vrais prêtres à leurs yeux, qui refusent de devenir des fonctionnaires publics au péril de leur vie. À cet égard, la région a été profondément marquée, au XVIIIe siècle, par la prédication d’ordres religieux issus de la Contre-Réforme, qui ont développé une piété populaire sous forme de dévotion, perçue par les bourgeois voltairiens des villes comme une marque de superstition. Mais la foi catholique, principal ressort de l’insurrection, est aussi un puissant principe fédérateur : les paysans sont rejoints par des artisans des villes et certains notables, tous attachés à leur religion millénaire et à son culte traditionnel.
Au refus de quitter leur foyer pour rejoindre les armées de la Révolution qui a déclaré la guerre aux principales monarchies européennes s’ajoutent donc, pour les insurgés, des motifs religieux et souvent sociaux.
Populaire, l’insurrection s’est choisi des chefs à son image : un colporteur et voiturier, Cathelineau, très prestigieux parmi les «blancs» ; un garde-chasse, Stofflet. Mais aussi des nobles, hobereaux pour la plupart, priés – voire contraints- par les insurgés de les commander, puisqu’ils étaient les seuls à disposer de compétences militaires : le marquis de Bonchamps, qui avait pris part à la guerre d’Indépendance américaine ; d’Elbée, gentilhomme campagnard retiré sur ses terres après avoir servi dans le prestigieux régiment Dauphin-Cavalerie ; le jeune Henri de la Rochejaquelein, ancien membre de la garde constitutionnelle de Louis XVI, surnommé « l’archange » en raison de ses cheveux blonds, représenté sur un tableau célèbre de Pierre-Narcisse Guérin sous la Restauration, et que la mémoire vendéenne a élu comme symbole de l’insurrection. On connaît sa phrase fameuse à ses hommes : « Si j’avance, suivez-moi, si je recule, tuez-moi, si je meurs, vengez-moi ». Charette de la Contrie, enfin, est un peu à part dans cette galerie de portraits. Lieutenant de vaisseau à 24 ans dans la marine royale, familier de l’océan Atlantique et de la Méditerranée, vétéran de plusieurs campagnes, il s’est ensuite établi non loin de Challans. Cédant par devoir aux demandes des habitants alentour, Charette prend leur tête et guerroie dans le marais breton-vendéen, en dehors du bocage.
Pourquoi cette alliance entre paysans et noblesse s’est-elle nouée en «Vendée militaire» et pas ailleurs ? Tocqueville nous donne une clé. Le penseur rappelle l’effort de la monarchie absolue, depuis Richelieu, pour « séparer les gentilshommes du peuple » et « les attirer à la cour et dans les emplois ». Et il cite la lettre d’un intendant qui, sous Louis XIV, «se plaint de ce que les gentilshommes de sa province se plaisent à rester avec leurs paysans, au lieu de remplir leurs devoirs auprès du roi». Or, poursuit Tocqueville, « la province dont on parlait ainsi, c’était l’Anjou ; ce fut depuis la Vendée. Ces gentilshommes qui refusaient, dit-on, de rendre leurs devoirs au roi, sont les seuls qui aient défendu, les armes à la main, la monarchie en France, et ont pu y mourir en combattant pour elle; et ils n’ont dû cette glorieuse distinction qu’à ce qu’ils avaient su retenir autour d’eux ces paysans, parmi lesquels on leur reprochait d’aimer à vivre » (L’Ancien régime et la Révolution, 1856).
Aucun État en guerre n’est porté à la conciliation avec une rébellion intérieure. D’autant qu’en ce mois de mars 1793 où la « Vendée militaire » s’embrase, la Convention est confrontée à une situation militaire périlleuse aux frontières. Avant même de recevoir des nouvelles alarmantes de l’Ouest, la Révolution se juge assiégée de tous côtés et en danger de mort. Le 10 mars 1793, déjà, à l’instigation de Danton, les députés ont créé le tribunal révolutionnaire. Deux semaines plus tard, ils vont instituer le Comité de salut public. Dans ce contexte, l’insurrection vendéenne est aussitôt interprétée comme un nouvel avatar du « complot aristocratique » destiné à rétablir l’Ancien Régime. À Paris, députés de la Montagne et activistes des sections sont unis par l’obsession qu’une conjuration d’une puissance formidable est à l’œuvre contre eux, à l’étranger et en France même.
La Convention juge que les insurgés ne sont plus des citoyens, puisqu’ils ont osé se révolter contre la loi. Le 19 mars 1793, la Convention adopte un décret punissant de mort dans les 24 heures tout Français rebelle pris les armes à la main ou arborant la cocarde blanche. Voilà les insurgés estampillés « contre-révolutionnaires », vocabulaire simpliste et manichéen qui vaut par ce qu’il autorise (la guerre à outrance contre l’ennemi intérieur), non par ce qu’il permet de comprendre.
Les Vendéens sont ainsi poussés, par le miroir qu’on leur tend, à épouser la défense de la monarchie sans que celle-ci ait été leur premier mobile. Même si leur foi catholique leur fait en effet percevoir le roi -c’est-à-dire, pour eux, depuis l’exécution de Louis XVI, le jeune Louis XVII, l’enfant détenu à la prison du Temple- comme le garant naturel de leurs libertés personnelles.
Sur le terrain, les « bleus » ont d’abord le dessous face aux « blancs », qui remportent des victoires et conquièrent des villes significatives (Cholet le 20 avril, Thouars le 5 mai, Saumur le 9 juin, Angers le 18 juin) mais échouent à prendre Nantes (29 juin). Voyant Cathelineau gravement blessé au cours de l’assaut, les assaillants, démoralisés, reculent. Et, comme après chaque bataille, une partie des paysans de «l’armée catholique et royale» regagnent leurs foyers en vue des travaux des champs. La Convention, de son côté, envoie des députés en mission dans l’Ouest. Le 12 juin 1793, onze jours après la chute des Girondins à Paris et le triomphe des Montagnards, qui partagent désormais le pouvoir avec les sans-culottes parisiens, les députés Mazade et Garnier, représentants auprès de l’armée des côtes de La Rochelle, écrivent au Comité de salut public : « ce sont les femmes, les vieillards, les enfants qui nous font le plus de mal » car ils sont les supplétifs des insurgés et leurs espions. « Et, nous devons le dire, vous ne réduirez ce pays qu’en déportant la génération actuelle dans d’autres points de la France, et en le remplaçant d’hommes nouveaux », argumentent les députés.
À Paris, alors que la dictature de salut public et la Terreur s’installent, on renchérit. « Je ne conçois pas comment on peut condamner à mort sérieusement ces animaux à face humaine. On ne peut que leur courir sus, non pas comme dans une guerre, mais comme dans une chasse », écrit Camille Desmoulins, qui ne prêche pas encore la modération en ce mois de juin 1793. On pourrait multiplier les citations analogues de députés qui dépeignent les insurgés vendéens comme des sauvages conduits par des prêtres fanatiques sous les applaudissements de leurs femmes bigotes.
Le 1er août, à la tribune de la Convention, Barère, membre du Comité de salut public, annonce aux députés que le Comité « suivant votre autorisation, a préparé des mesures qui tendent à exterminer cette race rebelle ». Il faut, explique l’orateur, ravager la Vendée par une politique de terre brûlée. Toutefois, «les femmes, les enfants et les vieillards seront conduits dans l’intérieur. Il sera pourvu à leur subsistance et à leur sûreté, avec tous les égards dus à l’humanité », avait précisé le Comité cinq jours plus tôt dans le rapport que Barère présente sommairement à la Convention.
Mais voilà que, le 19 septembre, une troupe d’élite de l’armée républicaine, les Mayençais du général Kléber, est battue à son tour par les chefs des insurgés qui ont joint leurs forces. Dès lors, le 1er octobre, à la tribune de la Convention, la rhétorique purificatrice et, il est permis de le dire, exterminatrice, de Barère n’a plus de limites: «Citoyens, l’inexplicable Vendée existe encore, et les efforts des républicains ont été jusqu’à présent insuffisants contre les brigandages et les complots de ces royalistes. La Vendée, ce creuset où s’épure la population nationale, devrait être brisée depuis longtemps». Pourquoi cet échec des armées républicaines ? C’est que « la population entière du pays révolté est en rébellion et en armes ».
Et l’orateur, qui s’exprime toujours au nom du Comité, de dépeindre, une fois encore, un gigantesque complot dont la Vendée serait le cœur, alors que nombre d’autres villes du pays se sont elles aussi insurgées, les mois précédents, contre Paris. « C’est à la Vendée que se rapportent les vœux coupables de Marseille, la vénalité honteuse de Toulon, les cris rebelles des Lyonnais, les mouvements de l’Ardèche, les troubles de la Lozère, les conspirations de l’Eure et du Calvados, les espérances de la Sarthe et de la Mayenne, le mauvais esprit d’Angers et les sourdes agitations de quelques départements de l’ancienne Bretagne ». Barère poursuit : « Détruisez la Vendée, Valenciennes et Condé ne sont plus au pouvoir de l’Autrichien. Détruisez la Vendée, l’Anglais ne s’occupera plus de Dunkerque. Détruisez la Vendée, et le Rhin sera délivré des Prussiens. (…) La Vendée, et encore la Vendée, voilà le charbon politique qui dévore le cœur de la République française ».
Le 17 octobre 1793, c’est le point de bascule : l’armée paysanne est défaite au nord de Cholet. À la vue de leur chef blessé à mort, le marquis de Bonchamps, les Vendéens se débandent. L’agonisant arrache à ses camarades la promesse de ne pas tuer, par vengeance, les 5000 prisonniers républicains qu’ils traînent de longue date à leur suite. Le fils d’un de ces miraculés, David d’Angers, construira plus tard un cénotaphe en l’honneur du général vendéen en l’abbatiale de Saint-Florent-le-Vieil.
Privée de la plupart de ses meilleurs chefs, effrayée par la démonstration de la supériorité de l’armement des républicains, l’armée paysanne est prise de panique. Ces insurgés, souvent accompagnés de leurs femmes et enfants (estimés à 80.000 personnes au total) quittent soudain le refuge du bocage malgré les objurgations de Charette. Ils passent au nord de la Loire dans l’espoir de parvenir à marche forcée à Granville, en Normandie, où une flotte anglaise est censée mouiller au large. Ce qu’on a appelé « la virée de Galerne » commence. Les Vendéens, arrivés à Granville après un périple de 150 kilomètres, ne parviennent pas à prendre le port (14 novembre). Épuisés, minés par la dysenterie, contraints de reprendre la route en sens inverse jusqu’à Laval, ils prennent figure de civils errants et finissent écrasés au Mans (12-13 décembre).
Là se livre un massacre plus qu’une bataille. Une partie importante des Vendéennes sont violées et tuées, malgré les efforts du général républicain Marceau pour les protéger. On a tant répété aux soldats «bleus» que les Vendéens, hommes et femmes, étaient des bêtes fauves et des monstres qu’il s’avère impossible de rétablir la discipline militaire. On compte 2000 à 5000 tués parmi les paysans, et 10.000 sur la route entre Le Mans et Laval. Les pertes des républicains sont négligeables.
Au Mans, la mémoire locale avait refoulé la tuerie, jusqu’à l’exhumation par les archéologues d’un charnier contenant 159 corps, hommes, femmes et enfants, couverts de chaux pour conjurer l’épidémie. Selon le rapport de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, ce charnier compte 70 hommes, 30 femmes, 28 adultes au sexe impossible à préciser, et 23 adolescents ou enfants (le plus jeune avait 3 à 4 ans). Les coups ont été majoritairement portés par l’arrière, assénés à des personnes en train de fuir, explique l’historien Alain Gérard dans un ouvrage crucial, Vendée: Les Archives de l’extermination (Centre vendéen de recherches historiques, 2013). L’historien examine le cas n°514 de la fosse 5. Il s’agit d’un adolescent dont les cartilages disent qu’il n’a pas achevé sa croissance. L’arrière du crâne témoigne de l’acharnement mis à le tuer (huit coups de sabre) et deux balles dans le bassin et le crâne, peut-être le coup de grâce.
L’insurrection expire après la destruction des derniers vestiges de «l’armée catholique et royale» à Parthenay, le 23 décembre 1793. Les vaincus se rendent en masse. La plupart sont tués sur le champ. Plus de 1200 prisonniers « blancs » seront ainsi fusillés à Noirmoutier le mois suivant. Écœuré, un jeune volontaire « bleu » de 20 ans, témoin de la grâce accordée aux prisonniers républicains par Bonchamps, écrira dans ses mémoires : « La reconnaissance, cette mémoire du cœur, était un crime à leurs yeux [les Montagnards] lorsqu’elle avait pour objet un ennemi de leur système de gouvernement ». D’autres prisonniers sont remis à la justice révolutionnaire qui, les mois suivants, les condamne à mort et les fait exécuter.
A-t-on alors tanné des peaux humaines ou s’agit-il d’une légende postérieure ? si l’on en croit des témoignages concordants figurant aux archives, recueillis après la chute de Robespierre, lors du démantèlement de l’arsenal terroriste et la mise en cause de certains de ses acteurs, témoignages qui ont convaincu des historiens de sensibilités diverses, le fait est isolé, mais véridique. À Angers, un officier de santé aurait fait écorcher une trentaine de fusillés et en aurait envoyé la peau chez des tanneurs, qui refusèrent de les travailler, sauf un, qui collabora sous la menace. Des culottes et pantalons destinés à des officiers auraient ainsi été confectionnés. Un fait, répétons-le, isolé, démesurément grossi après coup dans le cadre de la guerre des mémoires des «blancs» et «bleus» qui sévit depuis deux siècles, mais qu’on est cependant en droit de considérer comme un indice du climat de déshumanisation de l’ennemi qui régnait fin 1793, à l’époque de la violence pure et de l’arbitraire.
Certes, à l’époque, quelques chefs, Charette, La Rochejaquelein et Stofflet, entourés d’une poignée de fidèles, font encore le coup de feu, échappent toujours à leurs poursuivants, et se cachent. Mais la population, elle, traumatisée par les massacres de civils perpétrés par les «bleus» dans la Vendée reconquise à partir d’octobre 1793 (des villages entiers ont été passés au fil de l’épée), se terre.
Un semblant de calme revient dans la région. Toute résistance significative a cessé. Les administrateurs révolutionnaires reprennent possession des villes de Vendée qu’ils avaient dû fuir, reconstituent leurs gardes nationaux et, parfois, font arrêter et livrer à la justice révolutionnaire les sympathisants supposés des anciens insurgés. Les troupes républicaines s’installent. La guerre est terminée.
Cependant, la Convention ne marque aucune intention de pacifier la Vendée et de panser les plaies. Il s’agit, pour les révolutionnaires, selon leurs propres termes, de la punir, la purifier, la remodeler. Dès le 7 novembre, à la tribune, Merlin de Thionville salue la victoire totale de la Révolution en Vendée mais lance : «Il faut se hâter qu’elle ne renaisse de sa cendre ». Le député préconise de rebaptiser la Vendée « le département Vengé » – sa proposition sera adoptée — et de le repeupler avec des cultivateurs pauvres venus de toute la France. Un député du département, Fayau, qu’on pourrait croire porté à la clémence, déplore pour sa part : «On n’a point encore incendié dans la Vendée : la première mesure à prendre est d’y envoyer une armée incendiaire. Il faut que pendant un an nul homme, nul animal, ne trouve de subsistances sur ce sol ».
C’est dans ce contexte que le Comité de salut public nomme, le 28 novembre 1793, un nouveau commandant en chef de l’armée de l’Ouest, le général Turreau. Arrivé dans l’Ouest, Turreau réclame des instructions et n’en obtient pas. Jugeant que c’est le vœu de la Convention, il conçoit alors un plan qu’il soumet au Comité de salut public, consistant à faire traverser la Vendée par douze colonnes « pour assurer l’anéantissement des rebelles » et repeupler ensuite avec des républicains. Mais, très soucieux de se couvrir (à l’époque, tout général républicain, surveillé par des députés en mission, joue sa tête), il se présente comme l’exécutant des décisions qu’il appartient à la Convention d’assumer. Aussi réclame-t-il comme une « nécessité absolue », le 19 décembre, une convocation à Paris de tous les généraux en chef, où chacun «recevra l’ordre qu’il doit suivre». Aucun indice de cette réunion ne nous est parvenu. Turreau écrit alors plusieurs courriers au ministre de la Guerre, entre le 26 décembre 1793 et le 15 janvier 1794, sans réponse. Livré à lui-même depuis un mois, le nouveau général en chef de l’armée de l’Ouest « doit admettre qu’il ne recevra aucun ordre écrit du Comité de salut public », explique l’historien Alain Gérard. L’officier supérieur hésite. Mais serait-il sans risque pour lui de ne rien faire ?
Le 16 janvier 1794, il finit par décider d’entamer de sa propre initiative la destruction totale de la population civile, conformément au projet qu’il a soumis en termes clairs et précis au Comité un mois plus tôt, et en harmonie avec les projets identiques assumés par écrit par les députés en mission Francastel et Carrier.
À défaut d’un ordre écrit de Paris, Turreau écrit aux représentants en mission pour s’assurer au moins de leur assentiment explicite. Il annonce qu’il va incendier toute la Vendée, et, la mise à mort de tous les hommes allant de soi, le général en chef les met en demeure de façon très franche: « Vous devez également prononcer d’avance sur le sort des femmes et des enfants que je rencontrerai dans ce pays révolté. S’il faut les passer tous au fil de l’épée, je ne puis exécuter une pareille mesure sans un arrêté qui mettre à couvert ma responsabilité. ». Il ne reçoit aucune réponse. Jugeant avoir pris toutes les précautions possibles, Turreau estime moins risqué pour lui d’agir que de continuer à ne rien faire. Après tout, qui ne dit mot consent, pourra-t-il objecter en cas de critique ultérieure.
Conformément à son plan, douze colonnes gagnent leurs positions et s’ébranlent le 21 janvier 1794 – jour anniversaire de l’exécution de Louis XVI un an plus tôt- depuis Chalonnes, Saint-Florent, Brissac, Doué, Argenton, Parthenay et Saint-Maixent. En application des ordres reçus, officiers et soldats incendient méthodiquement le pays et tuent systématiquement les hommes qu’ils rencontrent, y compris, dans une partie des cas, les partisans locaux de la Révolution. Des officiers municipaux, venus à eux en arborant leur écharpe tricolore de maire, sont fusillés (on les suspecte de convictions insincères ou de chercher à « couvrir » leurs parents compromis).
Les femmes sont, en grande partie, massacrées (fréquemment après avoir été violées, le cas échéant de façon collective). Les enfants souvent tués. Un agent en chef des subsistances militaires, Jean-Baptiste Beaudesson, qui a pour mission de pénétrer dans les métairies afin de confisquer les denrées qui s’y trouveraient encore, décrira ce qu’il a vu : « Des pères, des mères, des enfants de tout âge et de tout sexe, baignés dans leur sang, nus, et dans des postures que l’âme la plus féroce ne pourrait envisager sans frémissement.»
L’entreprise d’extermination -il est légitime d’employer ces mots- dure des mois. Aussi les nouvelles se répandent dans le bocage. Les civils, éperdus d’angoisse, voient rougir l’horizon et se rapprocher les colonnes. Tout une population éprouve des sentiments de bête traquée par une battue. Des guetteurs se nichent dans les arbres pour courir alerter leurs villages quand les soldats s’approchent. Les femmes se cachent avec leurs enfants. « Maintes fois, j’ai cru les genêts cernés. C’est alors que les mères serraient encore plus fortement leurs enfants contre leur sein, pour mourir ensemble. Chose étonnante, ces petits êtres comprenaient la terreur par ces étreintes magnétiques, car il n’y a pas d’exemple que leurs cris aient dévoilé la retraite des infortunés qui se cachaient », témoignera une rescapée, Madame de la Bouëre, dans ses mémoires, sous la Monarchie de Juillet.
Jeanne Ambroise Talour de La Cartrie témoigne de gestes d’humanité accomplis par des soldats au péril de leur vie, surtout parmi les Mayençais de Kléber « qui répugnaient à tuer des femmes ». Mais les témoignages écrits des survivants, souvent illettrés, sont rares.
Averti des massacres en cours, Charette quitte son repaire dans le marais breton-vendéen, qui se trouve en dehors de la région quadrillée par les colonnes infernales, et gagne le bocage pour organiser une résistance. En somme, il se jette dans la gueule du loup. Des habitants prennent les armes pour se défendre. Une guérilla s’organise avec l’énergie du désespoir. C’est pendant ces mois atroces que Charette, par son incontestable grandeur, acquiert une dimension nouvelle qui lui vaut depuis une place éminente dans la mémoire vendéenne.
Pendant ce temps, obsédé par l’idée de se couvrir, Turreau continue à expliquer ce qu’il fait au Comité de salut public: « Si mes intentions sont bien secondées, il ne restera plus dans la Vendée, sous quinze jours, ni maisons, ni subsistances, ni armes, ni habitants que ceux qui, cachés au fond des forêts, auront échappé aux plus scrupuleuses perquisitions », écrit-il le 24 janvier 1794.
Et, avec netteté, le général en chef somme le pouvoir politique de sortir de son silence : « Voilà, citoyens représentants, la troisième lettre que je vous écris sans obtenir de réponse. Je vous prie de vouloir bien me dire si vous approuvez mes dispositions, et m’instruire par un courrier extraordinaire des nouvelles mesures que vous adopteriez, afin que je m’y conforme aussitôt ». En somme, arrêtez-moi si je fais une erreur, sinon c’est vous qui êtes responsables. Or le Comité de salut public ne l’arrête pas. Le 31 janvier, Turreau se lamente : « J’ai été contraint, dans une opération aussi importante, de tout prendre sur ma responsabilité. (…) Au moins, citoyens représentants, répondez à cette dépêche ».
Le Comité, sous la plume de Carnot, finit par répondre à Turreau, en date du 6 février 1794. « Tu te plains, citoyen général, de n’avoir pas reçu du Comité une approbation formelle de tes mesures. Elles lui paraissent bonnes et tes intentions pures ; mais éloigné du théâtre de tes opérations, il attend les grands résultats pour [se] prononcer dans une matière sur laquelle on l’a déjà trompé tant de fois aussi bien que la Convention nationale ». En somme, le Comité accuse réception des décisions de Turreau, émet un avis favorable mais réserve sa réponse définitive pour plus tard. « Les intentions du Comité ont dû t’être transmises par le ministre de la Guerre, nous nous plaignons nous-mêmes de recevoir trop rarement de tes nouvelles », ajoute Carnot. Bref, que Turreau cesse de harceler le Comité, il est lassant. « Extermine les brigands jusqu’au dernier voilà ton devoir », ajoute Carnot. En somme, interprète ce que nous t’écrivons à tes risques et périls.
Il n’en faut pas plus pour que le général en chef se juge couvert. Ravi, Turreau s’empresse de répondre au Comité : « J’ai reçu avec plaisir l’approbation que vous avez donnée aux mesures que j’ai prises ». Et il n’est pas démenti. « Le pacte d’irresponsabilité est conclu entre les différents protagonistes de l’extermination des civils vendéens », comme le souligne avec justesse l’historien Alain Gérard.
Le 12 février 1794, le Comité, par la voix de Barère, se couvre à son tour en faisant un rapport à la Convention. D’une part, l’orateur se félicite que l’armée ait pu déjà « effacer du territoire cette population royaliste ». D’autre part, les décrets de la Convention sur la Vendée, soutient-il, « ordonnent de détruire et d’incendier les repaires des brigands, et non pas les fermes et les demeures des bons citoyens ». La perspective de voir les propriétés de républicains réduites en cendres lui déplaît donc. Surtout, Barère critique soudain Turreau. « Les troupes nationales n’avaient plus qu’à évacuer les subsistances de la Vendée, en comprimer l’effroyable population née pour la révolte, en désarmer les habitants », déclare-t-il en choisissant avec soin une expression équivoque (« comprimer la population »). Barère reproche à Turreau d’avoir repeuplé les rangs de la rébellion par « la barbare et exagérée exécution des décrets » dans « un pays qu’il ne fallait plus que désarmer, garnisonner de cavalerie, repeupler d’habitants fidèles ». Mais dans ce cas pourquoi ne pas avoir refusé le plan de Turreau avant qu’il ne le mette à exécution ? Et pourquoi le laisser poursuivre une extermination totale des civils en toute connaissance de cause ? Barère laisse sciemment la Convention dans le flou. Et celle-ci ne cherche nullement à en savoir davantage. Il ne faut pas d’ailleurs six jours à Barère pour renouer, à la tribune, avec sa rhétorique maximaliste: « On balaye avec le canon le sol de la Vendée, on le purifie avec le feu. On trie sa population, on épure ses principes (..) ».
Turreau, qui prend connaissance du premier des deux discours de Barère, est furieux de se voir reprocher l’inefficacité pratique de ses choix. Puisque c’est comme ça, il va cesser de faire tuer femmes et enfants pour en revenir à la lettre du décret du 1er août 1793, c’est-à-dire déporter femmes, enfants et vieillards, fait-il comprendre au pouvoir civil. En somme, il menace de « cesser de traduire sur le terrain les intentions inavouables du Comité de salut public, explique l’historien Alain Gérard. « »Vous me lâchez, eh bien je cesse de m’exposer », leur signifie-t-il ».
Le 4 mars 1794, les députés en mission Henz et Francastel prennent le relais du général Turreau mécontent et défendent sa ligne maximaliste auprès du Comité de salut public. Le 9 mars, ils accompagnent les colonnes infernales, et sont donc les témoins de ce que font les soldats. Face aux tueries, ils font l’éloge de Turreau. Quelques semaines plus tôt, les députés écrivaient d’ailleurs : « les femmes, les filles, les garçons au-dessus de plus de 12 ans sont les plus cruels. (…) Sur ce pied-là, la guerre de Vendée ne sera complètement terminée que quand il n’y aura plus un habitant dans la Vendée ».
Mais les députés en mission reprochent aussi à Turreau, certes non de massacrer femmes et enfants, mais de se révéler incapable d’écraser la guérilla de Charette qui lui tient désormais tête dans le bocage. Le 10 mars, les députés en mission le menacent ouvertement de la guillotine : « songe que, quelque parti que tu prennes, tout, hormis la victoire, t’expose à une responsabilité qui ne sera pas illusoire, et à des dangers dont tu peux prévoir les suites ». Turreau est aussi un homme qui vit dans la peur.
Pendant ce temps, l’entreprise d’extermination se poursuit. Le 1er mars 1794, 564 civils sont massacrés aux Lucs par une des colonnes, dont une grande majorité de femmes et au moins 137 enfants de moins de 10 ans. C’est le carnage emblématique des colonnes infernales.
Puis, trois semaines plus tard, l’exécution des Hébertistes (l’extrême-gauche des révolutionnaires) à Paris, le 24 mars 1794, acharnés contre la Vendée, a des répercussions dans le bocage. Les langues des républicains locaux commencent à se délier. Le 29 mars 1794, le Comité révolutionnaire de Fontenay se plaint au Comité de salut public, non que Turreau commette des massacres de civils, mais que les républicains vendéens fidèles à la loi ne soient pas épargnés.
C’est alors qu’intervient un épisode singulier et méconnu. Le 1er avril 1794, un conventionnel en mission, qui s’était distingué par son extrémisme sur le terrain, Lequinio, revenu à Paris, ose, devant le Comité de salut public -c’est-à-dire face à Robespierre (en retrait sur l’affaire de la Vendée, quoique coresponsable des décisions du Comité), Saint-Just, Couthon, Collot d’Herbois, Billaud-Varenne, Carnot, Barère, etc.- dénoncer les colonnes infernales de Turreau. Soulignons le caractère exceptionnel de la scène : il ne s’agit plus de correspondance écrite, mais d’un face-à-face entre des hommes.
Tout en jugeant les Vendéens arriérés et fanatiques, Lequinio diagnostique froidement : « Les délits [des soldats républicains] ne se sont pas bornés au pillage. Le viol et la barbarie la plus outrée se sont représentés dans tous les coins. ». Il décrit la mise à mort des femmes et des enfants. Résultat : « Toutes ces horreurs ont aigri les esprits et grossi le nombre des mécontents, forcés de reconnaître souvent moins de vertus à nos troupes qu’aux rebelles, dont plusieurs, il est vrai, ont commis des massacres, mais dont les chefs ont toujours eu la politique de prêcher les vertus, et d’affecter souvent une sorte d’indulgence et de générosité envers nos prisonniers ». En somme, les colonnes infernales font renaître une rébellion qui avait cessé. Les civils vendéens, convaincus à juste titre qu’ils seront tous massacrés s’ils se font pas reculer leurs agresseurs, n’ont rien à perdre, sont dos au mur et conduits à « vendre leur existence au plus haut prix, en se défendant avec acharnement ».
Alors que faire ? « Si la population qui reste n’était que de 30.000 à 40.000 âmes, le plus court sans doute serait de tout égorger, ainsi que je le croyais d’abord », plaide Lequinio. Mais le Comité est mal renseigné sur le nombre des habitants retranchés dans le bocage, explique-t-il. «Cette population est immense : elle s’élève encore à 400.000 hommes» leur apprend le conventionnel, et de surcroît dans un pays accidenté propice à la guérilla. « S’il n’y avait nul espoir de succès par un autre mode, concède-t-il sans qu’on puisse établir si c’est sincérité ou rhétorique, sans doute encore faudrait-il tout égorger, y eût-il 500.000 hommes ; mais je suis loin de le croire ». « Le peuple du pays est bon, là comme ailleurs », plaide Lequino. Et à quoi bon épuiser ses ressources à une entreprise sans fin ? Le député recommande de ne poursuivre l’extermination que des ultimes insurgés et de privilégier la prédication civique pour convertir les autres. « Toute la difficulté qui se présente est de savoir si l’on prendra le parti de l’indulgence, ou s’il est plus avantageux de continuer le plan de destruction totale », conclut-il.
La plaidoirie de Lequinio reste sans effet immédiat et l’extermination se poursuit tout avril. Sur le terrain, les soldats montrent des signes d’usure. La discipline s’est beaucoup relâchée. En mai, la dévastation de la Vendée est totale. Le 13 mai 1794, Turreau est relevé de ses fonctions, sans être en rien blâmé dans l’immédiat. Début juin, il est ordonné la formation de trois colonnes soumises à « la discipline la plus exacte » et qui n’emploieront leurs armes que contre des individus « en état d’hostilité ou de rébellion ». Sur le terrain, pourtant, les massacres indistincts continuent -à une échelle bien moindre- à l’initiative d’un général, Huché, finalement destitué début août après la chute de Robespierre.
La nomination de Hoche comme commandant en chef de l’armée de l’Ouest marque la fin des tueries de civils. Les soldats républicains ne se battront plus que contre le dernier carré de la rébellion incarné par Charette, qui, après une courte paix, finira par être capturé et fusillé à Nantes le 29 mars 1796.
Les pertes vendéennes, longtemps sous-estimées, sont désormais évaluées à environ 170.000 tués, guerre et colonnes infernales additionnés.
Depuis deux siècles, les controverses d’historiens font rage sur cette plaie de l’histoire de France. Les Vendéens ont été laissés seuls avec leur traumatisme -même si Napoléon a fait œuvre pacificatrice- auquel s’est ajoutée, depuis la IIIe République, la honte d’être longtemps dépeints comme des traîtres à la patrie et des fanatiques religieux. Aujourd’hui, les faits, longtemps minimisés voire niés, sont établis, à défaut d’être connus de façon précise par le grand public. Le climat politique et intellectuel a changé, comme l’atteste le succès des remarquables travaux de François Furet, Mona Ozouf puis Patrice Gueniffey, qui ont battu en brèche le quasi-monopole sur l’étude de la Révolution française exercé, dans l’enseignement supérieur, à partir de l’entre-deux-guerres, par les historiens de sensibilité communiste depuis Albert Mathiez (1874-1932), cofondateur de la Société des études robespierristes en 1907 et professeur à la Sorbonne.
Sur le plan de la mémoire, une évolution positive est intervenue depuis trente ans, notamment après la thèse d’État de Reynald Secher, publiée en 1986, dont le noyau initial est un remarquable travail d’archives qui a démenti l’allégation selon laquelle il n’y avait pas de preuves permettant d’établir avec précision l’ampleur des pertes humaines et matérielles en Vendée. Si on manquait de documents, c’est tout simplement qu’on ne voulait pas les chercher. Quelque appréciation qu’on porte donc sur la thèse d’un «génocide franco-français» défendue par Secher, soutenue à l’époque par Pierre Chaunu et Jean Meyer, refusée par tous les autres universitaires (et qui a interdit à l’auteur une carrière universitaire), le travail de cet historien sur les registres clandestins de la paroisse de La Chapelle-Basse-Mer, ravagée par les colonnes infernales les 10 et 17 mars 1794, a marqué un tournant et doit être salué.
La polémique se concentre désormais sur la dimension idéologique des tueries de masse du premier semestre 1794. Celles-ci ont été commises, non dans le feu des combats ou aussitôt après, mais une fois la guerre achevée, «à froid» et pendant des mois. Le débat sur les responsables, lui, on l’a dit, n’a pas cessé depuis la fin de la Terreur. Il n’est pas seulement historique ou juridique, mais moral et, disons-le, métaphysique, tant certaines analogies avec les meurtres de masse du XXe siècle et la bonne conscience de leurs auteurs sont troublantes, même s’il faut se garder d’interpréter le passé en fonction du futur. Bornons-nous à rappeler qu’Alexandre Soljenitsyne s’est rendu à Lucs-sur-Boulogne, le 25 septembre 1993, pour l’inauguration du Mémorial de Vendée à l’invitation de Philippe de Villiers. L’auteur de L’archipel du Goulag a rendu hommage aux victimes des colonnes infernales et a livré une méditation de haute tenue sur les révolutions. Nous voilà à une autre altitude, en somme, que les ricanements de ceux qui dénigrent Vaincre ou mourir et qui croient que les vaincus n’ont pas le droit d’être fiers. ■
Guillaume Perrault
A La Chapelle Basse Mer la lecture des Archives permet de dénombrer 223 décès entre 1792 et 1800 dont :
-110 décès de janvier à mai 1794 dont
-72 décès en mars 1794.
Nous sommes loin des 700 à 800 tués revendiqués par l’écrivain local. La Chapelle Saint Pierre ès Liens n’est pas citée comme lieu de décès. N’est citée à proximité le village de la Petite Noue. Il est donc mensonger de dire qu’il y a eu 72 (d’autres 80, d’autres plus de cent) personnes brûlées vives dans cette chapelle qui n’a jamais été l’église du village !
Barère, au souvenir toujours choyé dans sa bonne ville de Tarbes, avec sa belle avenue et son joli tombeau dans le cimetière Saint Jean, est le décisionnaire de ces décrets assassins dont il faut le rappeler seules les deux premières signatures comptent ; on ne retrouve jamais robespierre en premier mais barère ou carnot suivies de celles de collot d’herbois puis de robespierre. J’avais collé une plaque sur la tombe de barère à Tarbes, rappelant son passé d’assassin. Deux heures après elle avait disparue .
Noël Stassinet
Souvenir Chouan de Bretagne