Par Pierre Arette.
Second article que reprend JSF de ce matin – paru dans Boulevard Voltaire le 12 de ce mois – sur le cas très caricatural mais non point isolé, de la pauvre Madame SOUDAIS, professeur de français… (! ?). Notre petit doigt nous dit que cette extraordinaire personne doit pourtant être classée, hélas ! dans la catégorie des faits de société. Et c’est évidemment fort inquiétant. Certains diraient : « Deux siècles et demi de démocratie, ça se paye ». Et sans-doute auraient-ils raison. Notre démocratie à nous, à la française, est née d’une Révolution sanglante, totalitaire, débraillée et jamais achevée. Nous en avons toutes les conséquences. C’est à peu près ce que Pierre Arette nous dit ici.
Depuis qu’elle existe, la République nous a régalés de quelques tribuns incomparables que le monde nous envie : Danton, qui savait qu’il faut toujours de l’audace pour vaincre ; Jaurès, pour qui la seule race était l’Humanité ; Clemenceau, qui savait que la démocratie permet aux poux de mieux manger les lions…
Dans la nouvelle assemblée, quelques figures éclairées, dont la NUPES nous a gratifiés, méritent de rejoindre ces étoiles éternelles du parlementarisme à la française. Parmi ces pépites, Ersilia Soudais vient de s’imposer à la nation par son élégance vestimentaire, sa grâce dans l’invective et sa profonde culture historique, en digne collègue du robespierriste Corbière.
Rien d’étonnant, me direz-vous, venant de cette jeune enseignante trentenaire, certifiée conforme de lettres françaises, réchappée des salles de classe par la faveur du suffrage dit universel – 58 % d’abstentions dans la circonscription –, qui nous l’a intronisée députée LFI de Seine-Saint-Denis en juin dernier, face à un candidat RN.
Une seule intervention d’Ersilia Soudais, ce 8 janvier, a suffi pour éclipser tous ses petits camarades du bac à sable. Après avoir posé la question de la monstruosité des séides du pouvoir, tancé leur ignorance de la vertu et des souffrances populaires – jusqu’ici, tout va bien –, la voila qui s’en prend à leur attitude hypocrite lorsque leurs « amis les plus riches », « patrons du CAC 40 », s’en mettent « plein les poches ». Et de poursuivre : « Votre modèle du travailleur idéal, c’est Stakhanov, cette allégorie du sacrifice personnel. » Sa voix tremble, sa poitrine se serre sous son tee-shirt de circonstance parlementaire, ses jambes flageolent dans son blue-jean qui parait l’oppresser. Va-t-elle fondre d’émotion ? Non. Elle poursuit, souveraine de maîtrise oratoire.
« Stakhanov n’a pas connu la retraite, comme c’est pratique ! Lui, au moins, il n’a pas couté cher. Relisez La Ferme des animaux. » Pendant ce temps, Olivier Dussopt, qui n’en peut mais, relit ses notes, baisse les yeux et se gratte le front, nerveux. Gabriel Attal, perplexe, cherche du regard le secours de ses compères et mères. « Stakhanov est mort comme un chien. On a épuisé sa force vitale. Et quand il n’a plus servi à rien, adieu Stakhanov. Dans votre société immonde, en fait, il n’y a pas de place pour les personnes âgées considérées comme inutiles. »
Emballé, c’est pesé, comme dirait l’autre. Et comme disait Danton, « de l’audace ». Car il en faut, de l’audace, lorsqu’on vient des strapontins de la NUPES pour pleurer sur le sort du pauvre Stakhanov (1906-1977), député du premier Soviet suprême, promu héros du travail socialiste, décoré deux fois de l’ordre de Lénine, de l’ordre du Drapeau rouge du travail et dont la ville de Kadiïvka, en Ukraine, porta un temps le nom. Bon, d’accord, Stakhanov est mort à 71 ans d’une « crise cardiaque », dans un service psychiatrique de l’hôpital de… Thorez ! Le communisme, au moins, savait honorer les camarades.
La pirouette révisionniste d’Ersilia est plus savoureuse encore quand on sait que le communisme protéiforme, stalinien, trotskiste, maoïste, cubain ou khmer, ou autre, est le grand-papa gâteau de tous les affidés, affiliés et fils de LFI, EELV ou de la NUPES. Alors, « audace » à la Danton ou ignorance crasse ? Si nous n’avions reçu l’éducation courtoise de nos pères, nous parierions pour la deuxième hypothèse. À moins que, par une lecture trop rapide de La Ferme des animaux, lorsqu’elle préparait naguère ses cours, notre pasionaria n’ait confondu le bouquin et ses gloses : le cheval Malabar d’Orwell étant, dans cette fable, l’allégorie du triste Stakhanov.
Alors, peu importe si Mme Soudais ne sait pas que Stakhanov, rendu fou d’avoir servi (jusqu’à plus soif) le système que notre CGT a révéré jadis, quitta le bonheur socialiste en glissant sur des épluchures et en se fracassant la tête… Elle a un beau projet : « Il est plus que temps de retrouver le goût du bonheur, les jours heureux, un droit à la paresse. » Égoïsme de classe ou utopie déviationniste ? À vous de juger. ■