PAR RÉMI HUGUES.
Article en 7 parties, publiées du lundi 27 février au dimanche 5 mars 2023. Étude ayant fait l’objet d’une conférence du Café d’actualité d’Aix-en-Provence qu’anime Antoine de Crémiers. (23.02.2023).
L’on doit la phrase suivante à Napoléon Ier : « Lorsqu’un gouvernement est dépendant des banquiers pour l’argent, ce sont ces derniers, et non les dirigeants du gouvernement qui contrôlent la situation, puisque la main qui donne est au-dessus de la main qui reçoit. L’argent n’a pas de patrie ; les financiers n’ont pas de patriotisme et n’ont pas de décence ; leur unique objectif est le gain. »
L’empereur des Français ne combattit pas l’usure, en témoigne l’article 1902 du code civil qui ne prohibe pas l’application d’un taux d’intérêt à un prêt, exigeant seulement qu’il soit remboursé en qualité et quantité, mais il fut combattu avec un acharnement sans faille par les champions de l’usure, les maîtres de la Banque, la City, célèbre quartier d’affaires de l’Angleterre.
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, la City de Londres est devenue la première place financière mondiale, prenant la place d’Amsterdam. Elle a pu atteindre ce rang grâce à la puissante flotte anglaise. Oliver Cromwell posa un ultimatum au reste de la planète, visant en premier les Provinces-Unies, le Portugal, l’Espagne et secondairement la France : désormais son pays exercerait une hégémonie sans partage sur les océans et les mers.
Le 9 octobre 1651 fut voté l’Acte de Navigation, « qui, en réservant aux compagnies anglaises le trafic maritime avec les colonies, constituait une déclaration de guerre économique aux Provinces-Unies. Les négociants juifs d’Amsterdam, qui se livraient à un commerce considérable avec la Jamaïque et les Barbades, se voyaient par la-même puissamment incités à transférer à Londres leurs établissements et à contribuer ainsi, dans le sens des ambitions de Cromwell, à l’expansion de la Grande-Bretagne. Cela impliquait, cependant, l’adoption par Whitehall de mesures officielles en vue d’autoriser les Juifs à résider sur le sol anglais : leur réadmission devenait hautement souhaitable pour des raisons d’intérêt national. Le Protecteur, esprit pragmatique, usa donc de toute son influence auprès du parlement et du Conseil d’État pour la promouvoir »[1].
Lionel Ifrah poursuit son explication : « en s’arrogeant l’exclusivité du trafic maritime à destination des colonies du Nouveau Monde, Cromwell estimait qu’il en résulterait, entre autres, un mouvement d’appel des négociants juifs hollandais vers la Cité de Londres. […] [L]e Protecteur s’employa à les encourager à revenir, discrètement au début […].
Cette politique s’avéra payante : de source officielle, on estime à un million et demi de livres sterling le montant des sommes en espèces apportées par les premiers Juifs venus s’établir à Londres, et leur chiffre d’affaires au douzième du volume total du commerce britannique. »[2]
Lucien Wolf, dans un essai intitulé Menasseh ben Israel’s Mission to Oliver Cromwell publié en 1901, soutient que Cromwell « ne pouvait que rechercher les Juifs comme instruments précieux de sa politique coloniale et commerciale. Ils dominaient les échanges avec l’Espagne et le Portugal ; la majeure partie du commerce avec le Levant était entre leurs mains ; ils avaient participé à la fondation de la Banque de Hambourg et ils avaient des intérêts substantiels dans les Compagnies des Indes Orientales et Occidentales. Ils avaient également la haute main sur l’importation des lingots d’or et leur poids était considérable dans les transports maritimes. »[3]
Mais, note Ifrah, Cromwell avait à « vaincre l’hostilité prévisible de la Cité à un tel projet. »[4] Hostilité que l’on retrouve sous la plume de James Howell, un écrivain important, qui, dans une lettre destinée à son ami Lewis d’Amsterdam, écrivait : « En ce qui concerne le judaïsme, il dégage une odeur aussi nauséabonde dans certains coins de notre ville que chez vous. »[5]
« À Londres même, en ce milieu du dix-septième siècle, résidait une colonie, petite mais fort active, de marchands espagnols et portugais, néo-chrétiens pour la plupart, qui se déclaraient catholiques et assistaient régulièrement à la messe dans la chapelle de l’ambassadeur de France ou de Savoie. Son zèle ostentatoire était cependant insuffisant pour faire illusion […]. Un petit groupe marrane s’était à vrai dire peu à peu constitué dans la capitale anglaise et avait vu ses rangs grossir en 1632 lorsque la communauté crypto-juive de Rouen fut décelé et dispersée. »[6]
Ces quelques marranes étaient les seuls Juifs vivant en Angleterre, clandestinement donc, depuis l’expulsion de l’île en 1290. Leur représentant le plus illustre s’appelait Antonio Fernandez Carjaval, « qui devint bientôt l’un des grands noms de la Cité : à la tête de sa propre flotte de navires qui transportaient toutes sortes de marchandises, y compris de la poudre, des munitions et des lingots d’or, et sillonnaient mers et océans jusqu’au Levant et aux Antilles, et il se livra à un commerce international intensif. »[7]
Il rendit de fiers services à l’Angleterre en contrecarrant un plan d’invasion conjointement préparé par le Portugal et l’Espagne : il transmit des informations sensibles fournies par l’un de ses agents basé à Anvers. ■ (À suivre).
[1]Lionel Ifrah, L’Aigle d’Amsterdam. Menasseh ben Israël (1604-1657), Paris, Champion, 2001, p. 152.
[2]Ibid., p. 159.
[3]Cité par ibid., p. 145.
[4]Ibid., p. 141.
[5]Cité par ibid., p. 143.
[6]Ibid., p. 143.
[7]Idem.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Intéressant pour comprendre les prémices de l’hégémonie anglaise au XIXe siècle…
Une des premières mesures révolutionnaires dans la France vouée à la Terreur fut précisément d’abolir l’interdiction de l’usure, qui, jusque-là, comme chacun sait plus ou moins, était réservée aux seuls Juifs, moyennant quoi, cela en limitait le développement. Dès lors, le capitalisme peut prendre essor et la bourgeoisie s’envelopper, si j’ose dire.
Là est la clef de la subversion généralisée.
Il faut en outre se reporter aux splendides, poétiques et furieuses réflexions d’Ezra Pound, notamment et évidemment, dans son ouvrage «Le Travail et l’Usure», dont je ne sais pas trop s’il est toujours disponible quelque part…