Par Philippe OLAGNIER.
CONTRIBUTION / OPINION. Si la responsabilité de la Russie dans la guerre en Ukraine est indiscutable, notre lecteur estime légitime de s’interroger, en tant que Français et Européens, sur le double-jeu mené par les États-Unis.
Sur les plateaux de télévision, un seul mot d’ordre est diffusé : aller plus loin, livrer toujours plus d’armement, y compris en affaiblissant notre propre capacité de défense, oser affirmer que nous ne sommes pas devenus, de la sorte, co-belligérants, et faire fi d’un risque que beaucoup estiment mineur, mais qui subsiste, d’un dérapage nucléaire ! Le genre de moments historiques qui, normalement, devrait appeler à un minimum de réflexion, à réfléchir sur les causes et les effets de ce conflit, et ne pas balayer d’un revers de la main, une autre issue que l’escalade.
Rassurez-vous, je ne nie pas l’existence d’un agresseur et d’un agressé. Mais la matière historique, pour ceux qui s’y intéressent et qui l’étudient, est une matière qui appelle à la nuance, à la prise de recul. Il est rare qu’une étude de faits historiques (hormis le cas des grands génocides) débouche sur une conclusion tranchée, manichéenne, noire ou blanche, délimitant strictement un camp du bien et un camp du mal. Pourtant à seulement vouloir essayer un éclairage plus subtil sur ce conflit, voici que celui qui comme moi, sans nier l’agression russe, s’y essaie, se voit taxé de néo-poutinisme, ou pire encore. Que m’importe !
Contrairement à ce qui est répété comme un mantra, je ne vois pas dans la position européenne la caractérisation d’une volonté politique affirmée du Vieux Continent, mais davantage un signe de servilité aux intérêts de la géopolitique américaine. Il faudrait être aveugle et sourd, pour ne pas voir comment les États-Unis mènent sans risque majeur pour leur territoire, une guerre par procuration par Zelensky, et contre Poutine dans le seul but de reprendre la main sur le sol européen.
Il faudrait ne pas avoir étudié tous les conflits dans lesquels les États-Unis se sont embarqués, ou ont embarqué leurs alliés (voir la guerre en Irak et en Syrie, dont nous payons le coût terroriste et immigration), tient davantage de la défense de leurs intérêts que de la promotion de la liberté. Dans tous les cas, si la mise en matériel paraît lourde, la rafle du tapis leur est quasi assurée : un renversement de Poutine (qui sait ?), mais attention, nul ne sait en faisant tomber (peut-être) la proie, ce qui se cachera dans son ombre ; récupérer le jackpot de la reconstruction de l’Ukraine (que les Européens ne rêvent pas, seules les miettes leur seront réservées) ; faire entrer de nouveaux adhérents dans l’OTAN, aux portes de la Russie, ce qui n’est pas particulièrement rassurant pour l’avenir, et leur faire comprendre que leur sécurité passe par « Great America » et non pas par une espérance, bien vaine, d’une Europe politique qui, dans se conflit, affaiblit des forces armées, mais ne comptera que pour du beurre au moment des négociations. Recréer un bon vieux monde bipolaire, peut être tripolaire si la Chine se démarquait quelque peu de son allié russe, mais dans lequel ils retrouveraient, pour eux, leurs intérêts, et leur business toutes les facilités d’antan.
Si Zelensky se montre quelque peu « héroïque » dans la mitraille, le conflit coûte cher aux populations européennes et finit d’affaiblir nos économies déjà en perte de leadership depuis longtemps. À qui encore une fois profitera le crime ? Par ailleurs sous pression américaine, alors que les accords de Minsk (qu’il fallait remettre sur la table pour en surmonter les flous) pouvaient, pour les deux camps, offrir une voie par la diplomatie, il a validé une radicalité de position qui, sans la justifier, a créé une impasse guerrière pour Poutine. Le bilan pour son pays, pour toute l’Europe, pour son peuple, sera lourd, pourvu qu’il n’en s’avère pas dramatique, en créant les conditions d’une irréversibilité nucléaire (aussi peu probable qu’elle soit selon les spécialistes, certains évoquent aussi la limite de la théorie de l’équilibre des forces).
Les États-Unis savent désormais leurs alliés dociles et obéissants et ont d’ores et déjà, imposé des mesures de boycott sur les énergies dont tous les citoyens paient le prix, tout en revenant, à leur prix et durablement dans le jeu ! Au final, si l’issue militaire reste aléatoire, au plan géopolitique, le retour sur investissement est déjà quasi acquis !
En période lourde de crise, il faut des visionnaires, des hommes d’État, des penseurs, des stratèges ! L’Europe a confié son destin à des techniciens, à des têtes grises pleines, mais mal faites, dont le rôle était de dérouler la doxa réformatrice du mondialisme économique, conceptualisé par le forum de Davos, et relayé par Bruxelles. Ils manipulent en jonglant tableurs informatiques et calculettes, mais ne sont pas imprégnés de la culture historique, de la subtilité complexe de la géopolitique ! N’étant pas animés par une vision et un destin pour leur nation, ils sont en l’espèce des caisses dociles de résonance, pour des intérêts qui les dépassent et qu’ils ne comprennent même pas !
Winston Churchill a dit : « L’histoire du monde est principalement la geste des gens exceptionnels, dont les pensées, les actions, les qualités, les vertus, les triomphes, les faiblesses ou les crimes ont dominé la fortune des hommes. » Ne les cherchons pas, dans ce conflit, et dans ce moment sombre de l’histoire, dans le paysage politique qui est le nôtre actuellement. ■
Écrivain, conférencier en management et essayiste
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