« L’électeur, pauvre souverain d’un jour, ne peut rien sur les pensées de derrière la tête que conserve le député qui est pourtant sa créature. Et c’est un jeu bien décevant que celui du suffrage universel.
Il est singulier de remarquer comme il ressemble à celui des courses. Ne trouvez-vous pas que les citoyens qui, le jour du vote, s’alignent devant l’urne, ont tout à fait la figure des joueurs qui se pressent, les jours de grandes épreuves, entre les brancards du Mutuel ? On vote pour Balandard avec la même résolution farouche et du même cœur qu’on met un louis sur Camisole. On est pour la casaque orange comme on est pour le drapeau rouge. Bien mieux — et cette ressemblance explique, peut-être, que l’État ait pris sous sa protection les opérations du pari mutuel — de même que le joueur ignore non seulement si son cheval arrivera, mais encore, s’il arrive, quel sera son rapport, de même que l’électeur n’est absolument pas sûr, même si son candidat est élu, qu’il se conduise, à l’assemblée, de telle manière ou de telle autre.
On ne sait ce que “fera” un cheval. On ne sait pas davantage ce que fera un député. Délicieux éléments d’imprévu ! Les courses et les élections sont deux jeux véritablement jumeaux. Il ne faut s’étonner que ces deux inventions anglaises aient été importées chez nous presque en même temps. »
Jacques Bainville, Journal, Tome I, 7 novembre 1904.
On peut aussi penser à ces propos de Jean-Jacques Rousseau : « Le peuple anglais pense être libre; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave. »
Qu’eût-il dit du peuple français de 2023 ?!