Par Alexandre Jardin.
Commentaire – Cette « tribune » est parue dans Le Figaro du 15 mars. Et ce dernier toujours soucieux d’euphémiser son propos la présente essentiellement comme un coup de colère face à l’entassement des poubelles dans le Paris déchu d’Hidalgo. On verra que ladite colère va au-delà, qu’elle s’étend à l’intégralité de la classe politique, à son insigne indignité et au Système. Les esprits soupçonneux nous reprocheront-ils, comme parfois, de donner – en l’occurrence – à Alexandre Jardin une publicité imméritée ? Nous doutons qu’il en ait besoin et cela ne nous intéresse pas. Alors, sommes-nous d’accord avec tout son propos ? Ou à l’exception de tel ou tel point ou détail ? Pas nécessairement non plus. Ce qui nous intéresse ici est seulement ce que le propos d’Alexandre Jardin reflète d’une colère populaire assez violente, assez profonde et largement répandue parmi les Français. Cette colère, ce rejet, sont à l’évidence importants en soi à courte ou moyenne échéance. Notamment alors que Paris revit des heures de guérilla urbaine, caractérisée où les poubelles brûlent, mais pas seulement. Et pas loin du tout de l’Élysée où réside Emmanuel Macron, Chef de l’État.
TRIBUNE – L’écrivain et pamphlétaire dénonce le manque d’initiative de la maire de Paris, Anne Hidalgo, face à la grève des éboueurs. Il y voit un nouveau symptôme de la faillite du politique et du déclassement de la France.
« Nous allons devoir fourbir une autre classe politique, moins éprise d’elle-même, plus éprise de la France »
Le déplorable, c’est qu’il n’est pas question des poubelles dans ce fatras d’ordures qui fait couler Paris dans l’immondice ; il est question hélas, dans ce grouillis de vermine et désormais de rats prospères, du naufrage d’élites politiques inaptes à tenir leur rang identitaire, celui de la France. Comme si s’était perdue, quelque part dans le cerveau de ces gens à écharpe, la capacité à gouverner par les symboles, à signifier ce que nous sommes, à incarner le destin national en charge de valeurs inspirantes. Notre accès à la grandeur ne semble plus guère les préoccuper, tout occupés qu’ils sont à endosser des postures, à ergoter sur des incinérateurs, à se faufiler dans la récup sondagière.
Que ce sujet, d’apparence ordurière, ait été vu par la mairie de Paris sous le seul prisme d’un conflit social à soutenir-vu-qu’on-est-de-gauche, et par leur opposition courroucée sous le seul angle de la salubrité, en dit assez long sur l’étroitesse mentale de gens par ailleurs aimables dans le privé. Et pas sots ni malveillants pour notre espèce. Mais pas au niveau du politique, font de la politique hélas. Comme si laisser pourrir la capitale d’une nation en grande panade identitaire, inflationneuse et financière ne projetait pas, avant tout, une image symbolique tragique. Une image crasseuse qui détériore encore notre estime nationale, cette estime de soi déjà pas bien rutilante et pourtant fondamentale. Disons-le tout net, Paris capitale n’est pas une ville, c’est notre miroir tricolore, quelque chose de notre âme commune ; avant même d’être l’image publicitaire de rêve que nous vendons au monde et dont nous vivons pour partie. Étrange sabotage. Mais laissons là les considérations mercantiles, tout à fait légitimes et au final méprisées dans cette affaire au moment où Paris va devoir «vendre» une image olympique…
Le pire du pire est de disposer d’élites qui ne voient pas, ou peu, que les symboles pèsent plus lourd que la parlote. Un symbole hurle et imprime quand les mots s’effilochent dans le flux de l’actu. Transformer Paris en une enclave du tiers-monde n’est pas neutre ; renoncer à exprimer la force des services publics alors que tout le monde casque n’est pas neutre ; engager une institution municipale qui devrait être le bien de tous dans une algarade à couleur politique n’est pas neutre et bien calamiteux pour que le peuple respecte une institution ; attenter à notre image nationale pour laisser apparaître une image symbolique qui fleure la misère de l’autre hémisphère n’est pas neutre.
Tout cela signe un étrange naufrage spirituel sinon mental d’une gauche qui naguère me fit rêver sous Mitterrand en érigeant une pyramide de verre qui symbolisait avec audace notre inscription dans le temps long des humains ; une gauche en débandade intellectuelle qui, à minuscule étiage électoral la dernière fois, s’entartine dans ses crispations qui fermentent dans un entre-soi piteux qui ne parle plus à notre grande nation. Mitterrand maniait mieux qu’un autre le langage surpuissant des symboles ; Anne Hidalgo finit sur un tas de détritus sur lequel pisse un rat. Le premier est plutôt un sale type, volontiers fourbe et dur, et la seconde une chic fille honnête que j’apprécie pour ses qualités humaines, mais le premier fut au niveau de la France, entouré de gens de haute qualité.
Un symbole est un marqueur de civilisation ; il signifie l’idée que l’on se fait de notre espèce. La maire pouvait, tout écharpée de sincérité, soutenir avec la plus vive passion la cause des antiréformes des retraites sans dégrader notre capitale, en échappant au nauséabond. La politique doit rester grande. Utiliser l’ordure n’était pas une bonne idée. Rendez-nous une gauche grande.
Mais alors que se passe-t-il en vérité? Pourquoi des gens – a priori convenables – Anne Hidalgo n’est pas un aficionado des rats ayant juré l’avilissement de notre nation – se hissent-ils jusqu’à l’inconduite partisane de courte vue? En laissant salir nos symboles fondamentaux? Peut-être est-ce dû – mais je m’avance sans certitude – à l’invasion immodérée de la morale dans la politique, aux dégâts aveugles du culte de la sincérité. On veut à tout prix faire le bien, défendre le bien, être dans le camp du bien, au lieu de gouverner en intégrant les biens particuliers dans la défense du bien commun général. Cynique, feu François Mitterrand s’y entendait à merveille. Passionaria au cœur pur, notre Hidalgo se rue à la sincérité… et finit dans les ordures amoncelées. Se mêler de vouloir le bien de la France suppose sans doute ce changement de niveau qui décolle de son ego, de ses satisfactions personnelles.
Nous allons devoir fourbir une autre classe politique, moins éprise d’elle-même, plus éprise de la France. Qu’ils s’oublient au bénéfice du bien du plus grand nombre! En incluant les adversaires. ■
Dernier ouvrage paru : « Les Magiciens », Albin Michel, 2022.