PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Notre commentaire – Cette « chronique » est parue dans Le Figaro de ce matin. Mathieu Bock-Côté y critique vertement l’ultragauche révolutionnaire et les casseurs entraînés type Black-Bloc par qui se déploie ce que De Gaulle appelait la chienlit et par qui, aussi, – Mathieu Bock-Côté n’y insiste guère – se crée ou se recrée, se forme ou se reforme ce réflexe de rejet, ce « parti de l’ordre » grâce à quoi le Pouvoir tentera, voire parviendra,, comme il y est accoutumé, à discréditer plus ou moins discrètement, plus ou moins habilement, les plus légitimes mouvements de révolte de ce qu’il reste du Pays Réel. On a vu cela, sous Castaner, au moment de la fronde des Gilets jaunes. On pourrait le revoir ce coup-ci, encore qu’il ne soit pas sûr que dans les circonstances présentes, cela « marche » de nouveau. Mathieu Bock-Côté, en effet, est beaucoup plus intéressant, beaucoup plus pertinent, lorsqu’il pointe cette crise de régime, crise des profondeurs, cette rupture de légitimité, divorce de longue durée, désormais, entre le Régime et la majorité des Français, entre les tenants mondialisés de la start-up nation et la France charnelle, le peuple historique, ignorés, à quoi nous avons affaire aujourd’hui. Par quoi, d’ailleurs, il y a, désormais, selon nous, à la fois, crise de Régime et, pis, crise de la Cité. Nonobstant la ligne maintenue du Figaro, on n’en sortira pas par une simple réaction conservatrice dans le cadre du Système. Pas seulement, à coup sûr, par un changement de majorité. Laquelle, d’ailleurs ?
CHRONIQUE – Le pays ne serait pas aussi inflammable s’il n’était engagé dans une crise de régime de longue durée et que la plupart des commentateurs refusent d’envisager sérieusement.
Les scènes de violence qui ont suivi jeudi 16 mars l’adoption du projet de loi sur les retraites par 49.3 étaient prévisibles, et probablement inévitables. Non pas d’abord à cause des tensions extrêmes qui traversent la France, mais parce que l’ultragauche allait chercher à profiter des événements pour les radicaliser, et pousser le pays vers un chaos d’apparence qu’elle croit susceptible d’ouvrir une brèche révolutionnaire, dans laquelle elle rêve de s’engouffrer. Cette ultragauche de casseurs hypnotisés par la rixe a la psychologie et le comportement des sections d’assaut et n’est pas loin d’érotiser la violence révolutionnaire.
Dans une société apaisée, cette mouvance est contenue dans les marges, et attire essentiellement des ratés et des éléments antisociaux qui trouvent dans le fanatisme idéologique le prétexte pour justifier leur passion de la destruction. Dans une société en crise, elle croit sa chance venue. C’est la lie de la société qui cherche à incendier Paris. Et ceux qui brûlent en effigie le président de la République et ses ministres confessent une pulsion morbide qu’il faut prendre au sérieux et dénoncer sans nuances. Cette ultragauche a toutefois la capacité d’entraîner une partie du mouvement social avec elle, surtout sa frange tentée par ce qu’on aurait appelé autrefois un baroud d’honneur.
Car le pays ne serait pas aussi inflammable s’il n’était engagé dans une crise de régime de longue durée, qui n’ose dire son nom, et que la plupart des commentateurs refusent d’envisager sérieusement. Elle se dessine depuis trente ans, et culmine dans la situation présente, où la classe politique autorisée semble de plus en plus se barricader dans les institutions de la République. Ce qui n’est pas sans lien avec son isolement sociologique, la macronie semblant se confondre davantage avec une classe sociale qu’avec un courant politique.
Quant aux représentants des catégories populaires présents à l’Assemblée, il n’est pas permis de les considérer, puisqu’ils se trouvent de l’autre côté du cordon sanitaire, auquel s’accroche désespérément la classe dirigeante, en laissant croire que la mouvance populiste est un rassemblement de factieux, de fascistes et de faquins. Le régime ne pardonne pas toutefois à ces « populistes » d’avoir respecté les usages parlementaires et d’avoir refusé l’appel à la rue: ils sont accusés de porter un masque républicain pour mieux dissimuler leur vraie nature. Quant à la gauche radicale parlementaire, elle a beau zadifier l’Assemblée, elle conserve ses titres républicains. Ce n’est pas un détail de rappeler que la gauche modérée s’est reconstituée dans la rue, à travers la figure de Laurent Berger, véritable leader de l’opposition à la réforme, ayant réussi, jusqu’à jeudi soir, à ce qu’elle ne dérape pas.
Emmanuel Macron, à la dernière élection présidentielle, n’a obtenu, au deuxième tour, qu’une majorité par défaut, qui fonde une légitimité essentiellement négative. Le système politique français ne parvient plus à produire une adhésion populaire profonde. Cela n’est pas sans lien avec l’incapacité du pouvoir à mener cette réforme et à la faire adopter par l’Assemblée. Il se tourne alors vers la rhétorique de la nécessité, les grands chefs sachant apparemment dans l’histoire défier leur peuple rétif au nom de l’intérêt supérieur du pays. Mais dans un pays où la légalité se découple de plus en plus de la légitimité, cela n’est pas sans risque.
On a rappelé avec raison qu’un tel projet, à l’échelle de l’Europe, est une réforme mineure, presque technique et se justifie selon les exigences de la raison comptable. On pourrait ajouter que le désir de sauvegarder à tout prix un régime de retraite par répartition relève aujourd’hui de l’anachronisme politique et témoigne de la force d’inertie d’un socialisme encastré dans l’organisation du pays, dont il faudrait enfin s’extraire, pour libérer ses énergies. Autant la social-bureaucratie se déploie presque naturellement, en poussant à l’assistanat, et en décourageant le travail, autant il est difficile de la faire refluer.
Mais c’est moins le projet du gouvernement qui fut au centre de la bataille des dernières semaines qu’un profond malaise qui ne peut s’éteindre dans les circonstances actuelles. Il se pourrait que la France s’apaise néanmoins dans les prochaines semaines. Un pays ne peut pas toujours vivre dans l’exaltation révolutionnaire, même si on gratifie sa population du beau titre de « peuple politique ». Il se pourrait aussi qu’il soit pris de convulsions plus ou moins violentes. Dans les deux cas, toutefois, le pourrissement de la vie collective va se poursuivre. Le pouvoir devrait se demander pourquoi il ne comprend tout simplement plus son peuple, avec ses grandeurs et ses misères.
Cela impliquerait toutefois de savoir ce qu’est un peuple, de comprendre les passions qui le meuvent, les craintes qui le braquent. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.