Par Pierre Builly.
Adieu poulet de Pierre Granier-Deferre (1975).
Années pourrissantes.
Résumé : Lardatte, candidat du Parti républicain unifié, défend l’ordre et la morale. Des colleurs d’affiches de gauche sont attaqués par ses hommes de main. L’un d’eux est tué. Le commissaire Verjeat chef de la Brigade Criminelle, aidé par l’inspecteur Lefèvre mène l’enquête Le père du colleur d’affiches accuse Lardatte…
J’ai longtemps rechigné à regarder Adieu poulet en raison de son titre, que je trouve lamentable et même ridicule, tout en admettant que je n’en ai aucun de meilleur à proposer. Il est vrai qu’on peut juger aussi qu’il s’impose, après qu’on a vu la dernière séquence, profondément jouissive.La fin ouverte du film est une de ses nombreuses réussites : sait-on ce qui va se passer après que le Commissaire principal Vergeat (Lino Ventura) aura quitté la scène, laissant le douteux Lardatte (Victor Lanoux, qui a l’air aussi franc qu’un âne qui recule) aux mains et sous la menace d’un de ses anciens hommes de main qu’il a lâché, Antoine Portor (Claude Brosset, aussi bon que d’habitude) ? Pas du tout, et ça n’est pas la question ! On se quitte sur le sentiment d’un prodigieux gâchis, d’un déni de justice, d’un ratage minable et d’une totale impuissance devant les pesanteurs de la vie.
Naturellement, le film porte un peu trop la marque de son époque, des vertueuses indignations gauchisantes devant les manigances des bien-pensants ; et le propos n’est pas d’une finesse extrême dans la dénonciation ; certes, le candidat dont les partisans sont agressés par les hommes de main de Lardatte se revendique du Parti Républicain Unifié, ce qui paraît laisser les plateaux de la balance à égalité, puisque Parti républicain évoque la formation de droite créé pour soutenir l’action de Valéry Giscard d’Estaing et Unifié le Parti Socialiste Unifié qui se situait entre la SFIO et le Parti Communiste. Mais Lardatte prétend se situer au dessus des partis, ce qui, en 1975, signifie clairement une appartenance à la Droite dure, et les auditeurs de ses meetings portent bérets parachutistes et brochettes de décorations. On ne fait pas dans la nuance, c’est l’esprit du temps. Assez curieusement, et à rebours, la dégelée infligée aux benêts d’Hare Krishna, pulvérisés rageusement, avec un souverain mépris, par Vergeat rétablissait bizarrement l’équilibre.
Dewaere est prodigieux et tient la dragée haute à Ventura, ce qui n’est pas une performance mince ; tour à tour galopin énervé, flicard sceptique, fou furieux, il sait tout faire, tout dire avec un sens prodigieux de l’effet qui marque ; la brève scène où, dans un bar nocturne, il harponne une sardine avec son chewing-gum et, au loufiat qui se met en rogne C’est une assiette de poissons, pas une poubelle ! envoie Je l’adopte, je la ramène à la maison. Mettez-la sur la note et foutez-nous la paix ! est une séquence qui mériterait, par son outrance baroque, son incongruité et la justesse de son ton, être mise au rang des instants les plus roboratifs du cinéma, entre Atmosphère, atmosphère !, Bizarre, mon cher cousin, vous avez dit Bizarre ! et Aux quatre coins de Paris qu’on va le retrouver, éparpillé par petits bouts, façon puzzle…
Et puis quel plaisir de retrouver en seconds rôles, ou même en profils perdus la fine fleur des acteurs de complément des années Pompidou ! Julien Guiomar, Jacques Rispal, Michel Peyrelon, Pierre Tornade, Henri Lambert, Michel Beaune, Dominique Zardi… Quel dommage qu’on n’ait pas écrit sur tous ces talents un ouvrage de la même qualité que celui consacré aux Excentriques du cinéma français des années 30 à 60… ■
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Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.