Nous poursuivons ici notre survol barrésien des dimanches de cette année 2023, avec, pour le mois de mars, l’annonce de la réédition de Sous l’œil des barbares.
Une controverse d’autrefois : Maurice Barrès avait-il des origines juives ?
C’est une revue d’extrême-gauche nommée Les Hommes du jour qui l’affirmait, dans un texte qui parut en mai 1908 rédigé par un certain Flax :
« On sait assez que Maurice Barrès est le plus pur des patriotes. Il est même davantage : il est patriote lorrain. Longtemps en effet on le crut du pays de Lorraine. Un jour, on reconnut ses origines avernes et l’on en fournit de telles preuves que Barrès n’osa nier. Au contraire, l’Auvergne étant encore la France, il se glorifia d’appartenir à cette vieille race et se regardant à nouveau dans son miroir, il se découvrit une ressemblance étonnante avec Blaise Pascal.
Mais ce qu’on a très peu dit, c’est que Maurice Barrès est, en réalité, d’origine juive. Le Gil Blas ayant fait allusion à cela, Barrès protesta longuement, les 11 et 20 novembre de l’année 1907. La vérité, c’est que ses ancêtres israélites vinrent s’établir à Bresles, dans la Haute-Loire, où ils prirent le nom de Barrès, petit district de la Haute-Auvergne. C’est sans doute en raison de cette origine que certains trouvent à Barrès une ressemblance avec Jésus-Christ.
Ajoutons que le premier juif qui se fixa en Auvergne et prit le nom de Barrès était un juif portugais. Aujourd’hui encore, on rencontre à Bordeaux une foule de Barrès, négociants ou armateurs, tous d’origine israélo-portugaise. »
Si cela est vrai, cela rajouterait un nom à la longue liste des grands écrivains séfarades, qui va d’Isaac La Peyrère et Miguel de Cervantès à Albert Cohen. Un tel article souligne l’état d’esprit des milieux libertaires de l’époque : autant par rejet du christianisme, issu du monothéisme juif, que des grosses fortunes juives de la banque, l’antisémitisme constituait un élément central de leur vision du monde.
Retour sur une polémique oubliée qui surgit des colonnes de Gil Blas. Le 11 novembre 1907 parut ce papier :
Les origines des dieux : M. Maurice Barrès, qui donne peu de son talent, sans pareil au Parlement, a fait sur le culte des morts un admirable discours souligné par la belle réponse de Briand.
L’intervention oratoire de l’académicien a failli finir dans une bagarre.
Échauffé par ses propres effets, M. Maurice Barrès, a interpellé un des plus pacifiques parmi les députés, M. Théodore Reinach, dont les adversaires même proclament la courtoisie impersonnelle et discrète. M. Barrès a, je crois, reproché à M. Reinach une origine étrangère. Ce disant, le subtil écrivain a dû s’étonner lui-même. M. Barrès, qui se proclame vosgien, appartient à l’Auvergne, aux marches de l’Auvergne plutôt. Car la famille Barrès est depuis longtemps fixée à Blesle, dans la Haute-Loire. Un cousin de M. Barrès occupe là une honorable situation et exerce avec une spirituelle originalité la profession de médecin.
M. Maurice Barrès a d’ailleurs été cruel, dès sa jeunesse, à la patrie auvergnate. Un jour devant Mme Emery, mère d’un des plus grands romanciers de ce temps — je veux dire Rachilde — un jour noyé maintenant dans le lointain brouillard des débuts, M. Maurice Barrès renia l’Auvergne avec véhémence :
« Je suis Vosgien, clamait-il (il clamait déjà). Même la famille de mon père n’est pas auvergnate. Les Barrès, comme le nom l’indique, sont des Juifs portugais, venus au pays d’Auvergne par accident.”
M. Maurice Barrès avait alors raison. Une généalogie bien faite, donne comme premier des Barrès connus, un imprimeur, juif portugais converti par les jésuites et conduit par eux au pays d’Auvergne, où la Compagnie faisait alors imprimer ses livre.
M. Maurice Barrès rappelait encore — et avec orgueil — cette origine le jour même où il portait à l’ancienne Presse, à la Presse du boulangisme, les premières pages de son feuilleton, intitulé : La Maison des chemises roses.
Depuis ces heures lointaines, M. Maurice Barrès a grandi en gloire. Il est le premier des hommes politiques à l’Académie ; le premier des littérateurs à la Chambre. S’il a saison de défendre les droits des morts silencieux, il a tort, vraiment, de reprocher à M. Théodore Reinach une origine qui est celle de Jésus-Christ. »
Maurice Barrès se vit obligé de se fendre d’une lettre adressée au journal, qui la publié le 20 novembre 1907 :
« “LES ORIGINES DES DIEUX” — Réponse de M. Maurice Barrès
Monsieur le Directeur,
M. Jean de Bonnefon, dans le Gil Blas du lundi il novembre, commente l’observation que j’ai faite à M. Théodore Reinach, “à la Chambre”, de n’avoir pas à se mêler des affaires des catholiques, et juge que ce ton me convient d’autant moins que, chose inouïe, extraordinaire, je serais juif.
Mais je tiens à rappeler le texte de M. de Bonnefon :
“Une généalogie bien faite donne comme premier des Barrès connus, un imprimeur, juif portugais converti par les jésuites et conduit par eux au pays d’Auvergne, où la compagnie faisait alors imprimer ses livres.”
Eh bien ! M. de Bonnefon se trompe complètement, et, sans polémique inutile, simplement avec le souci d’établir la vérité, je veux vous prouver son erreur.
Depuis vingt-cinq ans que j’écris dans les journaux, c’est peut-être la première fois que j’use du droit de réponse. En tout cas, c’est la première fois que j’en use d’une manière qui peut encombrer mon adversaire. Mais j’estime que si votre allégation est exacte, si je suis dans quelque mesure un juif, l’incognito que j’ai si bien su garder jusqu’à cette heure, serait de nature à jeter une ombre très grave sur mon caractère. On ne concevrait ni mon attitude dans l’affaire Dreyfus, ni mon amitié constante pour un Drumont, ni tel et tel de mes livres, par exemple les Scènes et doctrines du nationalisme, si j’étais le coreligionnaire masqué d’Alfred Dreyfus.
Je dois annuler votre accusation, je le dois et je le puis.
Par une circonstance heureuse, car il est assez rare qu’une famille plébéienne connaisse ses origines reculées, je suis à même de vous prouver la source de mon nom et le bon sang terrien des Barrès.
Je laisserai parler les érudits, dont la science et la haute sincérité sont reconnues de tous les hommes compétents.
Au cours du dernier été, comme j’étais à Royat, l’Académie de Clermont, dont je suis membre honoraire, a bien voulu m’inviter à assister à sa séance du 1er août sous la présidence du marquis de Montlaur. Vous trouverez tout le détail de cette séance, qui me fait grand honneur, dans le Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne, publié par l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont-Ferrand, numéros 7 et 8, juillet et août 1907, chez Louis Bellet, imprimeur libraire, à Clermont-Ferrand.
Je passe sur le compliment de M. de Montlaur, de M. de Riberolles, de M. Ogiardas, de M. Élie Jaloustre, qui connaissent leur pays et qui ne me croient pas un juif. Mais ce qu’il faut que je vous demande de retenir et de publier, c’est une longue note qui fut lue dans cette séance du 1er août, par M. Marcellin Boudet, conseiller honoraire, président de la Société de la Haute-Auvergne, et qui répond exactement à l’objet du débat que vous avez soulevé.
En voici le texte exact ; je vous prie de le reproduire in extenso dans sa première partie, le reste quittant le terrain de l’histoire pour entrer dans les loges littéraires :
“Le Pays de Barrès.
Parole de bienvenue de M. Marcellin Bondet, président de la Société de la Haute-Auvergne, et au nom de cette société, à M. Maurice Barrès.
À l’extrémité méridionale de notre province, à l’ombre des Monts Cantal, il est un attrayant petit pays qui chevauche la limite de l’Auvergne et du Languedoc et verse le tribut de ses torrents à la vallée du Lot. À l’Auvergne, il a pris ses robustes traditions, au Midi la phrase chantante des parlers occitans. C’est le pays de Barrès.
Jalonné par Murat de Barrès et Lacapelle Barrès dans l’arrondissement de Saint-Flour, Mur de Barrès et Lacroix de Barrès dans celui d’Espalion, tel il est désigné dans les cartulaires carolingiens, tel il se nomme encore.
Son nom, il le communiqua à une famille établie, pendant l’invasion anglaise, dans la plus forte ville de la région, Saint-Flour, que rois et généraux ont appelée, dès cette époque, l’une « des clés de la. France de vers le duché d’Aquitaine ».
La pauvre petite capitale des montagnes se meurt aujourd’hui de ce qui fit sa puissance autrefois ; mais, depuis le temps où nos infortunes la firent frontière de la France, anglaise par la cession du Rouergue, elle dut à sa rude population de rester l’une des villes vierges de la patrie démembrée. Commune presque, autonome au point de vue militaire, elle tenait pour le plus cher de ses privilèges de ne recevoir aucun gouverneur, de se défendre seule avec ses propres armes et les capitaines de son choix.
Parmi les vaillants bourgeois qui la sauvèrent des attaques incessantes de l’ennemi, pendant la guerre de Cent Ans, le nom de Pierre Barres, son capitaine aux heures les plus périlleuses, trois fois élu consul et, entre temps, receveur de ses finances, figure bien souvent dans ses registres consulaires. Il était de ceux qui, au premier appel des trompadors, quittaient le comptoir ou la plume pour monter au rempart, l’arbalète à l’épaule et coiffé du chapeau de fer, ou bien conduisaient ses balistes et ses arbalétriers à l’assaut des forteresses anglaises, avec Sancerre et Du Guesclin, sous l’étendard vert et blanc de la commune. Il fut aussi de ceux-là qui, molestés outre mesure par Jean de Berry, frère de Charles V, se redressèrent un jour pour lui jeter à la face leurs protestations, commençant par ce fier cri que nous avons l’ingénuité de croire moderne : Sumus veri Gallici. Lorsqu’il mourut, en 1417, la ville lui rendit à ses frais, les honneurs funéraires.
Son fils certain, Pierre Barrès, ou de Barrès, souvent et indifféremment nommé sous ces deux variantes, le notaire magistrat Louis Barrès, ainsi que leurs descendants des XVe et XVIe siècles, restèrent des, notables de la cité, une partie de l’éminence où se dresse le Calvaire de Saint-Flour, près de la porte de Muret, venue d’eux, garda longtemps le nom d’eux : « Champ de. Barrès. » » Au siècle suivant, une branche des Barrès — la vôtre apparemment, mon illustre confrère, car le nom n’est point banal — se retrouve à Blesle et en Brivadois.
À quoi rien d’étonnant : ces lieux dépendaient du même diocèse et la petite ville de Blesle, où elle s’est perpétuée, était, comme la plus proche banlieue de Saint-Flour, membre de la Grande Terre de Mercœur, qui échut alors à la maison de Lorraine.
La prédestination vous sourira qu’avant vous vos grands-pères du duché de Mercœur soient devenus des sujets lorrains sans cesser d’être Auvergnats. Auvergne et Lorraine, n’est-ce pas le fond de vous-même ?
Ainsi, quelle que soit la trame détaillée de votre filiation, c’est indubitablement par l’ancien diocèse de Saint-Flour que vous nous appartenez.”
Vous venez d’entendre M. Marcellin Boudet ; voilà, je crois, un texte très clair et qui ne laisse rien subsister d’une origine juive portugaise du nom de Barrès.
M. Jean de Bonnefon, s’il se l’enseigne, pourra s’assurer que cette note du respecté président de la Société de la Haute-Auvergne ne contient rien que d’absolument exact sur les Barrès, de l’ancien diocèse de Saint-Flour.
M. Marcellin Boudet a été le chef du parquet de Saint-Flour pendant trois ans ; pendant quatorze autres années, il en a présidé le tribunal. Il en connaît parfaitement les archives municipales, et, spécialement, les registres de comptes des consuls, où il a souvent rencontré « Pierre de Barrès », quelquefois nommé « Pierre Barrès », capitaine de la ville en 1389 et en 1394, élu consul en 1391 et 1401 et encore en 1409-1410 ; receveur en 1399-1401, mort en 1416 ou 1417. Les consuls de l’année firent célébrer un grand office aux frais de la ville, pour les obsèques de celui qui avait été son vaillant défenseur, « compte de 1417 ». Ce n’est pas celui-là qui était juif, pas plus que son fils Pierre.
Et pas davantage Durand, « qui paraît être son frère », vu qu’il était curé de Saint-Flour en 1388 et que le 10 mars de cette année on le trouve célébrant une messe pour l’âme d’un autre consul, « compte de 1383 » ; de ces trois-là et de Me Louis Barrès, notaire, le 1er juillet 1467, on ne rencontre pas le nom moins de vingt-cinq fois bien comptées. Le « Barrès » tout court prévaut à partir de Louis.
Monsieur le Directeur, si vous ne voulez pas faire le voyage de Saint-Flour, pour vous assurer de l’exactitude de nos dires, il vous est loisible de consulter, les Registres consulaires, de Saint-Flour, en langue romane, avec résumé français, édités et annotés par M. Marcellin Boudet, et précédés d’une préface de M. A. Thomas, professeur de langue romane à la Sorbonne. Cet ouvrage a été achevé en 1897, imprimé et édité chez Champion (9, quai Voltaire), il a été récompensé, en 1901, par l’Institut (Académie des inscriptions et belles-lettres), au concours des antiquités nationales.
Il n’a donc pas été fait pour les besoins de la cause et pour vous prouver que les Barrès ne descendent pas d’un « juif portugais amené en Auvergne par les jésuites ».
Je n’ai pas à donner de témoignage à an savant tel que M. Marcellin Boudet, qui publia son ouvrage quand il était conseiller à la cour de Grenoble et qui a pris aujourd’hui sa retraite à Clermont-Ferrand, Avec la qualité de conseiller honoraire. Mais si l’autorité d’un seul savant ne vous semblait pas suffisante, M. Paul Le Blanc, de Brioude, pourrait confirmer son éminent confrère et vous documenter. Il vous dirait que les Barrès, que M. Marcellin Boudet a relevés de 1376 à 1405, sur les registres consulaires de Saint-Flour, figurent dans les siècles suivants, dans les registres de la catholicité de Blesle, Brioude et autres lieux, ainsi que dans les actes de l’état civil qui les ont continués.
Il vous établirait ma filiation rigoureuse et mes parentés durant trois siècles. Il vous dirait que mon grand-père Barrès, né à Blesle, le 25 juillet 1784, s’étant engagé, en 1804, dans les Vélites de la garde consulaire, est devenu officier supérieur et s’est marié à Charmes (Vosges), où il est venu mourir et où j’habite moi-même.
Sumus veri Gallici. En vérité, monsieur le directeur, si l’autorité de MM. Paul Le Blanc et Marcellin Boudet, si les textes que je vous indique ne suffisent pas à vous persuader de ma vieille et excellente qualité de catholique et de Français, c’est que vous tenez, d’une manière exagérée, à enrichir de ma personne la nation juive.
Au reste, j’attends que M. Jean de Bonnefon nous renseigne avec précision sur l’imprimeur juif portugais que les jésuites ont amené en Auvergne, pour me servir d’aïeul, et je suis à votre entière disposition, à l’un et à l’autre, pour tout Supplément d’information.
Veuillez recevoir, monsieur le directeur, l’expression de mes sentiments les plus distingués.
Signé : Maurice BARRÈS. »
La réplique de Jean de Bonnefon fut publiée le lendemain :
« LES ORIGINES DES DIEUX — Le Sang de Maurice Barrès
Je suis tout imprégné de l’honneur que m’a fait M. Maurice Barrès en usant, pour la première fois, en mon honneur, du droit de réponse. Mais sa lettre ne me porte pas la surprise d’une page inédite. Les morceaux essentiels ont paru déjà dans un volume public à la louange de M. Barrès chez le bon éditeur des lettres, M. Sansot, par M. René Gillouin.
L’auteur de cette oraison anthume s’appuie, lui aussi, sur l’autorité de M. Marcelin Boudet, un de ces hommes rares qui revivent et font revivre la vie de leur province. M. René Gillouin termine la généalogie par ces mots :
“Tout ceci soit dit, en réponse à, telles insinuations.”
La brochure a paru en novembre ou décembre 1906. Je n’avais pas encore donné l’Origine des dieux. Il ne s’agit donc pas de mes insinuations. D’autres auraient-ils attribué des origines sémitiques à M. Barrès ?
Jusqu’à ce jour je ne connais qu’un seul homme coupable de ce méfait. Cet homme est
M. Maurice Barrès lui-même, qui disait, il y a vingt-sept ans :
— Je suis Lorrain. Mais je crois que si l’on cherchait les origines lointaines de ma famille, on arriverait à des Juifs venus du Midi, dans quelque migration du moyen âge.
M. Barrès va aux extrêmes, quand il m’accuse de l’avoir traité de Juif. J’ai insinué, et je crois que trois races mêlées à doses inégales ont donné cette fleur compliquée mais fort belle, qui est M. Maurice Barrès.
M. Barrès, instruit par MM. Boudet et Leblanc, reconnaît aujourd’hui son origine auvergnate. Il y a vingt ans, M. Barrès n’aimait pas à faire cet aveu.
Les contradictions courent les unes après les autres, dans la belle réponse de M. Barrès comme dans son admirable existence où l’artiste menace de ruiner l’homme politique, où le philosophe rit du nationaliste.
Dans cette princesse des revues qui est Le Mercure, M. Martin-Mamy, appelait un jour[1] M. Barrès « le plus somptueux des anarchistes ». Les critiques les plus épris ont toujours vu deux masques sur ce front de penseur. Or, il n’y a pas fit masque du tout. M. Barrès a trois visages beaux tous trois de beautés différentes : le Sémite, l’Arverne, le Vosgien.
Le collaborateur de la Jeune France (1883), le rédacteur unique des Taches d’encre (1884), sont un seul homme, mais différent du rédacteur de la Cocarde. Le décentralisateur de cette défunte Cocarde est, peut-être, parent du nationaliste, député de Paris. Mais le chroniqueur du Voltaire, de la Vie Moderne, est sans alliance avec le boulangiste oublié, le néo-chrétien restauré. L’idéologue des Barbares n’est pas le lutteur du Figaro ou de la Revue indépendante.
Que diraient les électeurs nationalistes de feu M. Archdeacon, s’ils étaient capables de lire l’Ennemi des lois et de goûter ce passage ?
« Ainsi le sentiment qu’il gardait de Marin: avait permis à André de ne pas s’enfermer comme dans une coterie dans sa race. Beaux yeux des Roumains qui troublez, sur le boulevard Saint-Michel, le cœur des petites filles françaises, vous rompez pour elles ce qu’a de trop étroit leur orgueil national. »
M. Barrès est nationaliste parce que la famille de sa mère est Lorraine, parce que la première vision de cet enfant sublime a été celle d’un village occupé par les Prussiens, parce que des scènes de sauvagerie se sont imprimées dans le cerveau du mélancolique héritier des vaincus.
M. Barrès est Auvergnat quand il veut ressusciter la vie provinciale, qui fut si active dans le centre de la France.
M. Barrès est Sémite quand il se montre la dilettante excité, le chercheur d’effets, en volonté de paraître simple, le romantique attardé, !en désir de paraître classique. M. Barrés sent bouillir en lui le sang précieux du juif, quand il se grise au cliquetis des mots, quand il se noie dans l’ivresse des paysages.
Cet admirable vagabond du patriotisme serait veuf de sincérité s’il n’additionnait pas les lointaines origines au Sémite et les proches parentés de l’Auvergne ou des Vosges.
Un filet de sang, un mince filet, à la source lointaine, coule dans les veines de celui qui a écrit :
“Les tentes posées par des nomades, chaque soir, dans un pays nouveau, n’ont pas la solidité des antiques maisons héréditaires, mais quelle joie pour ces errants, de se mêler aux races autochtones et de dire avec elles l’hymne du matin, tandis que, pour l’embellir, la mémoire secrètement y mêle les chants appris la veille chez des étrangers[2] ! »
Certes l’antique maison héréditaire existe ; elle a succédé aux tentes sous lesquelles quelque lointain aïeul disait les chansons de l’Orient.
M. Barrès a l’ironie, la divine ironie, mais avec quelle discrétion, à la manière du Sémne qui rit en soi. Jamais il ne se permet le rire blond du Lorrain sous l’éclat dansant et chantant de l’Auvergnat.
Le légitime orgueil de M. Barrès appartient aussi à la race de Sem. Il s’est souvenu du lointain grand-père, quand il a écrit :
“À certains jours, si je me promène, il me semble qu’en moi, une digue se crève et, qu’ardentes et colorées, mes pensées transfigurent le monde[3].”
Ailleurs :
“C’est moi qui crée l’univers ; c’est moi qui suis l’univers.”
De telles pensées ne sont pas du régionaliste. Elles appartiennent au fils régénéré des pasteurs qui étaient chez eux là où ils faisaient paître leurs troupeaux.
L’esprit, l’âme, le souffle de M. Barrès sont d’Auvergne, de Lorraine et de Judée. Par une singulière méprise de la nature, M. Barrès est plus sémite de visage que d’âme. Regardez-le dans la rue, à la Chambre, à 1’Académie. Demandez à une personne qui ne connaîtrait pas l’illustre écrivain — s’il en est — à quelle race appartient cet homme grand, mince, aux épaules tombantes, voûté un peu comme s’il portait le poids des siècles, au visage de forme ovale dans le cadre de longs cheveux bleus, au teint qui est celui du pain de seigle, aux paupières pesantes comme des rideaux, à l’impassibilité dédaigneuse. Celui qui aurait le malheur de ne pas avoir vu déjà M. Barrès, répondrait : « C’est un Sémite du Midi. »
Physiquement, M. Barrès paraît être non le sémite des affaires et des banques, mais celui des bibliothèques et de la synagogue.
Le dernier portrait de M. Barrés est l’œuvre de cet artiste subtil qui signe Rouveyre. Regardez-le tel que nous le donnons plus haut extrait de l’album où il parut.
M. Maurice Barrès croit que l’on ne comprendrait ni son attitude dans l’affaire Dreyfus, ni son amitié pour Drumont, ni son livre sur les scènes du nationalisme, si un ancêtre juif paraissait dans le lointain d’une généalogie. M. Barrès oublie-t-il que les adversaires les plus violents d’Alfred Dreyfus naquirent juifs ? M. Barrès ignore-t-il que des Sémites illustres sont convertis à l’antisémitisme ? Les noms sont sur toutes les lèvres. –
M. Barrès commet d’ailleurs quelques erreurs matérielles dans sa rectification. Pourquoi écrit-il « Les Barrès de l’ancien diocèse de Saint-Flour. » Saint-Flour n’est-il pas encore aujourd’hui le chef-lieu d’un diocèse ?
M. Barrès n’a pas été complètement renseigné par MM. Boudet et Leblanc, sur les Barrès de Saint-Flour. Dût la modestie de l’écrivain en souffrir, je lui apprendrai que sa famille ne serait ni bourgeoise ni plébéienne — si elle se rattachait à la vieille souche des Barrès de Saint-Flour. Cette famille était noble ; elle portait « d’argent à deux fasces de gueule »». Elle a émigré en Vivarais, où elle a pris nom de terre, Barrès du Molard et modifié les armes après une substitution régulière.
M. Barrès a raison, quand il écrit que de 1370 à 1450, les Barrès figurent à Saint-Flour sur les registres dépouillés. Mais au milieu du quinzième siècle, ils quittent l’Auvergne. On peut les suivre en Vivarais. À Blesle, on ne trouve le premier Barrès qu’au dix-septième siècle : cent cinquante ans pour aller de Saint-Flour à Blesle, c’est long.
Il ne suffit pas que deux familles portent le même nom pour être de même souche, il faut établir la filiation. Je crois qu’il serait impossible de trouver la soudure entre les deux familles. M. Marcelin Boudet a sans doute de bonnes raisons pour rattacher la famille de Saint-Flour au pays de Barrès. Il faut ajouter que le Barrès, partie du Carladès, n’appartint que fort tard à la France. Les noms de lieux terminés en Barrès sont assez nombreux aux marches d’Auvergne. Or, il était d’usage que les juifs venus en France prissent des noms de lieux dans le pays où ils arrivaient. M. Boudet suppose qu’une branche des Barrès aurait mis cent-cinquante ans pour franchir les quelques kilomètres qui séparent Saint-Flour de Blesle.
Pourquoi ne pas supposer que le premier arrivant prit le nom de Barrès, l’empruntant à Murat de Barrès, à la Croix de Barrès, même à Mur de Barrès.
M. Barrès me renvoie aux documents. S’il prend la peine de chercher à Blesle les actes authentiques (contrats, baux, actes de baptême, de mariage, de décès), il aura de la peine à trouver le point de suture entre sa famille et celle de Saint-Flour.
Mais il serait dommage que M. Barrès dérobât, pour ce faire, des instants précieux pour la politique du pays et pour les lettres du monde.
Un parent de ce duc de Grammont, qui avait épousé une Rothschild, disait :
— Je suis enchanté de cette alliance. La véritable lutte contre la richesse des juifs consiste à faire entrer les jeunes filles juives dans 1’aristocratie et à utiliser leurs fortunes.
M. Barrès a le bonheur de réunir chez lui, par greffe naturelle, le génie de trois races. Et il rejette l’explication qui, seule, légitime la variété de son moi.
On n’a jamais prétendu — quoi qu’en dise la modestie du maître — « enrichir de sa personne la nation juive ». On croit qu’il y a en lui un dixième ou un vingtième de sang juif mêlé à des flots de sang auvergnat et lorrain, Si même on se trompait, on garderait une excuse : vers 1884, M. Barrès avait cette croyance. Se tromper après Lui, comme Lui, n’est-ce pas avoir raison ? » ■
[1]Le Mercure, 1er juillet 1906.
[2]Du sang…
[3]Les amitiés françaises.
Sous l’œil des barbares
Nombre de pages : 124.
Prix : 20 € (frais de port inclus).
Commander ou se renseigner à l’adresse ci-après : B2M, Belle-de-Mai éditions – commande.b2m_edition@laposte.net
Publié le 5.03.2023 – Actualisé le 12 03.2023