Par Maxime Tandonnet.
Cette tribune est parue dans Le Figaro du 24 mars.
TRIBUNE – Dommage collatéral des troubles du 23 mars 2023, le report de la visite de Charles III en France est un signe supplémentaire de l’affaissement général qui se manifeste sous des formes multiples, analyse l’historien et essayiste Maxime Tandonnet.
Les voyages officiels de souverains britanniques de l’autre côté de la Manche ont toujours constitué des événements à la fois diplomatiques et symboliques qui ont mobilisé l’opinion. Parmi les visites royales à Paris, celle de Georges VI, le 18 juillet 1938, exprimait le resserrement de l’Entente Cordiale à la veille de la Deuxième Guerre Mondiale. Celle, triomphale d’Élisabeth II, les 8 et 10 avril 1957, la première officielle de cette souveraine, accueillie en grande pompe par le président René Coty, reflétait la fierté retrouvée d’une nation portée par l’élan de la reconstruction et des Trente Glorieuses. En mai 1972, son accueil à Paris par Georges Pompidou (qui commit l’impair protocolaire de lui tenir le bras !) à la suite du référendum par lequel les Français acceptaient, à une vaste majorité, l’entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun, marquait l’apothéose de l’amitié franco-britannique. Plus tard, en 1992, 2004, 2014, les venues en France d’Élisabeth II suscitèrent l’intérêt des Français dont témoignaient les rassemblements de foule à son passage.
L’accueil des souverains britanniques en France a toujours été ressenti comme une fierté pour la Nation française. Elle, qui n’a plus de roi depuis 1848, accueille sur un pied d’égalité le monarque britannique dans une relation d’équivalence avec le président de la République en tant que successeur à la tête de l’État des souverains français. Le rituel traduit la profondeur d’une amitié entre les deux nations, issue des tragédies du XXe siècle : le sang versé ensemble par les Britanniques et les Poilus sur le champ d’honneur pendant la Grande Guerre et l’appui décisif apporté par le Royaume-Uni à la Résistance et à la Libération de la France entre 1940 et 1944, puis l’unité entre deux peuples confrontés aux mêmes défis de la reconstruction et de la guerre froide.
Dommage collatéral des troubles du 23 mars 2023, le report de la visite de Charles III en France se présente ainsi comme un camouflet pour notre pays qui ne semble guère avoir de précédent. Certes, la France qui compte 450 policiers et gendarmes blessés dans la seule nuit du 23 au 24 mars – un chiffre donnant la mesure du chaos – n’est donc pas en mesure d’assurer matériellement la visite de Charles III dans des conditions de sécurité normale. Mais en outre, l’image que donne en ce moment notre pays ne se prête pas au déroulement de ce déplacement dans un contexte digne de l’histoire franco-britannique. Paris est couvert de montagnes d’immondices. Les émeutiers ont incendié les gigantesques tas d’ordures accumulés dans les rues de la capitale et des colonnes de fumées s’élevaient à l’horizon suscitant des images d’apocalypse. La vision des flammes dans la capitale renvoyait à la fois à la crise des Gilets Jaunes avec ses barrages en feu (2018) et même au cauchemar de l’incendie de Notre Dame en avril 2019.
Bien entendu, les responsables directs de cette situation dramatique sont aisément identifiables : dirigeants politiques de tous les partis qui ont favorisé ou laissé se développer une situation quasi insurrectionnelle quand ils pouvaient encore l’éviter, les syndicats qui paraissent avoir perdu le contrôle des manifestations, les militants d’extrême gauche et les casseurs qui se saisissent du prétexte des retraites pour transformer des manifestations pacifiques en émeutes.
Mais par-delà ce constat évident, qu’est-ce qui ne va plus dans une France devenue incapable d’honorer dignement, à la date prévue, sa tradition d’accueil d’un souverain britannique ? Cette nouvelle défaillance se présente comme un signe supplémentaire, ou un symptôme, de l’écroulement général qui se manifeste sous des formes multiples : dette publique à 3000 milliards d’euros ; désindustrialisation massive se traduisant par un déficit extérieur de 160 milliards en 2022 ; poussée de la violence quotidienne (+8% des coups et blessures volontaires en 2022) ; aggravation de la pauvreté sous l’impact de l’inflation (9 à 10 millions de pauvres selon l’INSEE), 2,4 millions de personnes secourues par l’aide alimentaire et 2 millions de bénéficiaires du RSA et 3 à 5 millions de chômeurs; crise hospitalière (impossibilité de mobiliser plus de 5000 places de réanimation pendant l’épidémie de Covid-19) ; perte de la maîtrise des frontières (320.000 « premiers titres de séjour » et 150.000 demandeurs d’asile en 2022) ; déclin énergétique dû à l’affaiblissement volontaire de la filière nucléaire ; effondrement scolaire (France avant dernière au classement TImss en mathématique et 24ème au PISA sur la compréhension de textes et les sciences).
La crise démocratique bat son plein avec seulement 46% de participation aux dernières élections législatives. Le climat de révolte actuel exprime la défiance des Français envers une classe politique à laquelle ils reprochent son arrogance, son mépris, et notamment de ne pas les écouter sur la réforme des retraites. Certes rien ne serait plus absurde et prétentieux que de prétendre détenir la recette miracle pour interrompre une chute dont nul ne connaît l’issue. Toutefois, l’expérience historique des redressements intervenus dans le passé, notamment celle des années 1960 – quand de Gaulle excluait catégoriquement de présider la France en dehors d’une confiance populaire s’exprimant à travers les référendums – montre que nul n’a jamais redressé le pays sans une franche adhésion et l’estime de la Nation. Aussi est-ce au prix d’un retour de la confiance et d’un climat de paix civile, il faut l’espérer, que la France sera demain en mesure de renouer avec fierté à sa tradition d’accueil populaire du souverain britannique. ■
Maxime Tandonnet également historien, est l’auteur de nombreux ouvrages remarqués. Il a notamment publié Les Parias de la République (Perrin, 2017) et, plus récemment, André Tardieu, l’incompris (Perrin, 2019), salué par la critique. Ou encore Georges Bidault: de la Résistance à l’Algérie française(Perrin, 2022).Découvrez également ses chroniques sur son blog.
Honte qui pèsera lourd dans notre histoire proche et nos échéances
N’est ce pas Chirac plutôt que Pompidou qui touchât la Reine?
Honte qui pèsera lourd dans notre histoire proche et nos échéances
N’est ce pas Chirac plutôt que Pompidou qui touchât la Reine?
Je n’ai pu envoyé ce message au départ car votre site l’identifiait comme doublon!
Le 23 Avril 1814, Louis XVIII débarqua à Calais, venant d’Angleterre
Le 5 Juillet 1950 Henri VI , lui aussi, débarqua à Calais
IL y a bien un lien étroit entre nos deux pays
L’ annulation de la visite de Charles III, va profiter à qui?????????
c’est L’Allemagne qui l’accueillera pour son 1er voyage officiel