Nous poursuivons ici notre survol barrésien des dimanches de cette année 2023, avec l’annonce de la réédition par Belle-de-Mai Éditions des deux premiers tomes de la trilogie « Le culte du moi », Sous l’œil des barbares puis Un Homme libre.
SOUS L’ŒIL DES BARBARES
Ce premier opus de la trilogie, qui date de 1888, fut aussi le premier livre de Barrès que le jeune Maurras ait lu, et d’un trait, et qui créa une grande estime de celui-ci à l’égard de celui-là.
René Jacquet dans Notre maître Maurice Barrès (éd. Libraire Nilsson, 1900) commenta ainsi cet ouvrage d’introspection :
« Pour bien comprendre une œuvre du genre de celles qui vont nous occuper, il est utile d’en connaître préalablement l’intention et le plan général. Beaucoup ayant tenté d’approfondir un livre de Barrès se sont rebutés dès les premières pages parce que, s’attendant à des épisodes romanesques, ils ont trouvé des chapitres sans action et sans lien apparent. Comme Sarcey, ils ont proclamé ne rien comprendre à ces Barbares : les « Concordances » dont ils n’ont pas saisi la portée sont devenues des « fumisteries » et des pages divinement éloquentes, un assemblage de périodes harmonieuses mais dépourvues de sens ; ils ont déclaré l’histoire du Sérapis un hors d’œuvre inconcevable et l’oraison finale, d’une détresse si touchante, une plaisanterie de mauvais goût.
Quiconque lit Barrés avec, un esprit, prévenu le trouvera incohérent et absurde. Pour l’apprécier, il importe de faire table rase de toutes certitudes, de débarrasser, au moins momentanément, son intelligence de tous les préjugés et en général de tous les bagages encombrants qui l’alourdiraient. Alors seulement, devenus pauvres pour le suivre, suivez-le avec confiance vous parviendrez facilement au but où il veut vous conduire et peut-être changera-t-il contre une seule et avantageuse certitude les vingt premières que vous aurez semées sur votre route, et qui n’en étaient pas.
II a écrit quelque part : ‟Il faut lire en aimant.” J’ai dit que pour bien comprendre une œuvre telle que Sous l’œil des Barbares, il est utile d’en connaître l’intention et le plan général. Que l’on se pénètre bien de ceci :
Barrès n’a prétendu écrire dans ce livre qu’une façon de ‟Mémoires spirituels” où non pas toute une jeunesse, mais six ou sept étals d’âme successifs d’un même individu sont scrupuleusement dépouillés. On ne doit donc pas y chercher les emplois du temps coutumiers aux jeunes gens qui étudient à Paris, leurs déboires et leurs bonnes fortunes ; il ne s’est rappelé leur langage que pour établir, en guise de préface à chacun de ses chapitres, des ‟Concordances” qui relatent les conditions matérielles où se trouvait son héros au moment où se déroulait en son âme la crise dont suit le tableau.
À chacune de ses crises morales qui tour à tour éliminent de la jeune âme quelqu’illusion, l’auteur a consacré un chapitre et pour finir, le héros ayant perdu toute confiance dans les Barbares qui l’environnent, entre en conscience de son Moi et adresse au Maître inconnu ‟axiome, religion du prince des hommes”, une prière suppliante où il lui demande ‟le sentier où s’accomplira sa destinée.”
En un mot, ce premier volume est le prologue de la découverte du Moi ; son but est de le définir, ce Moi qui s’éveille petit à petit à la faveur de crises salutaires, en opposition avec les Barbares qui sont le non-moi.
Résumons succinctement les phases de cet éveil d’une âme :
I. Le jeune homme demande aux spécialistes philosophes de lui apprendre la vérité ; le bonhomme Système ne sait que lui enseigner un scepticisme pessimiste.
Il demande le bonheur qui est la tranquillité dans la certitude à l’amour sa maîtresse trouve bien plus jolis que ce pâle rêveur les robustes lutteurs qui s’étreignent.
III. Il se retire dans sa tour d’ivoire, il se confine dans sa propre sensibilité, mais les barbares envahissent et saccagent son sanctuaire. (Allégorie ; Athéné assiégée dans le Sérapis par la tourbe populaire).
IV. La tranquillité suprême est peut-être dans la gloire ? Il prend conseil à ce sujet d’un philosophe fameux qui lui enseigne des ‟trucs” pour parvenir. Le jeune homme est tellement écœuré d’un tel cynisme qu’il administre ‟à ce vieillard compliqué une volée de coups de canne.”
V. Il se demande s’il ne va pas essayer de s’imposer à ses contemporains par une gloire facile à conquérir avec rien du tout, le prestige souverain du dandysme mais, ayant réfléchi, il conclut qu’il serait bien naïf de confier à -ses contemporains le bonheur de sa vie.
VI. Il se recueille et, après avoir constaté la faillite de toutes les ‟règles de vie”, il découvre nettement qu’en lui-même est la vérité tant recherchée.
VII. Il appréhende que la découverte de son Moi ne soit pas encore un résultat satisfaisant mais il se rend compte bien vite que ce ‟Moi” a besoin d’être dégagé, parfait et qu’avant tout il importe de lui trouver dans l’univers un champ d’action ;
D’où :
‟Ô mon Maître, je te supplie que, par une suprême tutelle, tu me choisisses le sentier où s’accomplira ma destinée.
‟Toi seul, ô Maître, si tu existes quelque part, axiome, religion ou prince des hommes. » ■
Nombre de pages : 124.
Prix : 20 € (frais de port inclus).
Commander ou se renseigner à l’adresse ci-après : B2M, Belle-de-Mai éditions – commande.b2m_edition@laposte.net
UN HOMME LIBRE
Le récit de cet ouvrage qui parut au début de l’année 1889 se déroule principalement en Lorraine et à Venise. Il a pour thème majeur la metanoïa, ou retour à soi. Voici la présentation qu’en fit René Jacquet dans Notre maître Maurice Barrès (éd. Libraire Nilsson, 1900) :
« Voilà donc le Moi créé mais cela ne suffit pas pour qu’il existe et soit une sauvegarde maintenant et chaque jour il faudra le créer de nouveau, le perfectionner.
Mais nous avons des périodes d’abattement, de stérilité morale, de sécheresse ; pour avoir pleine conscience de notre Moi, il nous faudrait disposer de moyens d’enthousiasme et de clairvoyance…
Qu’à cela ne tienne ; voici le formulaire : Un homme libre.
C’est, à parler juste, le recueil des exercices que Philippe (Barrès a décidé de s’appeler Philippe) imagina pour se mettre en présence de soi-même, à l’instar d’Ignace de Loyola qui réunit en un volume intitulé Exercices spirituels, une ‟série de mécaniques destinées à mettre les fidèles en présence de Dieu lui-même.”
Il est dès lors facile de comprendre l’arrangement du livre.
Première Partie. — En état de grâce. — La religion catholique nous enseigne que l’état de grâce, situation particulière d’une âme possédant la foi et l’innocence, est indispensable au fidèle pour que lui profitent ses bonnes œuvres.
Philippe, commençant sous l’égide dû Moi qui vient de se révéler à lui une vie nouvelle, ayant du reste abdiqué toutes vérités qui ne sortent pas de son fonds propre, se trouve dans une disposition éminemment favorable au développement de sa sensibilité. Il est en état de grâce.
IIe Partie. — L’Église militante. — Ici commence la série des mécaniques morales : examens, de conscience, méditations etc. qui sont le sujet du volume.
Mais, nous l’avons dit, pour bien connaître son âme, il faut se rendre compte qu’elle n’est qu’un instant dans l’existence d’une race et que, de celle-ci, elle résume les tendances. Philippe est Lorrain; pour obtenir la formule de ses propres instincts, il analysera l’histoire de la Lorraine [1].
IIIe Partie. — L’Église triomphante. — Les luttes sont terminées. Philippe se connaît. Il est en pleine possession de soi-même. Mais savoir ce qu’est notre Moi ne nous suffit pas : chacun de nous doit accroître, perfectionner son Moi dans le sens de sa destinée propre, selon sa vérité individuelle, pour approcher de son idéal. C’est à Venise et par l’enseignement des chefs-d’œuvre du Vinci que Philippe parvient à cette seconde période de sa culture. Il se reconnaît tout saturé d’éléments étrangers philosophies disparates, tendances qui se heurtent, influences qui se contrarient. Loin de se désoler d’une telle invasion, il s’en félicite car il possède une clairvoyance qui lui permettra de coordonner, de synthétiser ces choses diverses et contradictoires : ces alluvions loin d’ensevelir, de bloquer son âme vont la vivifier, la fertiliser. Grâce à la conscience qu’il possède de lui-même, ce chaos va devenir une harmonie, son Moi sera infiniment riche et puissant de tous ces apports hétérogènes.
Et voilà en quoi devra consister sa vie : ouvrir son âme toute grande pour y recueillir ‟les forces inépuisables de l’humanité, de la vie universelle.”
Il me souvient que Paul Bourget, dans la préface de son beau roman Le Disciple, parlant de Un homme libre, le qualifie de ‟chef d’œuvre d’ironie”. Je demande pardon à un maître que j’aime beaucoup de le contredire ; mais son appréciation me paraît inexacte. Un homme libre comme je le comprends est un livre passionné, grave, douloureux, — ironique seulement dans la mesure où on le dit des œuvres de Henri Heine, où domine un accent strident de vérité.
Quant au mot ‟chef-d’œuvre” nous sommes d’accord pour le maintenir. » ■
[1]Quand on aura décidé de ne plus s’attarder à de vaines considérations politiques, ces admirables pages d’études lorraines deviendront classiques.
Nombre de pages : 176.
Prix : 23 € (frais de port inclus).
Commander ou se renseigner à l’adresse ci-après : B2M, Belle-de-Mai éditions – commande.b2m_edition@laposte.net