Par Henri GUAINO*.
Commentaire – Le fond de cet article paru le 17 avril dans Causeur, c’est de rappeler le besoin d’assentiment populaire pour gouverner les Français, fût-ce en respectant les règles et mécanismes institutionnels. Sur la durée, le besoin d’assentiment transcende ces règles. Et les monarchies comme les Républiques ne peuvent s’en passer longtemps. La nôtre, notre république, ne dispose plus de cet assentiment depuis, à tout le moins, plusieurs décennies, pas plus que de l’autorité qui en découle, autre besoin, paradoxalement tout aussi nécessaire, dont les Français obscurément éprouvent aussi le manque. (Cf. Le Coup de poing de Péroncel-Hugoz). Et le rejet de la réforme des retraites, pour de bons ou d’ailleurs, aussi, pour de mauvais motifs, se fonde en réalité sur ce divorce « existentiel » entre le Régime en place, dont ils pensent et constatent qu’il les trahit à de nombreux titres, et les Français qui ne le reconnaissent plus légitime. Cette légitimité perdue, Emmanuel Macron tente de la reconstruire. Mais sur des paroles, des postures, une pédagogie quasi pathétique. Sur de la « communication » de communicants. Ce sont les actes, les services rendus, l’adéquation à l’identité profonde d’un peuple qui fondent la légitimité. Les Français en cherchent confusément une autre, véridique. Macron ne l’incarnera pas.
En bon gaulliste « canal historique », Henri Guaino rappelle qu’on ne peut gouverner sans le consentement du peuple. Même s’il est difficile à définir, même s’il n’a pas toujours raison, le peuple doit toujours avoir le dernier mot. L’ancien conseiller spécial du président Sarkozy ajoute qu’il n’y a pas pire gouvernant que celui qui fait passer son orgueil personnel avant l’intérêt du pays.
« Il n’y a rien de pire pour la politique que d’en faire une question d’orgueil personnel »
On ne gouverne pas contre le peuple. Ce n’est pas la première fois que l’on essaie. Cela ne marche jamais. Et ça peut même mal finir. Mais c’est tellement tentant. Le peuple, ce n’est pas accommodant, c’est imprévisible, c’est inconstant, ça ne fait pas toujours ce que l’on veut, tantôt ça veut aller à gauche, tantôt ça veut aller à droite, tantôt ça ne veut aller nulle part, ça veut se mêler de tout, c’est rempli de contradictions, ça s’emporte pour un rien, ça se cabre, ça rue dans les brancards et ça empêche de gouverner tranquillement, surtout un peuple comme le nôtre, comment dit-on déjà ? Ah oui, un peuple de Gaulois réfractaires. Comme si les autres peuples étaient tellement plus faciles à gouverner. Un regard sur leur histoire suffirait à se convaincre que ce n’est pas vraiment le cas. Encore faudrait-il que ceux qui nous gouvernent pensent que l’histoire peut leur apprendre quelque chose au moins sur la nature humaine et ce qu’elle nous réserve, qui ne change pas beaucoup à travers les âges, ni d’un pays à l’autre.
Le peuple n’a pas toujours raison, mais il a toujours le dernier mot
Bon, c’est vrai que, de nos jours, le peuple n’est pas très à la mode. Populaire, ce n’est pas très flatteur, ça a un petit parfum de laisser-aller et de vulgarité. Il fut un temps où être un parti populaire, c’était valorisant, comme quand Malraux déclarait avec fierté que le RPF du Général de Gaulle c’était le métro à six heures du soir. De nos jours, quand on entend ça, on se pince un peu le nez : un parti digne de gouverner, c’est un parti de notables. C’est pourquoi le Parti socialiste a fini par devenir ce qu’il est devenu et qu’on a liquidé le RPR pour faire l’UMP et ce qu’il en reste. Populiste, c’est encore plus mal vu que populaire. C’est carrément synonyme de démagogie. Pas digne de gouverner. D’un côté, il y a les instruits, les raisonnables, les responsables et, de l’autre, les incultes, les irresponsables. Il m’arrive pourtant de penser que les irresponsables sont dans les palais nationaux et que les plus responsables, les plus lucides sont dans la rue. Mais comme le peuple est là de toutes les façons, il faut bien faire avec. Ah, si au moins il ne votait pas, ce serait quand même mieux, on se répartirait les postes entre soi dans le cercle de la raison. Finalement, le suffrage censitaire, ce n’était pas si mal. On pourrait même ajouter un critère de diplôme. Évidemment, quand on voit comment certains surdiplômés pensent et agissent quand ils sont au pouvoir, on hésite quand même un peu à souhaiter cette République platonicienne gouvernée par les plus intelligents. Quand on voit comment ils comptent, ce qu’ils font avec des chiffres dont ils finissent par avouer qu’ils ne savent même pas d’où ils sortent, quand on constate le mal qu’ils ont à calculer à combien de retraités leur réforme donnera une pension minimum de 1 200 euros, on en arrive à la conclusion que, non, le critère des diplômes n’est pas une bonne idée. Et si encore, ils ne faisaient que des erreurs de calcul. Mais il y a aussi l’hubris, cet orgueil démesuré qui est le ressort des tragédies d’Eschyle et de Sophocle et qui fait commettre bien des erreurs de jugement aux conséquences beaucoup plus lourdes que celles des erreurs de calcul. Et la pire des erreurs de jugement, c’est de croire que l’on peut se passer du peuple pour gouverner, voire que l’on peut gouverner contre lui parce que l’on croit savoir mieux que lui ce qu’il faut faire. Il est vrai que le peuple n’a pas toujours raison. Mais voilà, qu’il ait tort ou raison, il a toujours le dernier mot.
À ce point de la discussion, il y a toujours quelqu’un qui se croit plus malin que les autres en faisant remarquer que le peuple, c’est un bien grand mot mais qu’à part la majorité qui sort des urnes, on ne sait pas très bien ce que ce mot désigne. On sait compter les bulletins de vote, mais on ne sait pas décrire le peuple qui reste une idée abstraite indéfinie, un concept sans portée opérationnelle, une image qui relève de l’imaginaire romantique. Ce n’est pas faux, mais s’en tenir là, c’est rester à la surface des choses et se condamner à commettre bien des erreurs qui conduiront à des drames. C’est exactement ce qu’exprime une phrase du genre de celle qu’a prononcée le président de la République à propos des manifestations contre la réforme des retraites : « La foule n’a pas de légitimité face aux élus. » Comme si la foule des manifestants qui protestent n’avait rien à dire sur les lois qui les concernent et sur la façon dont ceux qui s’expriment en son nom exercent leur mandat. Le seul résultat d’une telle phrase est de rendre la foule furieuse et de contribuer non à la déligitimation de la foule, qui n’a besoin d’aucune légitimité pour prendre la parole, mais à la déligitimation des institutions aux yeux au moins d’une partie de ceux qui sont la source de toute légitimité politique.
Au bord de la rupture
Parce qu’on peut le nommer mais non le définir concrètement, le peuple n’existerait donc pas. Mais si le peuple n’existe pas, la nation n’existe pas, la cité n’existe pas, la politique n’existe pas, la démocratie n’existe pas. Au demeurant, nous vivons avec beaucoup de mots qui désignent des choses que nous avons bien du mal à définir, mais dont nous avons tous l’intuition, telles que le Temps, la Beauté, la Justice, l’Amour, la Légitimité, l’Autorité ou encore l’État ou la Nation. Qu’est-ce que le peuple ? C’est une population qui a conscience d’être un peuple, qui se sent soudée par un ciment invisible, un sentiment d’appartenance, le sentiment de partager une destinée commune, qui est plus fort que tout ce qui peut la diviser. Quand ce qui la divise est plus fort que ce qui l’unit vient la guerre civile, la guerre de sécession. Un peuple peut la surmonter, comme le peuple américain après la guerre de Sécession, ou pas et se disloquer comme le peuple yougoslave. C’est le temps long qui fait les peuples et leur imaginaire commun. Comme le disait Braudel à propos des civilisations qui sont des personnages de l’histoire qui durent très longtemps, les peuples aussi sont des personnages de l’histoire, des êtres collectifs qui durent très longtemps. Et pour gouverner, il faut compter avec eux, il faut les respecter, les amadouer, les séduire, les convaincre, et les aimer. C’est l’essence même de l’art de gouverner. Même une tyrannie, si elle veut exercer son pouvoir absolu et durer, a besoin de convaincre son peuple, par l’endoctrinement, par la propagande, en flattant les instincts, en désignant des boucs émissaires, mais elle a besoin de convaincre, quels que soient les moyens qu’elle emploie parce que même le gouvernement par la terreur a ses limites, parce qu’il n’est possible de se faire obéir par la terreur que jusqu’à un certain point. Gouverner n’exige pas forcément l’adhésion, ni le consensus, ni l’unanimité mais exige au moins le consentement de presque tous. La nécessité du consentement, c’est bien ce qui semble oublié à l’heure actuelle. Dès lors, peut-on prendre quand même des décisions impopulaires parce qu’on les juge nécessaires pour le bien du pays ? La réponse est oui mais, encore et toujours, jusqu’à un certain point. Un point qu’il faut découvrir à chaque fois, dans chaque circonstance, pour chaque projet, surtout dans une société fracturée, au bord de la rupture. Encore faut-il se poser la question, encore faut-il être conscient que, pour gouverner, il faut se fixer à soi-même des limites qui ne sont inscrites nulle part. Il n’y a pas de livres de recettes de l’art de gouverner ou de commander. La guerre des Gaules n’est pas un livre de recettes. Le Mémorial de Sainte-Hélène et les Mémoires de guerre ou les Mémoires d’espoir non plus : ce sont des expériences exemplaires, des histoires dont chacun peut tirer pour lui-même des leçons de politique ou de commandement. Le Prince de Machiavel n’est pas autre chose qu’une réflexion, à partir d’une expérience, sur la nature de la politique et sur la nécessité de la conduire à partir de ce que de Gaulle appelait « les réalités ».
Machiavel met le peuple au centre de ces réalités qui s’imposent à la politique. C’est dire que s’il faut beaucoup d’orgueil pour se penser capable de gouverner les autres, il faut au moins autant d’humilité pour écouter, entendre et répondre au peuple qui gronde, et autant de courage pour ne pas tenter de le violer et pour reculer quand le refus est trop fort, parce que seuls les faibles font passer leur amour-propre avant l’amour de leur pays et seuls les tyrans font la guerre à leur peuple. C’est le choix gaullien, le seul au fond qui permet de sortir du genre d’impasse où la France s’enferme aujourd’hui.
“Ne rien céder”, un aveu de faiblesse
C’est prendre un grand risque pour soi-même et pour les institutions que de faire de l’exercice du pouvoir une question personnelle et de dissoudre la fonction dans son moi au lieu de dissoudre son moi dans la fonction. Pour celui qui est censé incarner la souveraineté, ne jamais céder parce qu’il ne veut pas perdre la face, c’est manquer à ses devoirs et prendre le risque de tout perdre. Quand la résistance populaire est trop forte, et la démocratie représentative trop contestée, il n’y a que deux issues raisonnables : se retirer ou s’en remettre au référendum pour trancher. À charge pour le pouvoir de poser ou non par le référendum la question de confiance au peuple, comme le faisait le général de Gaulle lorsqu’il considérait que l’essentiel, à ses yeux, était en jeu ou que sa légitimité était en cause. Mais, à tout dramatiser, pour justifier son intransigeance, le gouvernement se condamne à une remise en jeu permanente de sa légitimité qui, si elle ne peut pas passer par les urnes ou par la protestation pacifique, finira par se frayer un autre chemin par la violence. Sous-estimer le risque, pour n’importe quelle société, de basculer dans l’engrenage de la violence, revient à méconnaître la nature du peuple et la nature humaine avec lesquelles, partout et toujours, la politique doit composer. C’est la raison pour laquelle tout pouvoir qui parie sur l’usure d’un mouvement social de grande ampleur et déterminé en usant les forces de l’ordre et l’autorité de l’État, qui mise sur la stratégie de la tension pour rallier autour de lui le parti de l’ordre face à la montée du désordre, joue dangereusement avec le feu.
Il n’y a rien de pire pour la politique qui a pour premier devoir de garantir la paix civile que de devenir une question d’orgueil face à cette réalité qui s’appelle le peuple et qui, répétons-le, n’a pas toujours raison, mais a toujours le dernier mot. Et ce dernier mot, c’est celui de la souveraineté, ce pouvoir inaliénable de dire « non », d’opposer un refus obstiné qui peut transformer le peuple en foule et la foule en meute dévorant tout sur son passage. ■
Louis XVI aidait l’Amérique à naître au prix d’un déficit qui a entraîné la révolution Française. Napoléon s’est imposé très durement au Mexicains. Le peuple de France d’aujourd’hui ressemble à ces malheureux Mexicains que bouscule les cow boys dans les films d’Holiwood. Nous sommes des brebis soumises à l’aristocratie aidé par les médias à solde, on attend quoi?
Une fausse note : le « peuple yougoslave »; en fait les Serbes, les Croates, les Bosniaques qui se détestaient d’autant que Tito, pourtant d’origine croate, ne se lassait pas d’injurier et maltraiter les Croates, qualifiés d’ « Oustachis ».
Avant la dislocation, Tito près de la fin, la volonté d’ en découdre était dans les esprits (aux dires d’un guide de tourisme, d’origine belgo-congolaise, installé et marié à une Croate et qui avait participé avec entrain au combat contre les Serbes .
Pour ce qui est des « yougo » installés en France depuis des décennies (et vraisemblablement de nationalité française par mariage) même « son de cloche », si l’on peut dire : dés les indépendances établies , tel se proclamait Croate, telle autre slovène,telle, enfin, et qui était complimentée pour son teint attribué -à tort-« au beau soleil de la Bosnie » rectifiait « je suis Serbe ».
Ii n’y a rien de pire en politique que d’en faire une question d’orgueil…. certes ! C’est ce
que DeGaulle a fait plus que quiconque …..
Henri GUAINO oublie une seule chose et déterminante, c’est que la seule institution permettant de gouverner selon ses vœux est la Monarchie Royale.
Encore un effort, Monsieur Guaino ! Venez nous voir rue Croix-des-Petits-Champs et, convaincu de la justesse de nos analyses, vous aiderez véritablement au renouveau français que vous appelez de vos vœux, mais irréalisable en république.
Bernard Bonnaves a évidemment raison.
Sa remarque, en effet déterminante, s’applique d’ailleurs au premier chef à tous les candidats à l’élection présidentielle et à ceux qui voient dans la victoire de tel(le) ou tel(le), une solution durable et bonne pour le Pays. Nous savons que c’est faux.
Nous avons connu nombre d’hommes politiques qui le savaient fort bien, certains, d’ailleurs, étant passé par les rangs de L’Action Française, dans leur jeunesse, où le souci de « faire carrière » ne les habitait pas encore…
Rien ne sert de se brouiller avec ces hommes-là, qui ont pris part à l’action politique de court-terme, faute de mieux. Ils n’ont pas enrayé le déclin du Pays, ou dans d’infimes proportions, mais ils pourraient être utiles dans des circonstances de crise grave, profonde, terrible, où la nécessité de restaurer ou ré-instaurer un ordre royal français, immédiatement, ou après une période transitoire plus ou moins longue, selon le cas, se ferait sentir intensément.
De telles circonstances ont créé l’invraisemblable 1er empire. Il n’est pas utopique de penser que, bien sûr sous d’autres formes, elles pourraient se reproduire. En faveur d’un ordre dynastique royal, cette fois-ci.
C’est tout à fait ça. Personne d’entre nous ne peut penser qu’un « coup de force » royaliste est possible, ni que, de façon spontanée, un soulèvement national ira chercher le Prince Jean.
Que nous reste-t-il à penser ? Que, à la suite d’un long processus complexe, les planètes puissent s’aligner et que, sans le dire trop vite, nous revenions à la dévolution héréditaire du Pouvoir.
Dans cet esprit, la moindre inclination d’un esprit qui compte – c’est bien le cas d’Henri Guaino – est une bonne nouvelle. Il nous reste à ne pas être niais, passéistes et ridicules : l’affaire Dreyfus, le 6 février, le maréchal Pétain, l’Algérie « française » et tout le bataclan, c’est derrière nous.
Voyons devant, nom de Dieu !
Bien dit. Tout est possible pourvu que nous laissions de côté ces vieux combats de jadis qui n’intéressent que les historiens (à votre liste, j’ajouterai volontiers le rêve colonial en général ; comme disait récemment Bernard Lugan, ce temps est fini).
Et vive le Roi !
D’accord cher Pierre, mais un éclair de lucidité, qui a traversé Tayllerand en 1814 et avant, et même Fouché en 1815?
D’accord aussi. Mais ces éclairs de lucidité ne produisent leurs effets dans l’ordre des réalités que sous le coup des désastres et des effondrements. En temps ordinaire, la lucidité est velléitaire et elle n’est pas contagieuse. Elle se heurte même au scepticisme des réalistes et des rationnels. Après les désastres et les effondrements, tous les possibles ont leurs chances, heureux si la lucidité est en position d’influence, malheureux sinon.