Par François Marcilhac.
La décision du Conseil constitutionnel relative à la réforme des retraites est une mascarade. Disant cela, nous ne faisons que pointer le caractère propre d’une institution du pays légal qui n’a pas été conçue, du reste, pour légiférer à la place du législateur : en ce sens le passage à 64 ans de l’âge de départ à la retraite n’est directement ni constitutionnel ni anticonstitutionnel.
Il est vrai, toutefois, que le Conseil ne s’en souvient le plus souvent que lorsqu’il s’agit de complaire à l’exécutif et à ceux dont les membres tirent non pas leur légitimité (la question de la légitimité du Conseil constitutionnel est d’un autre ordre) mais leur nomination. Les « sages » sont en effet nommés, trois chacun, respectivement par le président de la République, le président du Sénat et celui de l’Assemblée nationale : autant dire que le Conseil constitutionnel n’est qu’une émanation du pays légal et, s’agissant du pays légal actuel, de son consensus idéologique. En effet, qu’il s’agisse de François Hollande (PS) et d’Emmanuel Macron (son ancien conseiller…passé du PS à soi-même), de Gérard Larcher et… de Gérard Larcher (l’inamovible président LR du Sénat) ou de Claude Bartolone (PS) et de Richard Ferrand (PS passé à Macron), c’est à une touchante et émouvante conformité européiste et néolibérale que nous avons affaire, s’agissant de la nomination des neuf « sages » actuels et que ceux-ci partagent d’autant plus qu’ils se considèrent, eux aussi, comme soumis à des autorités supranationales, qu’il s’agisse du Conseil de l’Europe ou de la Commission européenne. Ce qui n’est pas sans incidence dans les décisions qu’ils prennent. Il en est ainsi, par exemple, de celle visant, en 2018, à favoriser l’invasion migratoire avec la constitutionalisation du principe de fraternité pour justifier et …légaliser l’aide humanitaire au migrants…illégaux, décision tout à fait conforme à l’idéologie laxiste du Conseil de l’Europe en la matière. Ou qu’il s’agisse, ce qui nous intéresse plus précisément ici, de la réforme des retraites : on sait que Macron, en la matière, ne fait qu’exécuter les ordres donnés par Bruxelles et Berlin.
Tout ça pour ça ! La tragicomédie aura duré plusieurs semaines, alors que les « sages » n’ont fait que suivre ce qui se disait dans la presse depuis le début (et qu’ils inspiraient peut-être eux-mêmes). Ils n’ont en effet censuré comme « cavaliers législatifs » que des mesures cosmétiques annoncées comme probablement anticonstitutionnelles dès le départ ou dès leur adoption : pensons à l’index sénior (voulu par le gouvernement et aménagé par la droite sénatoriale) ou au CDI sénior (voulu par la droite sénatoriale et accepté dans le texte définitif par le gouvernement, comme preuve d’ouverture). Rien de tel que d’insérer ou de laisser insérer dans un texte des dispositions clairement anticonstitutionnelles, du moins dans leur forme, pour justifier la mascarade de l’indépendance des décisions d’un Conseil constitutionnel qui-n’aura-pas-tout-validé. Une forme, en revanche, dont ledit Conseil ne s’est guère soucié s’agissant d’un chamboulement du droit à la retraite via un simple projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale… Sans compter le recours à tous les subterfuges constitutionnels possibles et imaginables. Comme quoi, en effet, la légalité d’une mesure ou, plus exactement, de son adoption n’épuise pas sa légitimité. Mais parler d’indépendance ou de non-indépendance a-t-il encore un sens quand l’osmose est complète ? Et que le Conseil peut être considéré comme Un EPHAD doré de politiciens continuant de servir avec zèle le pays légal ? On remarquera que le plus jeune « sage », en l’occurrence une femme, a 64 ans…
C’est la raison pour laquelle nos princes, dans leur projet, refusaient de valider à l’avance l’autojustification par le pays légal de ses propres turpitudes — un pays légal qu’ils voulaient indépendant de l’oligarchie et ramener à sa fonction première et seule légitime : prévoir et garantir de manière concrète les conditions du bien commun. Ainsi, Philippe VII, le petit-fils de Louis-Philippe, en 1887, dans son projet de constitution visant à fonder un nouveau « Pacte national », organise un véritable contrôle de la constitutionnalité des lois sous la forme d’un organe juridictionnel spécifique, composé des plus hauts magistrats de l’ordre judiciaire, renouvelé pour partie par rotation biennale. Ce mode de recrutement, indépendant des pouvoirs politiques, vise à garantir l’indépendance fonctionnelle de cette haute juridiction. On est loin de cette indépendance, sous la Ve République, dans la désignation des membres du Conseil constitutionnel, qui est, comme on l’a vu, à la main des politiques. Le Pacte consacre également le caractère supra-législatif des grandes libertés publiques de conscience, des cultes, de la presse, de réunion et d’association, d’enseignement et de défense judiciaire — Henri V avait, dès 1856, déjà qualifié certaines d’entre elles d’« inviolables et sacrées ». C’était en fait inscrire dans le marbre d’un véritable bloc de constitutionnalité, non idéologique, la garantie qu’elles ne puissent jamais être remises en cause. Philippe VII va même, dans des notes, jusqu’à évoquer la possibilité de faire valider par les électeurs les décisions du Congrès, réunissant Sénat et Chambre des députés — ou le référendum avant l’heure, plus que le plébiscite, qui n’a aucun sens en monarchie… Une possibilité de référendum que, s’agissant des retraites, notre Conseil constitutionnel a pris bien soin de refuser et refusera de nouveau, n’en doutons pas, début mai…
Oui, la réforme des retraites nous ramène encore et toujours à la question primordiale, qui est institutionnelle. Des métiers qui s’organisent en matière sociale, donc sur la question des retraites, un Roi arbitre et une juridiction suprême véritablement indépendante, nationale et non idéologique, qui veille à la conformité des dispositions législatives aux lois fondamentales du Royaume : tel est le chemin qu’il s’agit de promouvoir pour plus de justice et d’équité ! Politique d’abord. ■