Par Pierre Builly.
Le fond de l’air est rouge de Chris Marker (1977).
Toqué !
Chris Marker est l’auteur d’un des films les plus emmerdants et les plus surfaits de l’histoire du cinéma, La jetée où, en images fixes et sur un mode grandiloquent, il présente un futur improbable et anxiogène qui a, paraît-il, inspiré une autre ânerie imbittable, L’armée des 12 singes, appréciée d’adolescents qui ont cru voir là une œuvre philosophique à la mesure de Platon.
Mais Chris Marker est aussi un de ces cinéastes chéris du Nouvel Observateur, des Inrockuptibles et de Télérama qui parviennent toujours à financer, fût-ce avec quelques bouts de ficelle, des brûlots anticapitalistes qui énervent les sens de guérilleros en peau de lapin et plongent dans une extase orgasmique des tas d’exaltés qui imaginent que la Révolution, qu’elle ait lieu à Hanoï, à Luanda, à La Havane, à Phnom-Penh, à Santiago ou à Alger, est beaucoup plus intéressante lorsqu’on la regarde confortablement assis à la terrasse des Deux magots.
Comment se fait-il que la médiocrité de ce type ait trouvé – et trouve encore – des financements pour filmer les petits blocs de haine gauchiste qu’il pond périodiquement ? Quatre cents spectateurs au fond d’une salle obscure du Quartier latin, ou une programmation nocturne sur Arte, dans une activité artistique aussi onéreuse que le cinéma, ça permet de vivre et de recommencer ad libitum de repasser sur la pellicule des nostalgies désespérées ?
Cela étant, j’ai pris un vif plaisir à regarder les deux DVD de cette édition presque luxueuse (emboîtage et livret) de toutes les coquecigrues possibles et imaginables d’une mythologie qui fait aujourd’hui moins florès, où elle est remplacée par les billevesées écologistes ; Rhodiaceta, Lip, l’autogestion, le syndicalisme, tout ça rend un son délicieusement désuet, et on ne peut que regarder avec une commisération pleine de sympathie tous ces jeunes gens niais qui, l’œil plein d’éclairs et les mèches en bataille, expliquent Cuba, la Chine, le Socialisme, la lutte des Campesinos, le refus des compromissions avec la Démocratie bourgeoise et tout le bataclan. On retrouve des têtes-slogans connues, Ulrike Meinhof, Jan Pallach, Gilles Tautin, Pierre Overney….
Précisément, qui se souvient de ces noms-là ? Si je me suis bien amusé à regarder Le fond de l’air est rouge et les autres films de cette édition, c’est parce que, par mon âge et mes centres d’intérêt de l’époque, j’ai vécu intensément ces instants de révolte vaine, j’ai vu ces images en direct, j’ai entendu ces discours…. Mais, alors que Chris Marker est au degré zéro de l’écriture cinématographique, et se contente de coudre ensemble un patchwork de séquences brûlantes et naïves, qui peut bien trouver de l’agrément à ce fatras, qui ne l’a pas connu dans son jus ?…
Les films de fiction, comme celui de Romain Goupil, qui s’appelle Mourir à 30 ans (https://www.jesuisfrancais.blog/2019/11/03/patrimoine-cinematographique-•-mourir-a-trente-ans/) ou les coups de projecteur donnés sur un épisode de luttes (Coup pour coup, de Marin Karmitz) sont bien davantage éclairants…
Mais ce qui démonte le plus les sanglants enfantillages devant qui bée Chris Marker, c’est tout de même La terrasse, d’Ettore Scola. (https://www.jesuisfrancais.blog/2019/08/11/patrimoine-cinematographique-•/) ; au moins là, le désenchantement n’est pas pris au sérieux. Enfin ! ■
DVD autour de 15€.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
Quelque ferme que je sois contre toute espèce de gauchisterie, voilà que je vais ici m’entremettre pour quelque chose dont on pourrait croire qu’elle en ressortit… Ce sera un peu long, alors, si ce l’était trop, que l’on coupe là-dedans sans états d’âme.
Comme Pierre Builly, j’ai vécu l’époque à laquelle il fait allusion, mais j’étais plus jeune (13-14 ans en mai-68) ; néanmoins j’y participais très activement, encore imbibé d’éducation de gauche… Néanmoins, je bataillais rudement contre monsieur mon vieux père, membre du PCF… Bref, j’étais dans les rues (quelquefois, aux côtés de quelques gens d’AF, du reste, et soit dit en passant)… Or, à peine un an après les «événements», du haut de mes 14 ans, j’ai vu «La Jetée» de Chris Marker… Loin de m’ennuyer, je fus fasciné et je pourrais en parler un peu plus. Bien des décennies plus tard, je tombe par hasard sur «L’Armée des douze singes»… Il s’est alors produit un phénomène tout à fait saisissant : progressivement, une espèce de «pressentiment» s’est mentalement condensé et, surtout, je me suis mis à comprendre quelque chose dont je saisissais que je n’y avais jusque-là rien compris, mais sans aucune notion de quoi ou qu’est-ce, jusqu’à ce que l’image essentielle sur la jetée d’aéroport me fasse «réaliser», au sens strict du terme, de quoi il s’agissait… Pierre Builly balaie d’un revers de mains «un futur improbable et anxiogène» qu’il donne pour sensiblement déliré ; nous le vivons cependant plus exactement qu’il n’y pouvait alors paraître. Et puis Pierre Builly nous parle de Romain Goupil… Pour ce qui me concerne, je me dis : “Allons bon.”
L’amusant tient à ce que, vers 18-20 ans, j’ai très bien connu et fréquenté, un certain Jacques Branchu, acteur et collaborateur de Chris Marker pour «La Jetée», d’un côté, et, de l’autre, vers 14-15 ans, mieux connu encore Romain Goupil et, par-dessus le amrché, vers 18-20 ans, le cinéaste Jacques Baratier. Or, ces trois-là s’organisent ici autour de ce que nous dit Pierre Builly…
Ayant dit deux mots de «La Jetée», venons-en au «Mourir à 30 ans» du vilain Goupil… Pour le coup, là, ennui majeur ! Incompétence professionnelle consternante, montage cinéma d’un amateurisme consternant, et tout le saint frusquin ; avec cela, plus ou moins cérébralement plagié de «Le Désordre à vingt ans» de Jacques Baratier et, surtout, infantilement égocentrique… Sa façon de présenter son rôle en 68-69 au lycée Voltaire m’a sidéré puisque, en vérité, pour commencer, ce n’est pas lui qui fut viré du lycée, mais moi – qui ne bénéficiais pas de parents influents comme les siens – ; le fut-il ensuite, je ne le sais. Or, disons-le, au passage, je dois à Romain Goupil de m’être échappé de la nasse gauchiste, tellement lui et ses petits copains trotskystes ont fait assaut de violence contre moi (alors, candide «mao-spontex»), pour m’empêcher de dire leur fait à quelques-uns lors d’un débat dans la salle des fêtes du lycée, m’opposant la menace physique : «David, maintenant tu te tais, ou bien nous allons te faire taire.» À quoi j’ai répondu, vexé et un peu enfantin : «Je viens de devenir anarchiste.» L’année suivante, je passais au «Conseillisme» (alors version annexe du situationnisme – pour l’anecdote, j’appartenais à un groupe «violent», dans lequel nous étions 4, en tout et pour tout) puis, une autre année passe, et je me réveille enfin royaliste. Je remercie donc le Goupil (pas «Mains-rouges» pour un sous mais saoul de lui-même sans jamais rougir), je dois le remercier, car c’est à lui que je dois l’élan régénérateur…
Bon, j’ai été bien long, pour ne pas dire grand-chose, mais la conjonction des noms a réveillé de vieux souvenirs et remis en selle mon singulier intérêt pour «La Jetée» et cette espèce de conclusion, qui est fascinante, pour qui aura vu «L’Armée des douze singes» dans les mêmes conditions que moi. Je ne me prononcerai pas sur la réelle qualité de ce dernier film ; il vaut essentiellmeent par son rapport avec le prédécesseur et, peut-être, seulement, pour peu que les conditions que j’ai dites pour moi soient réunies. En revanche, je tiens à insister sur le fait que «La Jetée» a été fascinante par elle-même, non en tant que produit de science-fiction mais en qualité de quelque chose d’autre, bien plus subtil que le strict mode narratif… Or, ayant évolué un peu autour de ce Jacques Branchu qui y fut actif, je peux affirmer qu’il y avait bel et bien un dessein de nature intellectuelle, au plus haut sens du terme, dans cette étrange production… D’ailleurs, Chris Marker a bien pris essor depuis un catholicisme philosophico-artistique, tout comme des catholiques de l’Est appartinrent au groupe créateur de l’Internationale situationniste… Certes, les versions lettristo-surréalistico-marxo-libertaires l’ont emporté, d’un côté, et, de l’autre le plus retors communisme surbversif ; il n’en reste pas moins que ces diables ont porté pierre… Entre parenthèses, le groupe dit de La Vieille Taupe et ce à quoi cela a pu donner cours en la matière des Rouges-Bruns et qui fit un tantinet florès jusqu’à aujourd’hui, procède de ce courant «Conseilliste» et des multiples avatars qu’il a connu et connaît peut-être encore…
David, écris une autobiographie ; tu es un sujet passionnant pour comprendre l’époque que nous avons traversé. En particulier, je voudrais savoir pourquoi la plupart des militants révolutionnaires ont fini dans le libéralisme ou la social-démocratie et pas toi (et quelques autres heureusement)…
Cher Michel, je dirais des «militants révolutionnaires» que tu vises qu’ils ont TOUS fini dans le libéralisme… Quant à moi, je n’y ai pas atterri, tout simplement parce que je N’étais PAS un militant révolutionnaire, seulement, du fait de mon éducation, il m’a fallu un moment pour en prendre conscience… Au lycée de Saint-Cloud, en 67-68, dans les rangs des Comités Vietnam de Base maoïstes, je rompais des lances avec l’AF à la sortie de midi et, une heure après, je buvais des coups avec ces gens d’AF et parlais avec eux d’abondance. Je me rappelle un épisode significatif : un beau jour, je me retrouve seul au milieu des lycéens d’AF cornaqués par Bernard Lugan, Le Forceney et consorts… Je suis un peu malmené un moment, mais très gentiment, lorsque, coupant court, le «responsable» lycéen dit à Lugan : « Tu sais, Bernard, ce petit-là, si on lui fait lire Maurras, demain, il entre à l’AF.» …
Il y avait quelques pékins parmi nous qui n’étaient en rien des militants révolutionnaires, tout au contraire… D’ailleurs, quelques-uns ont pu suivre sensiblement le même chemin que moi, passage par le situationnisme compris, notamment par l’intermédiaire d’un mouvement que je définirais comme «mao-situ», qui eut nom, successivement, «Vive le communisme» puis «Vive la révolution» et dont l’organe de presse avait pour titre «Tout», selon le mot d’ordre : «Ce que nous voulons ? – TOUT !» Il comprenait moult de crétins, néanmoins, à commencer par le toujours crétin actif Gérard Miller et le bienheureusement défunt Roland Castro… Cependant, il existait un gaillard là-dedans, que j’aimais beaucoup, Didier Truchot, spécialement intelligent, spécialement batailleur (karatéka très émérite et redouté), spécialement courageux et très élégant, et ce gaillard en est arrivé (ai-je appris par hasard récemment) à se trouver à la tête d’une des plus grandes fortunes de France (!!!!?????)…… J’aimerais extrêmement pouvoir le prendre entre quat’z’yeux pour qu’il me relate son cheminement.
Souvenirs, chers souvenirs ! Contemporain de P. Builly, j’adhère à ses propos; ses flèches, notamment, à ce méchant Goupil dont, contre toute raison, on voit encore la trogne à la télé. Il n’ont donc rien de mieux à présenter ? Ah ! j’oubliais le caméléon populacier Cohn-Bendit. Reliques, remugles, restes moisis d’une époque de déraison. Dans cinquante ans, nos enfants seront-ils ainsi exposés aux élucubrations de Macron le faux-parleur et des ses complices ?
Coïncidence des thèmes, sinon des dates : on oublie trop généralement l’importance de la guerre des États-Unis au Viet-Nam dans l’émergence de Mai 1968. Absolument imperméable aux élucubrations gauchistes, je me souviens d’avoir été plus que sensible aux horreurs de ces bombardements et à l’écho des protestations aux U.S.A. Je continue de m’interroger sur les omissions ou l’aveuglement de nos radoteurs médiatiques à ce sujet. Leurs propos (je n’ai vu aucun des films ci-évoqués) ne m’en paraissent que plus dérisoires, voire méprisables.
@David Gattegno : Pour rester un peu davantage sur le plan du cinéma, j’admets volontiers que mon jugement sur « La jetée » est abrupt, injuste et certainement erroné. J’ai lu sous la plume de beaucoup de bons esprits – dont le vôtre – que le film peut fasciner. Étais-je, lorsque je l’ai vu, de si mauvaise humeur que ça ? C’est possible ; il me faut donc quelque jour, lui redonner une chance.
Je sais que « L’armée des douze singes » est une adaptation longue et libre de « La jetée », mais je n’ai pas vu le film de Terry Gilliam, sans doute pour les mauvaises raisons énoncées plus haut.
En revanche, je persiste à beaucoup apprécier « Mourir à trente ans » que vous avez, semble-t-il, des raisons personnelles de ne pas aimer. Je ne connais de Jacques Baratier que « Goha », « La poupée » – l’un et l’autre épouvantables à mes yeux – et le très inégal « Dragées au poivre », dont certaines séquences sont extraordinaires, d’autres très médiocres…
Cela étant, le gauchisme à l’écran occupe une riche place. Bien dommage que personne n’ait imaginé de tourner un film sur le lycée de Sint-Cloud. Le cher Lugan est un personnage de roman, Le Forsonney – qui vient de mourir – un autre… et aussi Schoulmann, d’autres dont le nom m’échappe.
Je n’ai pas vu tous ces films, mais je pense que le cinéma italien , à la même époque, ( 1970) était infiniment plus intéressant. Ce n’est pas hasard qu’ils sont les héritiers de la comédie Del Arte, et nous de qui en France ? . , D’abord ils savaient raconter une histoire, la creuser, mais aussi nous la faire partager, et rentrer dans un monde, le faire résonner : Rossellini, Visconti, Fellini, Antonioni, mais aussi Scola , sublime « nous nous sommes tant aimés », Risi, « Parfum de femme », et même Comencini avec ce très subtil » L’incompris » ( Même Vittorio de Sica ) . Et nous en France, à part Rohmer,(Pialat aussi, même si Pierre Schoendoerffer force le respect ) quel manque souvent de souffle, de sève, de profondeur, même si Truffaut, comme Clouzot se laissent voir, mais enfin c’est tout. Peut-être « la maison des Bories » . De Jacques Doniol-Valcroze et un dernier Renoir .Suis-je trop sévère ? Sûrement.
@Henri. Je suis bien d’accord avec toi sur l’exceptionnelle qualité du cinéma italien de l’époque ; mais dans ma chronique, consacrée à un film qui montre l’extrême-gauche militante, il n’était pas question de parler de la cinématographie de l’époque.
Je note toutefois que j’évoque « in fine » la délicieuse « Terrasse » d’Ettore Scola, qui enterre le gauchisme intellectuel italien. Mais il y aurait tant et tant à dire sur la « comédie italienne », Comencini, Monicelli, Risi…
Cher Pierre Builly, Pour Jacques Baratier, vous avez raison, avec un amendement toutefois : si me suis soigneusement abstenu d’aller jeter mes yeux sur les films que vous citez, je vous recommande cependant «La Décharge», ou «Ville Bidon», je ne sais plus lequel des deux titres a finalement été imposé par la production. J’ai vu ce film en projection privée, le montage n’étant pas tout à fait achevé… Je crois me rappeler que le tournage s’était déroulé sur le chantier même d’une «ville-nouvelle» (peut-être bien Créteil…), à partir de la destruction des «ce qu’il restait»… Certes, l’intention était idéologique, seulement, le traitement cinématographique en était quasiment «épique» (illustré par une fort réussie chanson de Claude Nougaro). Les acteurs étaient fort bien dirigés, notamment un Roland Dubillard «surréaliste» de réalisme, et cette observation paradoxale me semblait valoir pour l’ensemble du film. Un des deux seuls films dans lequel Bernadette Laffont fait preuve de talent (cela dit sans aucune animosité, car il s’agissait d’une dame très agréable) – l’autre étant «La Fiancée du pirate». Pourtant cette dimension que je qualifie d’«épique» aujourd’hui n’était nullement due à la volonté de Baratier, c’est pourquoi je commençais en disant que vous aviez raison, Pierre Builly. Ma dernière conversation avec Baratier a justement tenu à ce que je lui ai dit du haut de mes dix-huit ans, comme quoi, son film suivait un ordre résolument «tragique», par l’inscription de ses personnages dans un «destin» irrévocable, contre lequel ils opposaient «ce qu’ils pouvaient» avec la maigreur touchante d’un panache désespéré… À quoi, il m’avait rétorqué que, jamais, au grand jamais, il n’avait été dans son intention de donner à son film la connotation que j’y avais trouvée… J’insistais en mettant en avant certains plans dont il avait particulièrement soigné les images et pour lesquels les mouvements de caméra allaient tout à fait dans le sens que je défendais. La conservation s’acheva par une fin de non recevoir de sa part, fort choqué qu’il avait été par ce que j’avais osé voir là-dedans… J’étais un «frais converti» à la Réaction et au royalisme, d’ailleurs, seul à le savoir, n’en ayant encore parlé à personne autour de moi – sauf à ma femme d’alors, qui n’en revenait pas : ma déclaration avait été la suivante, subitement, levant mon nez du volume «Aurore» de Nietzsche (Gallimard, collections “Idées”) que j’étais en train de lire : «Chris, lui dis-je, je suis royaliste. Je l’ai toujours été, mais je ne le savais pas jusque-là…» C’est dans cette disposition d’esprit que je vis «Ville Bidon» et que j’y décelais tout ce que j’y mettais et qu’avait dû y mettre à son corps défendant le réalisateur, et ce, pour la raison supérieure du fait que l’emploi d’une matière artistique conduit fatalement celui qui met la main à telle pâte à se dépasser un peu lui-même et, quelquefois, jusqu’à des dimensions insoupçonnées… Je pense, par exemple, à cette vieille série américaine «Deux flics à Miami», dont certains plans tournés à bord d’automobile touchaient également au plus formel épique…
Cher Henri, je ne suis pas bien sûr que l’héritage de la Comedia dell’Arte fût décisif comme tu le dis, pour cette raison que la «Comédie de l’Art» est strictement faite pour les tréteaux, c’est-à-dire toute contraire aux réalismes des théâtres subventionnés et cinémas «intellectuels» (au vilain sens sartrien du terme)… Or, le cinéma italien, comme chacun sait, a fait dans le «réalisme» déclaré… Cela n’enlève rien à un certain talent «atavique», dont, selon moi, les ressorts tiennent à quelque chose de la «Comédie de l’Art», en effet, non culturellement, cependant… C’est un état d’esprit «national», «identitaire», réellement, faisant que n’importe quel idéologue italien est cependant quelque chose de plus que lui-même seulement, alors qu’un idéologue français, se résout à encore moins… On connaît les hommages rendus à Giorgio Almirante, jusques et y compris par le secrétaire du PCI, entre autres usages bienséants dont les Français sont tout à fait incapables. Ainsi, culturellement, tout de même, Pasolini est issu du fascisme, sans aucune dissimulation, Visconti ne renia jamais son aristocratisme et, lorsque les frères Taviani s’attachent à relater un événement défini par la critique de France comme «l’Oradour italien», ils aboutissent à ce que des guerriers grecs surgissent des jachères pour entrer en lice dans les combats, si bien que toute idéologie disparaît, conférant au film la dimension d’une authentique œuvre d’art, exactement comme l’«Ivan le Terrible» dépasse toute dimension de propagande qui était la seule à laquelle Staline avait voulu qu’Eisenstein s’attelât…
La France a été culturellement émasculée, plusieurs fois, dès 1789, 1830, 1848 […] et, plus que jamais, en 1945. Cela tient, notamment, à ce fait patent que nombre d’«intellectuels» sont passés par Vichy, dont Chris Marker, justement, jusqu’à Jacques Chailley ou Jean Vilar, et que ceux-ci se sont contraints (plus ou moins, car le rare Chailley a su «résister» ensuite mieux que d’autres) à faire oublier par où ils étaient passés ; sans compter ceux pour lesquels on ne peut pas savoir grand-chose, tel Léo Ferré, par exemple, dont le mystère sur son «comportement» durant l’Occupation a été soigneusement gardé…
Les intellectuels français ont tous eu «quelque chose» à SE faire oublier – si l’on m’autorise cette forme pronominale qui n’est propre qu’ici : à «ME faire oublier de moi-même», pourrait-on leur faire dire en confession –, jusqu’à la candeur d’un «front républicain»… … qui a bien du toupet.
Comme par un fait exprès, le musicien et pionnier célébré de la radio, Pierre Schaeffer, tient un petit rôle dans «Ville Bidon», or, ledit Schaeffer se trouve justement être passé par Vichy, via l’École des cadres d’Uriage, ce que ne pouvait pas ignorer Baratier…
Cher David,
Le cinéma italien » réaliste , » ou se voulant tel, fait toujours surgir le rêve avec cet héritage de l’enchantement propre à la Comedia dell’Arte . Fellini, évidemment,mais aussi Visconti, Antiononi et toute la délicieuse comédie italienne. Même Pasolini si on y regarde de près
Oui, tu as raison, quelque chose ne s’est pas brisé en Italie sur ce plan comme en France depuis le séisme de nos révolutions.