Pourquoi s’inquiéter? Pourquoi avoir peur? Et pourquoi tant de critiques, de sous-entendus, voire de mauvais esprit? Le Pape, dans un souci d’apaisement d’une part, et de ré-enrichissement de la liturgie d’autre part, vient de redonner droit de cité au rite dit « de Saint Pie V »: et certains s’alarment de ce qui serait une remise en cause dangereuse du Concile, un retour à « l’Église d’avant », et autres balivernes et billevesées. Mais de quoi s’agit-il au juste, et qu’est-ce qui peut justifier, ou du moins motiver, une telle réaction? Est-ce le côté pratique des choses? En réalité Benoit XVI choisit, dans les faits, de « diversifier l’offre » si l’on peut dire; et pour utiliser une comparaison triviale, il agit comme n’importe quel concessionnaire automobile, n’importe quel vendeur d’électro-ménager: plus une gamme de produits est variée, plus le Darty du coin diversifie son offre, et plus le chaland sera susceptible de se laisser attirer dans ses filets! Pense-ton sérieusement que ce soit un motif suffisant pour susciter la moindre opposition?
Non, bien sûr, le problème vient de plus loin (dans le temps…) et de plus haut (dans le débat politico-théologique…). En fait, ceux qui s’opposent à cette libéralisation sont ceux qui ont tenté et en partie réussi -mais en partie seulement- un coup de force dans l’Église, au moment de Vatican II et à l’occasion de Vatican II. Nul ne conteste l’utilité ni même l’urgence indispensable du Concile en 1965; nul n’en rejette d’avance les conclusions; le Concile, à l’époque, est nécessaire, souhaitable et d’ailleurs convenablement préparé; mais on est alors en pleine apogée du marxisme, et certains (y compris à l’intérieur de l’Église) ne se demandent même plus s’il va triompher: persuadés qu’ils sont de sa victoire finale, leur seule obsession est de s’y adapter, et d’adapter l’Église avec eux à cette victoire finale, réputée inéluctable! L’histoire récente a montré qu’on ne saurait mieux se tromper, mais les choses se sont bien passées ainsi…..
…Influencé de l’extérieur par un courant de pensée auto-qualifié de « progressiste », le Concile va très vite tomber dans une ambiguïté regrettable, engendrant une confusion certaine, et même des conflits qui ne feront qu’aggraver et accélérer ce qu’on appelle « la crise de l’Église »; crise que certains voient, à tort, comme une conséquence du Concile alors qu’elle n’est bien sûr pas crée par lui, mais qu’elle remonte au siècle des Lumières, à la Révolution, au combat permanent, direct et insidieux que lui mène depuis cette époque l’autre religion, la religion républicaine laïque; et plus encore, en France, depuis que la république est instaurée, c’est à dire tout de même plus de 130 ans!……Pour en revenir au Concile et à ses décisions, le « parti réformateur », devint peu à peu majoritaire; et ce grâce à une opération d’intox et d’agit-prop très efficace (mais il faut bien le reconnaitre aussi, puissamment aidée et grandement facilitée par le contexte qui, comme nous venons de le voir, était très favorable à une « évolution/révolution »).
Il se passa alors cette chose inouïe, unique en vingt siècles d’histoire de l’Église: le Concile s’affranchît en quelque sorte de tout le passé de l’Église, dont il fit en bonne partie « table rase »; l’exemple le plus parlant en fut justement le domaine liturgique, où l’on « jeta » -il n’y a pas d’autres mots…–la messe traditionnelle, pour en inventer un autre, dite « rite de Paul VI« ; osons une question impertinente: inventer un nouveau rite, cela s’imposait-il vraiment? Pourquoi ne pas avoir, tout simplement, introduit l’usage des langues vernaculaires -ce qui est, reconnaissons-le, une bonne chose…- en traduisant, tout simplement, la messe « de Saint Pie V »? Et pourquoi avoir brutalement, d’un coup, sans aucune raison, interdit le latin? Mieux vaut être bipède qu’unijambiste: on peut bien prier Dieu dans toutes les langues, y compris le latin! Et pourquoi faudrait-il -par quelle aberration intellectuelle?- que la permission donnée à une langue s’accompagne forcément de l’interdiction faite à une autre? Agir ainsi c’est se contredire fondamentalement: cela n’a pourtant choqué personne dans les hautes sphères…!
…En traduisant simplement la « messe de Saint Pie V », on se serait évité une crise et un problème; on aurait réformé sans casser, sans tourner le dos au passé et à l’Héritage. Réformer mais en cassant; avec hostilité, sans amour et sans respect pour ce qui précédait: voilà d’ou vient le problème, voilà ce qu’a fait une assemblée devenue en quelque sorte « folle », au sens où elle s’est voulu libérée justement de ses vingt siècles d’héritage; une assemblée euphorique, portée par une sorte d’amnésie généralisée, d’ivresse de la nouveauté; des discours certes généreux, mais pensés comme si « tout le monde il était beau, tout le monde il était gentil » (rousseauisme typique…); et un certain nombre de réformes, sur des sujets majeurs -tels la Messe, ce qui n’est tout de même pas rien…- furent ainsi faites dans la plus grande ambiguïté; le Concile décréta ainsi des changements souhaitables, nécessaires et indispensables, dans un esprit très souvent détaché de la Tradition, dans le meilleur des cas, carrément hostile, dans le pire…
Là est la nouveauté, là est le coeur du problème, qui continue toujours, cinquante ans après, à « poser problème » (comme on dit dans le « jargon »…) Or, une vraie évolution, saine et vraiment positive, ne se conçoit que dans la continuité des siècles, pas dans la rupture, germe de discordes et de divisions; il fallait reformer en s’adossant aux siècles antérieurs, en posant tout ce qui est sur tout ce qui fut, et non « réformer contre »: l’ambiguïté et le drame du Concile Vatican II sont là, et l’Église en paye encore le prix aujourd’hui. Après le pontificat bienfaisant et réparateur de Jean Paul II, qui avait bien renforcé l’Église mais sans s’attaquer « à fond » à ce problème « de fond », Benoit XVI est au pied du mur: ne dit-on pas que c’est au pied du mur que l’on voit le maçon?
La « messe en latin » ne sera-telle que l’Acte I de la grande restauration de l’Église? C’est tout le mal qu’on lui souhaite….et là on comprend mieux les cris d’orfraie poussés par certains…
YANN CORFMAT sur Un espoir, le roi
“C’est ce que l’on appelle de nos voeux !”