Tout le monde a compris aujourd’hui, nous l’avons déjà dit, que Gaspard Proust est un humouriste mais aussi davantage qu’un humoriste. Il rédige ses textes avec style. Il fustige les ridicules et les dérives du temps, comme jadis nos moralistes et nos faiseurs de comédies. Le texte qui suit est tout bonnement magnifique. Son sujet est l’amour de la France.
« Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le mode d’organisation de votre démocratie mais ce qui fait que la France est la France »
Gaspard Proust n’est pas français, il explique ici pourquoi.
» Vous n’avez jamais demandé la nationalité française ?
Non. En 1990, j’étais au lycée français d’Alger. J’étais un petit Slovène, un ex-petit Yougo. A cette époque, je regardais la France, admiratif, me disant que, si un jour j’avais le passeport français, je pourrais dire à mes enfants : « Voyez, maintenant vous faites partie d’une nation immense où vos ancêtres – même si vous avez chopé le train en route – s’appellent désormais Charlemagne, Louis XIV, Napoléon, De Gaulle; vos écrivains, Hugo, Molière, Baudelaire, Camus, Zola, Pascal, La Fontaine; vos artistes, Sisley, Monet, Rodin, David, Poussin, Pissaro, Le Nôtre. Quand vous visiterez Orsay, le Louvre, Versailles, la cathédrale de Strasbourg… Quand vous visiterez les grottes de Lascaux, les gorges de l’Ardèche, les vignobles de Bourgogne, où une parcelle minuscule a la gloire d’exhiber au monde son cru comme on exhibe le Graal… Quand vous verrez au-dessus de Chamonix s’élever les flèches de granit ou contemplerez l’aube qui monte au-dessus de la baie du Mont Saint-Michel… Eh bien, vous aurez cette chance incroyable, invraisemblable, folle de pouvoir murmurer intérieurement : « Cela, c’est mon pays ! » »
La France, ce n’est pas seulement une vague idée fumant au-dessus de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, c’est une réalité brute, c’est une terre, un peuple, une culture; bref, un monde. Avec sa musique, sa respiration. Tourmentée, diverse, fabuleuse.
Aujourd’hui, je connais peu de personnes venant des pays de l’Est – et je ne parle même pas des amis suisses – qui voudraient du passeport français. Car un pays qui se méprise à ce point-là, qui s’incline devant tout n’est plus attirant. Qu’est-ce qu’être français ? Sincèrement, moi, je ne sais plus. Si on me donnait le passeport demain, je ne sais pas très bien dans quelle communauté nouvelle j’entrerais. On va dire : « La France, c’est la laïcité ! » Mais l’organisation d’un culte, ce n’est pas une valeur, ça ne fait rêver personne ! De la même manière, je vois du matin au soir les hommes politiques sautiller sur leurs chaises en éructant : « La République ! La République ! La République ! » Mais, des républiques, il y en a plein dans le monde. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le mode d’organisation de votre démocratie mais ce qui fait que la France est la France et non pas la Slovénie, l’Allemagne, l’Algérie ou la Corée du Sud !
La réalité, c’est que la France – même si certains le vivent très mal – est devenue un pays multiculturaliste, alors quel intérêt du coup de devenir français, si, de toute façon, on me fait l’éloge de pouvoir tout le temps la ramener avec mes origines ? J’ai même changé mon prénom et mon nom, car je ne voulais qu’on me renvoie d’où je viens. Je veux me fondre parmi les Français. Or ce n’est plus audible aujourd’hui.
Du coup, j’aime mieux rester à l’écart et vous regarder faire. Même si j’aime profondément ce pays, je préfère que mon rapport à la France se limite aux impôts et aux choses de l’ordre du travail. Et on reste bons amis. Alors que, paradoxalement, il n’y a sans doute pas plus français que moi. » ■
Publié le 31 mai 2023 – Actualisé le 11 août 2023
C’est juste… et triste à pleurer.
Le branleur de l’Elysée n’est même pas capable de comprendre le 1/10ème de ce texte très bien et hautement rédigé. Félicitations Gaspard Proust.
C’est bien vu et bien écrit par G. P. (qui n’est pas GP!) et, pour nous, bien mérité. J’aime ses critiques contre l’abus des invocation à « La République ». Poincaré, dans ses mémoires, utilise régulièrement la République pour désigner la France. C’était alors la seule république, en effet, parmi toutes les nations en conflit. Aujourd’hui c’est ridicule et G.P. tape juste.
Je suis frappé, sous sa plume, par l’expression « le mode d’organisation de votre démocratie ». Avec ce « démocratie », Il me semble qu’il est, à son tour, coupable – ou victime – d’un de ces clichés ou « éléments de langage » omniprésents et confondants. Il lui faut encore ouvrir les yeux sur cet avatar de « La République », aussi ridicule et imprécis que celle-ci. On entends trop souvent, surtout chez les jeunes générations, des âneries du genre : « en démocratie on ne gifle pas ses enfants »; ou bien, « dans une démocratie on ne vole pas les voitures » … !
Un mot magique pour éviter de dire « nos institutions », « nos lois », « la France »…. et se vautrer dans un vague confortable et inculte.
En complément de ce très beau texte, il faut regarder la collection de « Des racines et des ailes ». C’est la même chose que ce qu’écrit Gasprd Proust mais en images.
La France est éternelle, l’Hexagone la république c’est une époque pas une identité et les populations actuelles sont des morts futurs qu’on ne gardera pas en souvenir. Nous passerons avec nos erreurs nos échecs et nos misères et ce monde actuel ne nous survivra pas. La France malgré ses blessures restera l’image de la nostalgie, ce qui a été ne peut s’oublier et si dans ce monde rien ne se crée rien ne se perd.
Comme il a raison, et il faut que les plus belles paroles dites à propos de la France viennent d’un étranger ….. c’est à pleurer.
C’est très souvent le cas.
L’image que se font de loin les étrangers amoureux de la France déborde largement des réalités de terrain quand ils s’en approchent, et leur déception est aussi grande que celle de Gaspard Proust.
Très bien .