Le déficit du budget de l’Etat français a plus que doublé au cours des douze derniers mois, atteignant 109 milliards d’euros au 31 juillet contre 51,4 milliards un an plus tôt, sur fond d’effondrement des recettes fiscales. Le chiffre est tombé, sinon dans l’indifférence générale, du moins dans une absence quasi complète de remise en cause et d’interrogations.
Il fut un temps où l’opinion publique, en France, était largement plus remuante qu’aujourd’hui. Moins anesthésiée, moins conditionnée ? Probablement. Nous vivons dans une époque de conformisme triomphant, ce qui n’a pas toujours été le cas…
A l’époque, pas si lointaine finalement, ou nous avions – pour reprendre l’excellente formule de Pierre Gaxotte – L’Etat pauvre dans le pays riche, aura-t-on assez daubé sur la crise financière persistante de la monarchie, et la nécessité urgente qu’il y avait d’agir pour changer les choses ?
« Il était question, pour la foule, de combler un déficit que le moindre banquier aujourd’hui se chargerait de faire disparaître. Un remède si violent, appliqué à un mal si léger, prouve qu’on était emporté vers des régions politiques inconnues. Pour l’année 1786, seule année dont l’état financier soit avéré, la recette était de 412.924.000 livres, la dépense de 593.542.000 livres; déficit 180.618.000 livres, réduit à 140 millions, par 40.618.000 livres d’économie… » (Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, La Pléiade, tome 1, page 149).
Pour agir, « on » a agi, « on » a fait la Révolution. Et c’est vrai que, du point de vue des finances publiques, le nouveau régime a fait mille fois, un million de fois mieux que l’ancien. On est passé à 109 milliards ! Et pas de francs -ce qui aurait été déjà beaucoup- mais d’euros, ce qui est tout de même presque six fois plus que ce beaucoup.
La différence fondamentale, aujourd’hui, c’est finalement que la république idéologique a de la chance: elle a accouché d’une opinion indulgente (!). Peu de gens s’étonnent, et beaucoup ont presque l’air de trouver cela normal…
A propos du déficit, vous dites: « la république idéologique a de la chance: elle a accouché d’une opinion indulgente . Peu de gens s’étonnent, et beaucoup ont presque l’air de trouver cela normal. » Il me semble que vous êtes bien au dessous de la réalité. En fait, il est devenu chose parfaitement admise que le déficit de l’état et la monnaie scripturaire des banques sont une source primordiale de création de richesse. Pourquoi l’état agirait-il différemment? En 1800, un banquier pouvait prêter 10% de plus que les biens dont il disposait, en 1850, 50%, en 1900 il pouvait prêter le double ; mais aujourd’hui, il est devenu courant pour une banque de prêter 4 fois plus, voire bien davantage. Avec, bien entendu tous les risques de crise et de banqueroute, mais aussi des perspectives de profit toujours renouvelés. Entre la perspective d’une crise à l’horizon loitain et celle d’un profit immédiat et salvateur, comment résister? Maurice Allais expliquait il y a quelques années que » « Toutes les grandes crises des XVIIIe, XIXe et XXe siècles ont résulté du développement excessif des promesses de payer et de leur monétisation. Partout et à toute époque, les mêmes causes génèrent les mêmes effets. »
Cependant, une chose doit rester à notre esprit, c’est que la perspective d’une banqueroute de l’état français n’est plus improbable. Nous avons vu il y a quelques années l’Argentine en faillite, cela peut aussi survenir en France. Nous sommes nous préparés à cette éventualité?
La doctrine libérale veut que le comportement moral ne résulte plus du sens du devoir ou de la règle morale, mais de l’intérêt bien compris.
On peut même se demander si, pour certains libéraux, la seule façon d’être pleinement humain n’est pas de se comporter à la façon des marchands, c’est-à-dire de ceux auxquels on n’accordait autrefois qu’un statut inférieur, non qu’on ne les regardait pas comme utiles, et même comme nécessaires, mais en raison même de cela qu’ils n’étaient qu’utiles —et que leur vision du monde était bornée par la seule valeur d’utilité.
« Tout l’avilissement du monde moderne, écrivait Péguy, c’est-à-dire toute la mise à bas prix du monde moderne, tout l’abaissement du prix vient de ce que le monde moderne a considéré comme négociables des valeurs que le monde
antique et le monde chrétien considéraient comme non négociables ».
Toute la crise actuelle provient de la contradiction entre l’idéal de l’homme universel abstrait et la réalité de l’homme concret, pour qui le lien social continue d’être fondé sur les liens affectifs et les relations de proximité, avec leurs corollaires de cohésion, de consensus et d’obligations réciproques.