Par Pierre Builly.
Le colonel Chabert d’Yves Angelo (1994).
Il ne manque pas un grain de poussière dans l’étude Derville.
Lorsqu’un directeur de la photographie de métier entreprend de réaliser un film, il est à craindre qu’il privilégie l’aspect très extérieurement visuel et décoratif de ce qu’il tourne au détriment du sens et de la force du scénario. Et même si la puissance des récits de Balzac permet de sauver un peu la mise d’Yves Angelo, on ne peut pas dire que cette énième adaptation du Colonel Chabert soit vraiment satisfaisante.
Remarquez que Balzac n’est pas un romancier si bien servi que ça au cinéma. Dans la longue cohorte de ses œuvres retranscrites sur l’écran (une page entière dans Wikipédia), il n’y a guère de vraiment notoire que La duchesse de Langeais de Jean de Baroncelli (1942) et La fille aux yeux d’or de Jean-Gabriel Albicocco (1961) et sans doute aussi le même Colonel Chabert de René Le Hénaff (1943) avec Raimu – mais je ne l’ai pas encore vu -).
Il me semble que la télévision, avec son format potentiellement plus souple, a mieux servi le romancier ; on se souvient avec bonheur, entre autres, de La cousine Bette d’Yves-André Hubert (1964) avec une immense Alice Sapritch, des Illusions perdues et de leur suite, Splendeurs et misères des courtisanes de Maurice Cazeneuve (1966 et 1975), du Curé de Tours de Gabriel Axel (1980) avec les étonnants Jean Carmet et Michel Bouquet.
Revenons à la version du Colonel Chabert d’Angelo ; l’histoire forte de ce colonel d’Empire, disparu et tenu pour mort à la suite de la bataille d’Eylau (février 1807) qui, dix ans plus tard, sous Louis XVIII, revient faire valoir ses droits, alors que sa femme est remariée et que son retour ne peut que gêner l’ordre établi, est d’un romanesque abouti.
La distribution est plutôt réussie, même si les acteurs principaux, Gérard Depardieu (Chabert) et Fanny Ardant (sa femme) sont un ton au dessous de ce qu’ils sont capables de jouer. Mais Fabrice Luchini, qui interprète le subtil avoué Derville, qui prend fait et cause pour Chabert, est étincelant. Et les seconds rôles (qui disparaissent, assez sottement, au fil du récit) sont parfaits, André Dussolier, à la fois courtisan et cassant, second mari de Fanny Ardant, qui aspire à la Pairie et sacrifiera volontiers sa femme pour cette fonction, Daniel Prévost, Premier clerc de Luchini/Derville et même, en silhouettes, Claude Rich ou Jacky Nercessian…
Histoire en or massif, distribution solide ; qu’est-ce qui manque ? Eh bien précisément, ce qu’il y a en trop : tout est tellement léché, pourléché, décoratif et bellement photographié que c’est le décor et les costumes qui prennent la vedette. Et si ce sont là – comme la musique ou les dialogues – des éléments prépondérants au cinéma, ils ne peuvent pas prendre la première place dans l’œil et l’agrément du spectateur. Les fréquentes plongées du film dans l’étude de Me Derville sont une sorte de caricature de ce qu’il ne faut pas faire au cinéma : il ne manque ni une page moisie, ni un grain de poussière et les clercs et saute-ruisseaux s’agitent au milieu du brouhaha dans une chorégraphie si bien réglée qu’elle en devient comique.
Visiblement, Angelo a eu beaucoup de moyens financiers, a tourné dans des endroits somptueux, entouré de beaucoup de comédiens… et n’a pas pu maîtriser tout cela. Mais le film peut être regardé avec intérêt et quelques images de la plaine glacée d’Eylau, de la charge des cuirassiers et du carnage napoléonien peuvent rester agréablement en tête… ■
DVD autour de 10€.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.